1.2. Une conviction inébranlable

Paulo Freire était le défenseur d’une nouvelle approche pédagogique qui tienne compte des dimensions : sociale, économique, politique, éthique, spirituelle, environnementale, individuelle et collective de la personne humaine. Alors que le terrorisme fait régner sa loi, où la famine ravage des populations entières, où l’analphabétisme bat son plein dans les pays en voie de développement, la conviction et la foi506 qui ont soutenu l’action de ce pédagogue de la liberté, nous invitent à sortir d’une pseudo-neutralité, pour prendre position. Une attitude qu’il avait déjà adopté, à travers plusieurs de ses ouvrages, notamment : Pédagogie de l’autonomie. Dans cet extrait, il pose la nécessité d’une réflexion pédagogique libre, pour l’autonomie et la libération des peuples sous l’oppression. Voici comment Anna maria Araujo présente cette position. En lisant les écrits de Paulo Freire, on sent en effet,

‘« son corps conscient présent, aller pas à pas en disant le nouveau et redisant l’ancien de sa voix douce et affectueuse, parlant passionnément de ses convictions, avec ses mains qui expriment fermement l’espérance qu’il n’a jamais abandonnée, et sa capacité d’écoute traduisant son humilité présente dans les références qu’il fait à ceux avec qui il dialogue pour écrire ce livre. » 507

Aux yeux de plusieurs analystes, cet écrit apparaît comme un appel lancé à tous les éducateurs pour qu’ils s’inscrivent dans une dynamique d’écoute des besoins de la population, avant de proposer quelque système éducatif que ce soit. Paulo Freire voudrait voir ses collègues transmettre à leurs élèves les compétences nécessaires pour leur émancipation intérieure et extérieure. Ces compétences sont à transmettre avec éthique, esthétique et méthode.

L’éducateur n’est pas seulement celui qui transmet les connaissances, mais aussi chercher à recevoir quelque chose de la part des apprenants. Ce qui demande beaucoup d’humilité. L’éducateur cherchera aussi à enseigner par son exemple : « L’école se doit d’entraîner les jeunes et plus particulièrement les hésitants, les indécis, les velléitaires à prendre des initiatives et des décisions, à faire des choix et à participer à la prise des décisions fermes. »508 Il est vrai que dans la lutte contre les injustices, il serait mieux pour l’enseignant, d’être un exemple d’engagement concret sur le terrain. Dans cette démarche, il invite les éducateurs à être humains, toujours plus humains 509 . Son regard est sans cesse tourné vers ceux qui osent enseigner en apprenant et apprendre en enseignant. L’analyse de cet extrait permet de se rendre compte que c’est toute la personne510 de l’auteur qui s’exprime et non seulement ses intuitions. La façon dont est présenté ce texte tend à lui conférer un caractère qui en fait, une sorte de synthèse de toute la philosophie de l’éducation de Paulo Freire. L’axe principal de cette philosophie se trouve dans Une pédagogie pour la libération des opprimés. Cette pédagogie ne se contente pas uniquement de valoriser la connaissance, mais elle prend en compte tous les aspects de la personne humaine, à savoir : ses passions, ses sentiments, sa culture, son histoire, sa croyance et tous les autres éléments constitutifs de sa vie. Il part de la conception de l’homme comme être de raison, vers la conception de l’homme comme personne qui a besoin d’épanouissement : « Le problème d’épanouissement de l’homme, de son humanisation, qui a toujours été d’un point de vue philosophique, un sujet de recherche, est devenu aujourd’hui, une préoccupation lancinante. »511 Il est « un livre-testament de sa présence dans le monde. Dans cet ouvrage, il s’est tout entier livré dans sa grandeur et son intégrité. »512 Il s’agit pour lui, d’une nouvelle manière de présenter sa vision du monde, une dynamique inspirée de l’expérience concrète de la rencontre avec les opprimés.

Notes
506.

Par la foi, nous entendons parler de la foi du pédagogue qui, parfois sans savoir ce que va produire son aventure, fait confiance à l’acte pédagogique qu’il est en train de poser. Ce fut le cas de Pestalozzi, de Makarenko et de beaucoup d’autres artisans de l’éducation. Ce terme dévoile la prégnance de deux attitudes fondamentales qui sont d’une part : la croyance, la conviction et la confiance ; et d’autre part : l’écoute et le regard, la reconnaissance et le respect envers l’éduqué. C. ALBERT, Education de la personne et pédagogies innovantes Le PEI, la gestion mentale et les techniques Freinet, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 80.

507.

P. FREIRE, Pédagogie de l’autonomie, op. cit., p. 20.

508.

G. LEROY, Le dialogue en éducation, Paris, PUF, 1970, p. 121.

509.

Pour Paulo Freire, le but de l’enseignement est de promouvoir l’humain dans l’humanité à travers une liberté que l’éducation doit inciter à la conquête. P. FREIRE, Pédagogie de l’autonomie, op. cit., p. 20.

510.

La personne est une notion difficile à saisir. Elle peut être pensée, mais n’est pas scientifique. Jean Lacroix indique que la thématique de la personne participe d’une dynamique « compréhensive plus que d’une explication déductive. Elle est un mystère et le mystère n’est pas ce qu’on ne comprendra jamais, mais ce qu’on aura jamais fini de comprendre. » Il poursuit en montrant que l’idée de la personne n’est ni une philosophie au sens doctrinal du terme, ni une idéologie. Elle est la pensée de l’homme selon sa vocation d’être humain. Elle serait plutôt de l’ordre d’une inspiration, « affirmant l’existence de personnes libres et créatrices, elle introduit un principe d’imprévisibilité qui disloque toute volonté de systématisation définitive, bien qu’historiquement évangélique » J. LACROIX, Le personnalisme comme anti-idéologie, Paris, PUF, 1960, p. 58.

511.

P. FREIRE, Pédagogie des opprimés, op. cit., p. 19.

512.

A.-M. ANAUJO FREIRE, « La pédagogie de l’autonomie de Paulo Freire en France » in, Op. cit., p. 20.