1.2.1. Une nouvelle vision du monde

Dans cette œuvre, il présente sa vision du monde avec un caractère essentiellement rénovateur et réformateur. Reprenant une idée déjà présentée dans Education comme pratique de la liberté 513 , il montre que le monde est une réalité objective, indépendante des hommes, mais susceptible d’être connue. Toutefois, lorsqu’il aborde le thème : « Enseigner exige la conscience de l’inachèvement », Paulo Freire fait une distinction entre le support, et le monde proprement dit. Dans cette analyse, il aborde la notion de ce qu’il appelle : le monde des hommes et des femmes. Dans cette distinction, il présente le phénomène existentiel comme un mode de vie propre à l’être humain. Et cette existence humaine se distingue des autres existences, suite à sa capacité à transformer, à produire, à créer, à décider et surtout à communiquer. La théorie de la praxis occupe une place importante dans la philosophie de l’éducation de Paulo Freire. Cette notion traduit l’idée de l’union que l’être humain est appelé réaliser entre son action et sa pensée, pour canaliser son agir. C’est finalement, l’union entre la théorie et la pratique : « Si cette découverte ne peut être faite à un niveau purement intellectuel mais doit être liée à l’action, il nous paraît fondamental que celle-ci ne devienne pas un pur activisme, mais soit associée à un sérieux travail de réflexion. C’est seulement ainsi qu’elle constituera une praxis. »514 Il définit la praxis, comme cette réflexion conduite par les éducateurs, enseignants et formateurs sur le travail quotidien en vue de son amélioration. En effet, la praxis désigne en quelque sorte, l’action et la réflexion sur le monde, produites conjointement et socialement par les êtres humains dans l’unique but de le transformer515.

La pédagogie de l’autonomie pourrait donc être considérée comme un discours à la fois praxéologique et philosophique. Au delà d’une visée théorique, son langage reflète son souci de rigueur méthodique. La philosophie de l’éducation de Paulo Freire est orientée vers une vision optimiste de l’être humain : il croit en l’éducabilité516. C’est sur ce principe philosophique que s’enracine son discours pédagogique et éducatif, tenu de manière récurrente et cohérente dans ses ouvrages : Pédagogie des opprimés, Pédagogie de l’espérance, Pédagogie de l’autonomie, L’éducation comme pratique de la liberté et beaucoup d’autres. A vrai dire, il est convaincu, que l’être humain est caractérisé par une plasticité mentale et physique qui le rend modifiable tout au long de sa vie. Il ne doute pas, que c’est par l’éducation que la vie humaine se transforme en existence. Pour cela, il considère l’être humain comme capable de développement physique, affectif, cognitif et social durant toute sa vie biologique, sous l’effet du processus d’éducation. Mais ce développement repose sur une condition : la prise de conscience par l’être humain, de son inachèvement en même temps que de sa capacité à dépasser cet état, par un effort permanent de vouloir être toujours plus :« l’éducation conscientisante part du caractère historique des hommes et les reconnaît comme des êtres en devenir, comme des êtres inachevés, non accomplis, dans et avec une réalité qui, étant également historique, est également inachevée. »517 Cette perspective oriente l’injonction, ce qui signifie que l’acte d’enseigner est indissociable d’une prise de conscience de l’inachèvement.Cependant, nous ne devons point ignorer que tout homme naît quelque part, au sein d’un groupe humain uni par une culture qui lui a donné la vie. C’est pourquoi, l’homme reste toujours un être conditionné. Enseigner revient donc à reconnaître cette réalité « d’êtres conditionnés » qui caractérise toute personne. Mais au lieu qu’elle devienne source de blocage de la liberté, elle doit générer un débat de fond, sur les possibilités du développement de l’autonomie chez l’être humain. Il est donc possible de dire : « puisque tout savoir est toujours soumis à des conditionnements socio-historiques, il faut faire en sorte que, la transmission de ce savoir devienne en réalité un véritable travail humain, source de problématisation. »518 Ce processus ne peut se faire, sans que ne soit revues les méthodes pédagogiques aliénantes imposées, notamment la vision bancaire de l’éducation.

Notes
513.

P. FREIRE, Educação como pratica da libertade, Rio de Janeiro, Editora Paz e Terra, 1971, p. 39.

514.

P. FREIRE, Pédagogie des opprimés, op. cit., p. 44.

515.

Thème qu’il avait déjà abordé abondamment dans son oeuvre Pédagogie des opprimés, op. cit., p. 58.

516.

Propriété de ce qui est éducable, de ce qui peut être éduqué. Le postulat d’éducabilité est à la base de toute action éducative. Si l’on admettait pas qu’un sujet soit éducable ou modifiable, on ne pourrait concevoir, à son intention, aucune action éducative ou de formation. D’une manière plus spécifique, on entend par éducabilité cognitive, l’éducabilité des fonctions cognitives. L’acceptation d’une telle éducabilité revient à renoncer à l’idée d’une possibilité d’apprentissage limitée à une période particulière de la vie, à l’idée d’une évolution des fonctions mentales liées au seul développement physique. Le rôle de médiateur entre le sujet apprenant et l’environnement, serait déterminant pour stimuler le potentiel d’apprentissage à l’origine de l’éducabilité. Cf. J. BERBAUM, « Educabilité » in, Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Paris, Nathan, 1998, p. 341.

517.

P. FREIRE, Pédagogie des opprimés, op. cit., p. 66.

518.

A. SILVA, L’école hors de l’école. L’éducation des masses, op. cit., p. 76.