4.3. La contribution de l’enseignement confessionnel

Comme nous l’avions mentionné plus haut, l’intérêt que les Eglises portent à la question éducative en Afrique, est à prendre en compte, suite au rôle important de ces institutions dans la mise en place des structures éducatives viables. Ces initiatives qui ne sont pas un fait de hasard, doivent être encouragées. Dans cette bataille, tout doit être mis en contribution. Dans sa déclaration sur l’éducation et l’enseignement, le Concile Vatican II montre que la tâche de l’Eglise ne doit pas uniquement se focaliser sur la seule proclamation de la foi, mais doit se prolonger au service de l’humanité, pour favoriser les actions du développement. Les citoyens catholiques doivent travailler dans tous les secteurs de la vie nationale et internationale, particulièrement de l’éducation afin de pouvoir « hâter la diffusion des bienfaits d’une éducation et d’une instruction convenables pour tous, dans le monde entier. »443 Si l’aspiration majeure actuelle des populations de l’Afrique est l’accès à une scolarisation intégrale qui aide et participe au développement de l’homme et de la société, il existe un devoir qui incombe à tous, celui de répondre, dans la mesure de ses possibilités, à cette aspiration légitime des peuples444. Comme elles ont eu à le faire pour l’émergence d’une culture humaniste en Europe ; en participant activement à la renaissance européenne, les Eglises doivent être mises à contribution pour accomplir certaines tâches, non seulement pour les chrétiens baptisés, mais pour l’épanouissement de tous les citoyens. En ce sens, les projets locaux devraient se joindre à ceux de l’Eglise catholique qui postule que : « l’Eglise, est tenue d’assurer l’éducation qui inspirera toute leur vie de l’esprit du Christ ; en même temps, elle s’offre à travailler avec tous les hommes pour promouvoir la personne humaine dans sa perfection ainsi que pour assurer le bien de la société terrestre et la construction d’un monde toujours plus humain. »445 Mais cette déclaration d’ordre général, suscite quelques questionnements importants. En se mettant au service des pays en développement, doit-on aveuglément épouser toutes les aspirations spontanées ? Ou faut-il faire preuve d’un discernement rigoureux et s’efforcer de promouvoir certaines valeurs primordiales, nécessaires pour la vie d’aujourd’hui et de demain. Cela traduit le fait que l’homme est un être en devenir. L’éducation doit l’aider à devenir ce qu’il est.

Revenons préalablement sur la mission confiée à la structure scolaire catholique. Les autorités responsables de l’éducation catholiques ont toujours souhaité que la structure éducative sous leur responsabilité ne se limite pas seulement à la formation intellectuelle des jeunes. Il lui appartient aussi, de promouvoir l’esprit d’ouverture à la culture ainsi qu’aux valeurs du respect des droits et libertés des personnes. Ce qui justifie la déclaration où il est dit que :

‘« L’école est spécialement le lieu du développement assidu des facultés intellectuelles, en même temps, elle exerce le jugement, elle introduit au patrimoine culturel hérité des générations passées, elle promeut le sens des valeurs, elle prépare à la vie professionnelle, elle fait naître entre des élèves de caractère et d’origine sociale différente un esprit de camaraderie qui forme à la confiance mutuelle. » 446

Ce texte a le mérite de se présenter d’une part, comme un programme d’action et un défi lancé aux éducateurs et, d’autre part, comme un effort consistant à répondre à l’une des aspirations les plus dynamiques des populations d’Afrique, à savoir ce désir d’acquérir un bagage intellectuel de qualité, non de façon livresque, mais par des connaissances qui devraient servir à l’évolution humaine, sociale et industrielle du continent. Il y a aussi cette volonté d’instruire les jeunes à travers l’éducation de leur jugement, de leur volonté et du sens social. Nous reviendrons plus profondément sur cette forme d’éducation lorsque nous analyserons la question de la socialisation en Afrique. Un autre aspect non moins important qui incombe à l’éducation catholique, comme le souligne Vatican II, c’est la formation aux réalités sociales des élèves et des étudiants. Ils recevront les éléments fondamentaux leur permettant de comprendre les réalités socioculturelles du milieu dans lequel ils se trouvent. Un savoir qui leur donnera l’occasion de devenir capables de s’insérer adéquatement dans la société, dès le moment où ils auront terminé leur formation.

‘« Que les jeunes gens soient formés à la vie sociale de telle sorte que, convenablement initiés aux techniques appropriées et indispensables, ils deviennent capables de s’insérer activement dans les groupes qui constituent la communauté humaine, de s’ouvrir au dialogue avec autrui et d’apporter de bon cœur leur contribution à la réalisation du bien commun. » 447

Cette déclaration revêt une importance primordiale dans le processus éducatif en Afrique où la formation reçue à l’école est souvent en contradiction avec les réalités de terrain. Comme nous l’avons fait remarquer en analysant la rencontre de deux cultures à travers l’école, l’inadéquation entre la formation reçue à l’école et la réalité concrète de la vie est une source d’angoisse pour bon nombre des jeunes d’Afrique. Porter attention à cette question est un acte de responsabilité pour les acteurs de l’éducation448. Etudier pour le plaisir c’est une bonne chose, mais aujourd’hui, en Afrique, on doit donner aux jeunes une formation qui leur permet de contribuer efficacement à la construction nationale et internationale à travers leur savoir faire et leur savoir être.

