4.1.2. la formation des enseignants

L’éducation de la jeunesse est une contribution au développement de la nation et de l’humanité toute entière. Cette tâche comporte des exigences qui nécessitent une mise au point432. Nul ne peut se permettre de dire en éducation : « faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais. » Si un éducateur s’inscrit dans cette logique, il a déjà perdu sa crédibilité. Comme nous l’avions fait remarquer, l’autorité s’exerce avec amour, mais cet amour doit être inséparable de la vérité et celle-ci n’est pas toujours facile à faire vivre, à entendre ou à proclamer. « La vérité sans l’amour durcit l’autre, quand on lui assène ses quatre vérités. Mais l’amour sans vérité corrompt l’autre. »433 Lorsqu’un enfant est en train de se perdre, il est prudent de lui dire qu’il est sur une mauvaise voie et que s’il continue, il risque de le regretter plus tard. Il est donc nécessaire pour l’éducateur de travailler durement pour la mise en place d’un comportement responsable qui canalise ces éléments caractériels. Proclamer la vérité, proposer un chemin, quel que soit leur objectif, peut faire de la peine à la personne de l’éduqué et cette peine peut être un élément insupportable pour quelqu’un qui ne sait pas maîtriser ses sentiments. Le respecte de l’enseignant envers l’apprenant est une attitude qui se fonde sur la sincérité. Cela, afin de permettre à l’éduqué d’en tirer profit : « l’amour vrai se situe bien au-delà des sentiments, il est discernement de ce qu’est le bien de l’autre et la volonté de le lui faire atteindre, même si cela crée des tensions, des bouderies, de la colère. »434 Une autre conquête et non la moindre doit être intériorisée par l’éducateur. Il n’est pas raisonnable d’éduquer pour la satisfaction personnelle, fondée sur la fierté de celui ou celle qu’on a éduqué, bien que cela constitue aussi un motif de joie. On éduque une personne d’abord pour elle-même. Elle a d’ailleurs la possibilité, par son libre arbitre, de rejeter l’éducation que lui propose l’éducateur. Ce dernier a l’obligation de donner le meilleur de lui-même par une action éducative et constructive et non pas au nom des résultats pragmatiques. La sagesse éducative invite à ne pas trop considérer les résultats immédiats car, comparant l’acte éducatif à une semence, nous pouvons estimer que ce qu’on a semé aujourd’hui peut prendre du temps avant d’éclore. L’expérience paysanne montre que le plus important consiste à semer la bonne graine, au meilleur endroit, au moment favorable et comme il faut. Dans son essence, l’éducation est un acte désintéressé fondé sur l’amour et le don de soi. C’est un risque que l’on prend pour l’autre, pour son bien.

L’ éducateur a un rôle difficile et exigeant. Il lui arrive souvent d’expérimenter ses limites. Un résultat qui peut l’amener à céder à l’exaspération. De ce fait, il a aussi besoin d’écouter les points de vues des autres. D’où la nécessité d’une capacité d’ouverture renouvelée de la part de celui qui se destine à un tel métier. Mais le plus important consiste à donner à la personne de l’éduqué le témoignage permanent d’un amour vrai. C’est par ce moyen que l’enseignant pourra facilement faire passer le message éducatif qu’il porte. Voici comment le pédagogue Yannick Bonnet comprend cette situation :

‘« Je ne désire que ton bien parce que je t’aime. Je te respecte, même quand tu ne te respectes pas toi-même. Je suis prêt à t’écouter à dialoguer avec toi, mais je n’ai pas l’intention de te laisser gâcher ta vie, sans tout faire pour t’en empêcher. Je me ferai respecter par toi pour que tu apprennes à respecter les autres. Je serai exigeant pour toi, parce que la vie n’est pas facile et qu’il faut t’y préparer. » 435

La relation éducateur-éduqué, repose sur la confiance. Celle-ci constituera la première attitude de l’enseignant. Si on attend que l’éduqué s’en montre d’abord digne, on se retrouvera dans un climat attentiste, qui pourrait être interprété comme une défiance ! Dès le départ, l’éducateur doit faire confiance, transmettre la confiance et mettre en confiance. Mais sans naïveté, dans la vigilance et en vérifiant que cette confiance est méritée de la part de l’éduqué. Si ce n’est pas le cas, il faut en tirer les conséquences et agir pour éviter le pire car « mieux vaut prévenir que guérir. » La mise en place d’un climat de confiance mutuelle entre les apprenants figura parmi ses missions les plus ordinaires. Dans les cas jugés difficiles, il sera patient et plein de maîtrise de soi. Seul manière de donner à chaque apprenant la possibilité de se reprendre. L’adage que « celui qui sème n’est pas forcement celui qui récolte »se vérifie dans le domaine de l’éducation plus qu’ailleurs. L’éducation est un processus qui consiste à rendre l’éduqué maître de ses conditionnements, pour qu’il les pilote en vue de réussir sa vie et d’être heureux. Le processus éducatif vise un effacement progressif de l’éducateur pour que grandisse l’éduqué. La relation éducateur-éduqué, doit être basée sur une confiance qu’il faut créer et maintenir, et sur sa finalité, qui est d’aider l’éduqué à grandir en humanité, en autonomie, en responsabilité et en connaissance. L’éducateur reçoit son autorité de cette perspective : elle accompagne le pouvoir de sanctionner, c’est-à-dire  à la fois : récompenser les mérites et punir les fautes436 . Cette éducation n’est pas le monopole des jeunes d’une certaine catégorie sociale donnée. Elle est un droit inaliénable de chaque personne. Pourtant, tel n’est pas encore le cas en Afrique où la grande majorité des jeunes arrive à peine à terminer le cycle des études primaires.

Notes
432.

J.-P. NGOUPANDE, « Le rôle de l’éducation dans les perspectives de développement de l’Afrique » in, Education, fondement du développement durable en Afrique, Paris, PUF, 2003, p. 90.

433.

Y. BONNET, Op. cit,. p. 30.

434.

Ibidem.

435.

Idem, p. 32.

436.

Nous ne voudrions pas confondre ici, autorité et pouvoir. L’éducateur qui a le pouvoir d’aider l’éduqué à devenir lui-même, doit s’appuyer sur le pouvoir qui lui est conféré afin d’aider le jeune à atteindre cette finalité. C’est pourquoi, l’autorité de l’éducateur qui n’est qu’un service à l’égard de l’éduqué ne doit pas être confondue au pouvoir qui « est une manière de donnée immédiate de la conscience à l’égard de quoi l’être réagit élémentairement par attraction ou répulsion. » M. MARSAL, L’Autorité, PUF, 1961, p. 17.