Nous approchons la question de l’éducation à partir d’une compréhension intégrale de la personne humaine. L’acte d’éducation tient dans le fait que le jeune enfant doit apprendre à se servir de son libre arbitre en connaissant ses conditionnements, afin de s’élever à la connaissance de lui-même, de la société et du monde. Nous entendons par Libre arbitre, non la meilleure utilisation de son potentiel humain, ni le développement des dons de l’éduqué, et encore moins le contrôle de ses émotions et de ses pulsions. Il est plutôt « un don de la nature en chacun de nous. » Quant à la liberté, elle est « spontanéité, expansion ou autonomie, et nous devons la conquérir par un constant effort et un continuel combat. »425 Certaines personnes font parfois des choix qui les conduisent à un véritable esclavage et d’autres connaissent des difficultés énormes pour nouer des relations sérieuses avec leurs semblables. Pourtant, le libre arbitre, s’il est utilisé de façon responsable, est ce que l’être humain dispose de plus admirable. L’enfant est une personne, mais une personne en devenir. Son épanouissement dépend de son environnement familial. En un mot, il a besoin d’être éduqué. L’éducation apparaît ainsi comme une sorte de conditionnement qui voudrait rendre l’éduqué le plus libre possible vis-à-vis des déterminations qui pourraient étouffer son libre arbitre. Si certains jeunes ont parfois fait le choix de devenir des enfants soldats en Afrique, c’est apparemment pour répondre librement à l’appel de leur conscience en faveur de la libération de leur village. Et pour cela, ils tuent, violent, pillent etc. Voilà où peut conduire un usage perverti du libre arbitre426.
L’éducateur se doit donc d’adopter une posture qui permette à l’éduqué d’apprendre à user à bon escient de son libre arbitre dès le temps de sa formation scolaire et universitaire. A cette fin, l’éducateur travaillera à son effacement progressif, privilégiant une éducation où l’éduqué devient de plus en plus autonome, capable de s’éduquer lui-même tout au long de sa vie. Le rôle de l’éducateur peut être comparé à celui d’un entraîneur sportif, qui livre tous ses secrets à l’athlète, pour que celui-ci devienne plus performant dans le domaine, en gérant au mieux lui-même son temps, sa diététique, ses efforts et sa récupération ; sa détente et aussi sa concentration. Notons que, malgré cette grande liberté, l’éducateur dispose d’un rôle irremplaçable dans la mesure où l’éduqué est dans la nécessité d’acquérir un usage mesuré de son libre arbitre, de former son intelligence et sa volonté afin de devenir une personne adulte, capable de diriger sa vie, de faire face aux obstacles et qui progressivement devient de plus en plus seul et autonome. D’où la nécessité de préciser ce que devrait être la finalité de l’éducation. La tâche de l’éducateur n’est pas facile. La question de la relation entre l’éducateur et l’éduqué est souvent mal interprétée soit par l’un, soit par l’autre. Etant donné que cette démarche implique la relation avec une personne mûre qui doit aider l’autre, c’est à elle qu’incombe la lourde responsabilité de se mettre au service du plus jeune. Il est souvent difficile pour l’éducateur de considérer que son autorité repose sur le service envers l’éduqué. C’est pourtant la condition nécessaire pour l’accomplissement de la mission essentielle de l’éducation envers l’individu et pour la société. Effectivement, le sens de l’autorité dans l’éducation doit être perçu comme un service et rien de plus. Cela évite toute confusion avec l’autorité. C’est ce que soutient le professeur Bernard Hubert lorsqu’il affirme que : « si l’autorité est au service de la croissance de celui que l’on a le devoir d’aider, d’éduquer, d’enseigner, il convient alors de réfléchir aux conditions requises pour que ce service puisse être rendu. »427 La réflexion sur les conditions de la réalisation de ce service de l’éducateur envers l’éduqué ont toute leur place dans la relation éducative. Cela permet d’éviter que l’exercice de l’autorité dans l’éducation ne se confonde à un pouvoir autoritaire, susceptible de devenir un frein à la mission fondamentale de l’éducateur. Mais aussi, une attitude de dialogue entre l’éducateur et l’apprenant permet à permet à celui-ci de comprendre quelle est sa vraie mission, mais aussi le champ dans lequel il doit l’exercer.
J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, Paris, Fayard, 1959, p. 27.
Au sujet des enfants soldats, il y a deux groupes. Ceux qui sont obligés de se retrouver dans la rue par la force des choses et qui se retrouvent à la merci des recruteurs non scrupuleux. Mais il y a un autre groupe constitué de jeunes recrutés de force par des chefs de guerres qui n’hésitent pas à les instrumentaliser en vue d’accéder à leur objectifs. C’est ce que confirme cette déclaration de Solange Kone qui décrit la façon dont ces jeunes sont utilisés par les adultes « jeunes instrumentalisés. Dans cette Afrique où l’on magnifie le respect des Anciens, on a vu, chose incroyable, des jeunes aux ordres, destituer des vieux chefs de village. »Et le chercheur français Banegas témoigne lui aussi de cet embrigadement croissant, en particulier dans les rangs des jeunes patriotes où il évoque une « miliciarisation » des nouvelles générations. Y. HARDY, « Côte d’Ivoire. La voix de la société civile »in, Faim et développement magazine, N° 217, décembre 2006, p. 24.
B. HUBERT, « Deviens ce que tu es en apprenant. La question de l’autorité dans la relation éducative » in, Nova & Vetera, N° 4, Octobre-Novembre-Décembre 2007, p. 441.