Les jeunes confiés aux écoles doivent être capables, dès la fin de leur formation, de s’insérer activement dans la vie sociale. Cette finalité, qui n’est pas l’unique d’ailleurs, devra inciter les éducateurs à former une jeunesse capable de relever le défi du développement. Le terme « dialogue » est à la mode, mais c’est à peine s’il se pratique dans les milieux internationaux et nationaux. Chacun vient avec son point de vue, qui est supposé vrai et les autres doivent écouter. L’unilatéralisme de la mondialisation en dit quelque chose. Les jeunes formés ne doivent pas tout rejeter en bloc de ce que les autres leur proposent, mais être capables d’un discernement éclairé. En ce moment où l’on parle des groupements sous-régionaux : de l’Union Africaine449, ou de l’Afrique nouvelle. Seule une éducation fondée sur une communication authentique permet d’être en mesure de laisser tomber les masques, d’aller à la rencontre des autres cultures, de sortir du stérile militantisme enfermé dans la dialectique tradition-modernité, pour accueillir les autres cultures, tout en demeurant eux-mêmes450. Cet élément est d’autant plus important qu’on le voit apparaître sous des vocables vidés de toute leur substance comme « nationalisme », « authenticité », « autochtones », « halogènes », « étrangers » etc. Pour sauvegarder leur pouvoir, beaucoup de leaders d’Afrique ont incité leur population à se lancer dans une logique d’enfermement sur elles-mêmes à travers l’exacerbation des différences ethniques et tribales. Plutôt que de les aider, cette logique les a plongés dans des conflits interethniques. L’un des impératifs citoyens qui ressort de la déclaration conciliaire et qui implique le secteur éducatif, c’est celui qui concerne la formation d’une jeunesse capable d’apporter, de bon cœur, une contribution remarquable à la réalisation du bien commun451. Ces objectifs assignés à l’école catholique doivent aider à l’édification d’une Afrique juste, paisible et prospère, gage de tout développement durable.

Notes
443.

M. DESCAMPS, Vatican II. Enseignement éducation culture, Paris, Centurion, 1966, p. 113.

444.

En Afrique centrale, l’Eglise a un rôle déterminant à jouer pour promouvoir un réel développement des individus et de leurs sociétés. Il s’agit en effet de transmettre un humanisme fondée sur la vision chrétienne de l’homme et du monde. Mais cette démarche ne doit pas être confondue à un certain intégrisme religieux. Il s’agit « d’une tendance à voir le monde et à le juger dans une perspective chrétienne. Toute la vie du groupe se réfère à cette vision de foi. Les relations affectives et techniques, l’ascension personnelle de chaque enfant, la gestion du groupe, ses activités et ses traditions sont imprégnés de Dieu, donc d’Amour. » J. FAUVET, Moyens collectifs d’éducation dans les groupes d’enfants, op. cit., p. 120.

445.

idem, p. 121.

446.

Ibidem.

447.

Idem, p. 123.

448.

Par cette position, nous sommes en désaccord avec ceux qui pensent que la question de l’insertion sociale est secondaire dans une formation académique. Yves Lorvelec a effectivement soutenu cette position. Il se place dans la perspective de Bourdieu et Passerou pour souligner que, focaliser le but de l’école dans l’accession aux postes de responsabilités ou à l’égalité des chances consiste à lui faire « l’impasse sur une question autrement plus grave pour la démocratie et qui est de savoir quel est l’enseignement qui convient à tous les futurs citoyens. La détermination de ce que doit être la culture scolaire et ses modalités de transmission ne saurait être réglée par les seules exigences d’une mobilité sociale optimale. » Y. LORVELEC, Culture et éducation, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 85. Mais compte tenu des réalités sociales en Afrique, envisager un projet éducatif sans penser à la future insertion professionnelle des candidats est une forme d’irresponsabilité. Comme le professeur Pitte, nous convenons que l’insertion professionnelle doit être l’une des missions de l’enseignement : « l’université doit sanctionner un niveau de connaissance, mais si ce niveau de connaissance est déconnecté de la vie réelle, on signe en même temps l’échec de l’enseignement. »J.-R. PITTE, « Il est irresponsable de ne pas se soucier d’insertion » in, Réforme. Hebdomadaire protestant d’actualité, N° 3254 du 10-16 janvier 2008, p. 15.

449.

Nouvelle appellation de l’ancienne Organisation de l’Unité Africaine. Le projet de cette nouvelle structure avait été avalisé lors du sommet de Lomé en 1997. Il constitue le prélude à la mise en place des Etats Unis d’Afrique. Le président libyen, Kadhafi Mohamar est l’un de ses plus ardents défenseurs.

450.

Comme le soulignait déjà Jacques Maritain, nous pensons qu’il faut aux jeunes d’Afrique une éducation qui les ouvre aux vertus de la vérité, d’amour et d’ouverture. Pour lui, c’est l’amour de la vérité qui est la tendance primordiale de toute nature intellectuelle. Et pour que le jeunesse d’Afrique participe efficacement à la construction de leurs Etats, ils ont besoin de bénéficier de cette forme d’éducation qui avait été pensée à un moment comparable à celui de l’Afrique aujourd’hui. Le système éducatif pratiqué en Afrique gagnerait à former les jeunes à « l’amour du bien et de la justice, et même l’amour des exploits héroïques, et cela aussi est naturel aux enfants d’homme. » Cf. J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, op. cit., p. 55.

451.

Cf. J. MARITAIN, Sort de l’homme, op. cit., p. 112.