4.1.1. Se laisser bousculer par la jeunesse

Ce faisant, la révolte des parents s’interdit tout avenir. Elle s’éloigne du dialogue nécessaire entre les adultes et la jeunesse pour la transformation sociale. Elle ignore qu’au cours d’un combat, l’homme se défend d’abord avec l’arme qui est à sa disposition, avant d’attendre un soutien extérieur. Et la méthode pédagogique libératrice a le devoir d’accepter la jeunesse, sachant que cet engagement est une lourde responsabilité qui comporte ses hauts et ses bas. C’est pourquoi, elle est invitée à s’éloigner de ce radicalisme stérile qui n’offre aucun avenir à la jeunesse. Ce sentiment aveugle, « loin d’améliorer le monde, lui donne un goût d’amertume et de désespoir. Ce repli et ce dégoût sont graves, devant la jeunesse comme devant la société tout entière. »684 Autrement dit, c’est en acceptant de faire face à la contestation des jeunes qu’on pourra cultiver la patience nécessaire pour affronter le monde dominant. On ne peut prétendre éduquer sans prendre le temps de cultiver le sens de la patience. C’est une vertu nécessaire pour ceux qui veulent participer à la transformation sociale. Comment transmettre aux jeunes l’idée selon laquelle, ils constituent l’avenir de la société, sans s’efforcer d’entrer dans leur langage, sans accepter qu’ils sont à une période de la vie où l’instabilité l’emporte parfois sur l’harmonie stable du caractère ? Tout éducateur devrait normalement méditer la leçon d’Antigone et apprendre d’elle, que l’ordre existant est parfois injustifiable et appelle à certaines heures le refus. Mais avant de transformer la société, il faut d’abord se transformer soi-même, à travers l’acceptation des autres, parfois même, des « bêtises » des jeunes, pour les intéresser à notre message. Après s’être transformé soi-même, on peut alors prétendre à la transformation sociale par la voie de l’éducation des mentalités.

Lorsqu’un Etat ou un gouvernement se plait à violer les droits de l’homme, il est normal qu’il soit placé devant ses responsabilités par la population. On ne peut développer un pays si les citoyens sont privés du minimum vital. Le développement exige un minimum de force physique et mentale, pour travailler à la construction du pays, comme, il est impossible d’acquérir des compétences, sans se former au préalable. Mais l’école capitaliste a montré qu’on ne peut se former sans moyens financiers. C’est ce qui fonde la critique du pédagogue Yvan Illich. Il s’interroge sur le sens de la formation universitaire, si le seul souci est de fournir des diplômés qui coûtent très cher dans leur formation et qui augmentent le nombre de consommateurs pour le bien des capitalistes :

‘« A quoi peut bien servir la formation d’un diplômé de l’université, sinon de le mettre au service des riches de ce monde ? Il aura beau proclamer sa solidarité avec le Tiers monde, sorti de son université américaine, notre diplômé n’en a pas moins bénéficié d’une éducation dont le coût représente cinq fois le revenu moyen, non pas d’une année, mais d’une vie entière, au sein de la moitié déshéritée de l’humanité. Quant à l’étudiant latino-américain, il a, lui aussi, le droit de se joindre à ce club d’élite, puisque son éducation coûte trois cent cinquante fois plus à l’Etat que celle de ses concitoyens de revenu moyen. » 685

Par cette analyse, on se rend vite compte qu’une formation universitaire de qualité exige des moyens financiers suffisants. Encore une affaire de capital ! Ce qui remet en surface, la nécessité d’une conscience éducative qui permet à tous les citoyens, sans exception, d’avoir accès à l’éducation, même si leurs revenus ne le leur permettent pas.

C’est dans cette logique que s’inscrit la pédagogie du développement en essayant, dans la limite de ses moyens, de viser plus haut dans le but de permettre un accès plus large à l’éducation et à la formation. C’est ce que Paulo Freire a fait à travers la conscientisation et l’alphabétisation des masses, une méthode qui a permis de sauver quatre vingt pour cent de la population qui croupissait dans un analphabétisme aliénant686. Une idée rapidement récupérée par l’Unesco687 qui l’a appliquée à tous les pays du Tiers Monde, et particulièrement ceux d’Afrique. Permettre à un grand nombre d’accéder à l’éducation de base ralentit la reproduction sociale de l’identique, et remet en question le contentement tranquille des consciences devant l’ordre établi, malgré son incapacité à permettre à chaque citoyen de vivre de façon descente. L’attitude à laquelle s’oppose la philosophie de l’éducation pour le développement, est cette passivité inconsciente que Margueritte Léna comparait à un « consentement social sans aucun recul critique, soumis à la tyrannie de l’actuel, qui ne permet guère d’œuvrer à une véritable enculturation. »688 Cette pratique pédagogique exige de la part des enseignants, une prise en compte intelligente de ce qui mérite de durer, un respect vigilant du passé et une attention rigoureuse au contexte ambiant. Par des rencontres permanentes entre les apprenants et les enseignants, cette méthode pédagogique aidera les uns et les autres, à mûrir cette attention dans le présent et dans l’avenir, pour envisager les défis à relever dans la perspective d’un développement social fondé sur le respect.

Notes
684.

Idem, p. 243.

685.

Y. ILLICH, Une société sans école, op. cit., p. 64.

686.

A. SILVA, L’école en dehors de l’école, Paris, Seuil, 1980, p. 76.

687.

Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture dont le siège se trouve à Paris.

688.

M. LENA, Op. cit., p. 140.