4.2. Exigences pédagogiques du développement

C’est devenu presque une banalité aujourd’hui, de dire que l’Afrique est en pleine mutation. C’est plus qu’une simple mutation, elle est en ébullition701. En observant ces tourments, certains analystes y remarquent la trace d’une grande marque du sous-développement traduit notamment par : l’instabilité politique et le mécontentement populaire qui sont l’expression d’un retard économique et social persistant en Afrique depuis plusieurs années. D’autres préfèrent parler d’un processus de maturation politique qui suit naturellement son cours, avec une plus grande liberté de la part des peuples à dire non à certaines pratiques, même si cela leur coûte parfois très cher. Enfin, il y a un autre groupe d’analystes qui voit dans cette ébullition, l’expression d’une lente et difficile prise de conscience de la dépendance intérieure et extérieure, qui caractérise l’ensemble des sociétés africaines et, qui désormais doit chercher les moyens de se frayer le chemin de l’indépendance, au moins politique. Notre but n’est pas de juger le bien fondé de ces analyses, mais de montrer que le constat d’une crise généralisée gagne du terrain en Afrique et s’impose à tous indépendamment des couleurs politiques et des intérêts économiques. Le modèle de développement que l’Organisation des Nations Unies avait proposé pour l’Afrique après les indépendances n’avait pas tardé à montrer ses limites. Par la suite, la même organisation a imposé les programmes d’ajustements structurels qui se sont aussi soldés par un échec, comme le montrent les nombreuses études récentes sur le sujet702. Mais ce ne sont pas seulement ces stratégies imposées de l’extérieur qui ont montré leurs limites. A l’intérieur des Etats, il y a eu des tentatives internes, initiées par des spécialistes locaux et les acteurs du développement local. Dans toutes ces tentatives, rien n’a permis de changer la situation des populations703. En plus de toutes ces tentatives qui se sont montrées inefficaces, une nouvelle forme de lutte pour le développement social s’est instaurée. Les uns croyaient dans la lutte politique et se sont mis à créer des partis d’opposition. Si en Afrique de l’Ouest, cette stratégie s’est avérée payante, car plusieurs pays de cette partie du continent sont aujourd’hui dirigés par des anciens opposants704, la situation n’a pas du tout évolué du côté de l’Afrique centrale où, ce sont toujours les mêmes personnes qui ont réussi à se métamorphoser, pour s’adapter à la nouvelle donne. Aux côtés de ces formes d’oppositions institutionnelles, les plus courageux ont opté pour le changement par la lutte armée, comme ce fut le cas en Centrafrique, au Rwanda ou au Burundi où cela a débouché sur une alternance démocratique.

Mais si les choses se sont améliorées dans certains pays, le cas n’a pas été le même dans les pays où les dirigeants rebelles, après avoir pris le pouvoir, ont confondu la gestion d’un pays à la gestion d’une rébellion. Une attitude qui n’est pas de nature à arranger les affaires de la problématique du développement en Afrique705. La remise en cause de ces stratégies opposées de développement social, remet en débat, la question du vieillissement des conceptions globales qui se présentaient autrefois comme les seules voies pour l’Afrique, d’enclencher la voie du développement. En rapport avec l’éducation, chacune de ces idéologies avait sa conception de l’éducation. Suite aux échecs rencontrés, on peut en déduire, que ce sont les objectifs même de l’éducation qui sont en crise en Afrique. Dans cette étude, nous essayons de voir quelle est la stratégie de développement qui serait en mesure d’apporter une lueur d’espoir après toutes ces tentatives qui, dans l’ensemble, traduisent une réelle volonté de participer au développement social. Nous pensons qu’une nouvelle philosophie de l’éducation fondée sur la promotion de la liberté comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, serait à la base d’un nouvel élan, pour un développement solidaire en Afrique. Cependant, il faut voir, quelle pédagogie appliquer dans ce contexte où il y a une histoire, une culture et une mentalité précises.

Notes
701.

Pour comprendre ce propos, il suffit de se référer à l’actualité. C’est là qu’on s’aperçoit que les choses ne sont pas aussi simples, tant pour les dirigeants que pour les populations. Au Tchad, c’est le problème de la mauvaise gestion qui met en permanence le feu aux poudres. Après avoir modifié la constitution pour devenir président à vie, il ne se passe plus une année, sans qu’on entende les bruits des bottes dans ce pays. Dans ces situations, il est difficile de parler de construction nationale. En Centrafrique ce n’est pas mieux non plus. La Croix rouge internationale a suspendu ses activités, pour cause d’insécurité, après avoir vu ses cadres enlevés par les rebelles dans la partie nord du pays. Le chapelet des constats peut encore s’allonger. Il y a aussi ces différentes violations des Droits de l’Homme qui se passent dans l’ancienne Afrique belge. Pour faire allusion à la situation difficile des pays d’Afrique des Grands Lacs, Stephen Smith publiait le célèbre ouvrage : Négrologie : pourquoi l’Afrique se meurt, Paris, Calmann-Lévy, 2003. Ensuite, il publiait un Atlas de l’Afrique dans lequel on pouvait lire ce titre : Atlas de l’Afrique. Un continent jeune, révolté, marginalisé, Paris, Autrement, 2005. Pour ce qui concerne l’Afrique des Grands Lacs, seul le titre est révélateur aux pages 52 et 53 de cet atlas : « La guerre de fragmentation et la logique génocidaire. » Au de-là de ces observations qui montrent que le continent est effectivement en ébullition, il faut noter que ces observations n’ont pas pour but de montrer que la vie est impossible en Afrique. Loin de nous cette idée. Le souci est d’exposer les différentes situations que vivent les citoyens de cette partie du monde au quotidien. Notons aussi que ces situations sont à comprendre, comme des douleurs de l’enfantement à mettre à l’actif de l’évolution de chaque peuple et de l’histoire de chaque pays.

702.

D. ETOUNGA MANGUELLE, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustements structurels ?, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 54. On peut aussi lire pour complément d’information, le célèbre ouvrage d’Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ?, op. cit. p. 112.

703.

KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ? Bousculer l’imaginaire africain, essai d’éthique politique, Paris, Cerf, 1991, p. 134.

704.

Presque toute l’Afrique de l’ouest est dirigée aujourd’hui par des anciens opposants aux régimes des partis uniques qui avaient cours avant la conférence internationale de la Baule où le président socialiste français de l’époque, François Mitterrand exigeait aux chefs d’Etats africains l’ouverture démocratique. On le voit au Sénégal, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Mali et dans beaucoup d’autres pays. Seuls la Guinée et le Niger font encore figure des mauvais élèves.

705.

Si au Rwanda, le président Paul Kagamé a réussi à moderniser les institutions et à travailler pour un vrai développement national, le cas reste différent dans les autres pays qui ont connu une alternance politique tragique. Au Tchad, en Centrafrique ou en République Démocratique du Congo, les rebelles qui ont renversé les dictatures n’ont pas pu faire la différence. Que ce soit Idriss Déby au Tchad, Joseph Kabila en République Démocratique du Congo ou François Bozize en Centrafrique, personne ne parvient à prendre réellement le chemin de la démocratie constructive.