4.1.3. Ecole et développement culturel

Les relations que les éducateurs entretiennent avec les parents de leurs élèves révèlent souvent l’existence de deux mondes inconciliables. La concertation permanente entre parents et responsables d’institutions éducatives doit être harmonisée pour permettre aux élèves de ne pas vivre une certaine schizophrénie entre ce qu’ils apprennent à l’école et les prescriptions parentales. Ce n’est pourtant pas le cas, étant donné que l’école et la famille se disputent la transmission des valeurs. A l’école, les jeunes apprennent un langage, un mode de pensée, un souci d’efficacité, des habitudes rigoureuses de rationalisation, un certain juridisme souvent teinté de cartésianisme, une politesse et des symbolismes qui ne concordent pas toujours avec les habitudes locales. En plus de la culture individualiste qu’accroît l’école, cette attitude renforce l’inadéquation entre le système éducatif et la réalité locale. Au sein du monde familial, les mêmes jeunes s’expriment dans une autre langue, selon d’autres schèmes de pensée, découvrent d’autres obligations sociales, d’autres relations inter individuelles, d’autres marques de respect et de solidarité. Certes, ce constat ne veut pas nier l’existence et la valeur des réalités culturelles des autres pays et des autres continents. De l’extérieur, l’Afrique a aussi beaucoup de choses à apprendre. Ceux qui ont eu le privilège de sortir du « petit » milieu familial pour aller à la rencontre d’autres cultures en savent quelque chose. Mais chaque fois que l’abstrait devient très beau, nous devons faire l’effort de nous en éloigner, car il ne s’agit pas d’éduquer un citoyen d’un univers abstrait, mais un citoyen dont le cœur vibrera à l’unisson de la population dont il est originaire et de celle à laquelle, il est appelé à s’intégrer afin de pouvoir épanouir sa personnalité, ses valeurs et sa culture.

Pour être plus concret, prenons l’exemple de cet homme qui eut à rendre témoignage de son expérience personnelle, à un colloque à Louvain. Revenant sur l’expérience de sa rencontre avec l’école moderne et l’inadéquation qu’elle entretient avec les cultures locales en Afrique, il raconte sa mésaventure :

‘« je fus un jour désigné pour souligner au tableau noir les mots qui devaient être analysés grammaticalement. Le professeur me présenta une craie, outil de mon travail ; je tendis, suivant la douce politesse de chez nous, mes deux mains transformées en plateau. Or, la politesse du Professeur ne pouvait admettre que , dans de tels moments, la main gauche s’associât à la main droite ! J’en eus pour mon compte… La classe terminée et instruit par l’expérience, j’en eus pour une seconde fois lorsque, à la maison, recevant, je ne sais plus quoi, j’imposais le plus total effacement à ma main gauche !… » 437

On peut toujours comprendre que la rencontre des deux cultures ne se passe pas sans choc. Il est vrai que dans certaines cultures, on reçoit quelque chose par la main gauche, la main droite ou par les deux mains. Cela n’a pas d’importance. Mais, dans d’autres cultures, pour exprimer le respect envers celui qui donne ou pour saluer un aîné, il faut absolument tendre deux mains, et non une seule. Ainsi, lorsqu’on place l’enfant dans une telle situation, au plan psychologique, on lui fait vivre un déchirement intérieur, qu’il aura du mal à éloigner de son existence et qu’il pourra parfois prendre pour de l’injustice, soit d’un côté, soit de l’autre. Il est donc nécessaire que l’enfant ne soit pas écartelé entre deux attitudes car celui que nous avons la charge d’éduquer n’est pas seulement un don pour sa famille, mais pour l’univers tout entier qu’il pourra servir. Prenons un autre exemple : la conception véhiculée en Afrique, particulièrement en République Démocratique du Congo, au Rwanda et au Burundi au sujet du papa ou de la maman. En se faisant représenter les parents de leurs enfants, certains éducateurs ne savent pas que leur recherche de précision peut parfois créer des frustrations chez le jeune élève. Trop exigeants, ces hommes et ces femmes instruits semblent ignorer la situation embarrassante dans laquelle ils plongent leurs apprenants ou leurs amis, lorsqu’ils leur posent la question de savoir si la personne présente est bel et bien la vraie mère, le vrai frère, le vrai père, etc. La conception des relations familiales étant complètement différente de celle qui a cours en Occident ou dans les grandes agglomérations africaines où les habitants ont dans la plupart des cas, épousé la mentalité occidentale pour y avoir séjourné, pour de raisons d’études ou de services.

Notes
437.

Idem, p. 181.