4.1.2. Promouvoir la solidarité dans le respect

Voulant inciter le monde capitaliste à plus d’attention envers le monde pauvre, dans un discours politique consacré au thème central du développement de la nation, discours prononcé au siège de l’Unesco689 à Paris, le Pape Jean Paul II avait consacré tout un chapitre sur le thème de l’éducation et son impact sur le développement des nations. Il mentionnait que l’éducation devait être considérée comme « une condition universelle de l’accès de l’homme à sa propre humanité. »690 Montrant qu’il appartient au peuple d’éduquer la nation et non de se conformer aux mœurs dominatrices, et tout en montrant l’importance pour l’individu d’appartenir à un peuple pour agir au sein de ce peuple, le Pape revient sur la question de la nation, qui constitue « cette communauté en fonction de laquelle toute famille éduque. »691 Aujourd’hui comme hier, l’œuvre d’éducation a toujours été, la voie par laquelle la société transmet les valeurs pour préparer la jeunesse à assumer son avenir. Ceci est particulièrement important dans les sociétés considérées avant, comme des entités sans grandes mutations692, où tout était perçu de manière cyclique et, où demain était synonyme d’hier693. Dans ce contexte, l’éducation au développement ne peut que s’assigner le rôle consistant à ne préparer les jeunes qu’à s’accommoder aux us et coutumes de la société telle qu’elle est, sans aucun souci de transformation, ni d’évolution. Pourtant, aucune stratégie de développement ne peut avoir de sens, si on ne bouscule pas l’ordre établi et les mentalités dominantes. C’est un droit pour la jeunesse d’être soigneusement préparée, par la voie de l’éducation, à cette permanente éventualité, qui consiste à voir les sociétés en voie de développement, notamment les sociétés africaines, à parvenir un jour à assumer leur propre destin.

Mais aujourd’hui, les choses ont changé et doivent absolument évoluer. Tout semble donner raison à Margaret Mead. Pour elle, le monde évolue tellement vite qu’il devient difficile de prévoir ce qui peut arriver demain. Pour cela, elle préconise qu’il est nécessaire de « former des enfants inconnus pour un monde inconnu. »694 Or, si le choc du futur est devenu une banalité, il n’en garde pas moins ses puissances de vertige. Ce n’est pas sans raison que, le rapport de l’Unesco sur l’éducation en 1972 tentait de prendre à l’échelle internationale cet avenir inconnu vers lequel, avec une vitesse accélérée, le monde contemporain est projeté. Le rapport affirme que : « l’éducation est le lieu par excellence où le choc du futur doit être préparé, ressenti et consenti. »Soutenant que les jeunes doivent être enracinés dans leur culture, le rapport poursuit qu’« il faut aux arbres des racines pour faire face aux ouragans. »695 Au même titre que les conquêtes scientifiques et techniques, ce sont les choix éducatifs que nous faisons aujourd’hui qui doivent déterminer cette ascension vers le monde inconnu auquel tend la société. C’est ce choix qui pourra permettre au lendemain d’être habitable ou étouffant, fraternel ou hostile. Dans une large mesure, ce devoir incombe aux éducateurs d’aujourd’hui.

La responsabilité de la pédagogie du développement est de conscientiser les jeunes pour les préparer à la lucidité et au courage qu’appelle l’engagement pour l’établissement d’un ordre social juste et équitable. Tout développement en dépend. Ces possibles et ces défis sont parfois incompréhensibles par les citoyens, suite au complexe d’infériorité et à l’absence de tout esprit critique. Il n’est pas rare de trouver en Afrique, des personnes qui, en plein troisième millénaire comme celui-ci, pensent encore qu’il y a des hommes faits pour diriger, et les autres faits pour obéir. Il est incompréhensible, qu’aujourd’hui, alors que la démocratie et les droits humains sont les valeurs les plus défendues et les plus médiatisées, on en soit encore à ce stade de réflexion. Cela montre à quel point, le semblant d’éducation qui se pratique, fait des ravages dans la mentalité africaine. Il n’est pas rare de rencontrer des jeunes étudiants qui n’ont qu’une seule idée dans la tête : passer leur diplôme universitaire, se présenter à un concours officiel de la fonction publique, parfois jusqu’à monnayer l’accès à leur poste et se trouver un travail pour continuer la même pratique. Face à cette mentalité, les éducateurs sont invités à un peu plus de courage et de détermination. La démarche consistera à conscientiser tous les hommes qui souffrent de l’ignorance entretenue par les pouvoirs en place dans le but de poursuivre en toute tranquillité l’œuvre pillage des biens de la population. Il sera question d’aider les populations démunies à prendre conscience de leur état d’opprimés, et de leur donner les moyens intellectuels de leur expression. Pour cela, il n’y a pas mieux que l’éducation politique, responsable et citoyenne, comme l’affirme Paulo Freire. Il pense que le fait d’expliquer aux populations leur propre action, équivaut à éclairer leurs consciences et à préciser l’action qu’elles sont appelées à entreprendre. Par conséquent, « plus les populations découvrent la réalité qui les met au défi, plus elles s’insèrent en elle d’une manière critique. Alors elles contribuent à accélérer consciemment le développement ultérieur de ces expériences. »696 Mais cet engagement exige un minimum de rêve. Pour bâtir, l’homme doit oser rêver, oser espérer qu’un lendemain de justice est possible.

Notes
689.

Jacques Maritain avait joué un rôle clé dans la mise en place de cette structure après la seconde guerre mondiale. Le discours qu’il prononça à Mexico en 1949 alors qu’il présidait cette assemblée, restera dans les mémoires. Jusqu’à présent, les fondements de ce discours sont parmi les grands idéaux que défend l’organisation, notamment la paix, à la culture et le développement solidaire.

690.

Documentation catholique, N° 1788, 1980, p. 606.

691.

JEAN PAUL II, Discours à l’UNESCO, 2 juin, 1980, § 14. Cette présentation a été reproduite par mensuel La documentation catholique, N° 1788, p. 606.

692.

Nous faisons allusion aux sociétés africaines pour lesquelles beaucoup d’encre à coulé afin de démontrer qu’elles étaient des sociétés sans histoire. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui avec l’expression « Tiers-Monde » : elle traduit des considérations qui mettent les pays d’Afrique et d’Amérique latine en marge du monde. On considère que les mutations en cours ne les concernent pas. Où si elles les concernent, c’est de façon aléatoire. Cf. C. A. DIOP, L’unité culturelle de l’Afrique Noire, Paris, Présence Africaine, 1974, p. 55.

693.

Dans plusieurs langues et dialectes, demain veut dire hier. Cette conception cyclique du temps traduit une vision du monde qui accorde moins d’importance à l’avenir en privilégiant l’immédiateté. C’est le cas du Burundi où le terme « ejo » signifie à la fois : hier et demain. Le Lingala aussi véhicule la même conception, car le terme « lobi » veut dire à la fois : hier et demain. Ce qui signifie, que ce qu’on n’a pas réussi à faire hier, on le fera demain. En somme, on ne se presse pas dans la réalisation des projets.

694.

M. MEAD, Le fossé des générations, Paris, Denoël, 1971, p. 148.

695.

Apprendre à être, Paris, UNESCO, 1972. (Rapport annuel sur l’éducation).

696.

P. FREIRE, Pédagogie des opprimés. Suivi de Conscientisation et révolution, Paris, La Découverte, 2001,p. 31.