4.2.3.3. La prise en compte de l’environnement de l’apprenant

En mettant l’accent sur l’environnement immédiat et lointain de l’apprenant, Paulo Freire voudrait attirer l’attention de l’Etat sur cette question souvent considérée comme secondaire. Il voulait que l’Etat s’occupe de toutes les question relatives à l’éducation, y compris l’aménagement des lieux d’apprentissages. Il montre que le désintérêt pour les conditions matérielles de l’école à São Paolo atteignait des niveaux inacceptables. Paulo Freire pense que l’environnement dans lequel se passe l’apprentissage joue un rôle important dans l’acquisition de la connaissance. Horrifié lors de la visite d’une école il déclarait :

‘« Lors de mes premières visites dans ce réseau presque dévasté, je me demandais presque horrifié : comment solliciter de la part des enfants un minimum de respect des cartables, des tables, des murs, si les pouvoirs publics manifestent une absolue déconsidération de la chose publique ? Il est incroyable que nous n’imaginions pas la signification du « discours » formateur que produit une école respectée dans son espace, que nous négligions l’effet de l’éloquence du discours « prononcé » dans un cadre architectural où le sol est propre, les salles sont belles, l’hygiène des sanitaires est respectée et même où les fleurs ornent l’espace. La matérialité de l’espace a un effet pédagogique indiscutable. » 747

Cette critique de l’aspect extérieur de l’apprentissage, montre que dans la pensée pédagogique de Paulo Freire, l’aspect esthétique dispose d’une place de choix. A vrai dire, certaines personnes abordent la question éducative uniquement sous un angle idéologique où l’on ne voit seulement que les deux acteurs que sont : l’enseignant et l’apprenant. On oublie que l’espace dans lequel se passe l’apprentissage a besoin d’être propre et habitable, afin que la santé physique des acteurs ne soit fragilisée. Le changement des mentalités n’exclut pas le changement des structures et de l’environnement immédiat. Cet exemple est aussi perceptible au Nord du Cameroun, notamment au Grand séminaire de Maroua où nous avons fait partie du groupe des responsables pendant un certain temps. Les missionnaires Oblats de Marie748, sous prétexte de respecter la culture des peuples du Nord-Cameroun ont construit des locaux en matériaux durables, mais empruntés sur le modèle de l’habitat traditionnel local. L’initiative de construire un lieu de formation pour la jeunesse de cette partie du Cameroun est à saluer. Mais ce souci de vouloir rester dans une sorte « d’enferment culturel », sous prétexte de « respect de la culture locale », est une hypocrisie insoutenable. Plus tard, lorsque les missionnaires de la congrégation des Pime749 ont pris la charge de l’établissement, ils ont refait l’ensemble des structures, offrant aux peuples de cette partie du pays, un espace propice à l’apprentissage, à l’enseignement et au partage d’expériences. Des structures susceptibles de répondre aux défis de la mondialisation et du futur, bien que ce soit encore loin de l’idéal.

Ces éléments qui, en apparence semblent s’éloigner des réalités culturelles locales, sont pourtant nécessaires pour faciliter l’accès au savoir. En tout cas, on a besoin d’étudier dans un environnement viable. Pour mieux apprendre, le sujet apprenant a besoin d’un minimum de conditions viables. Ce qui importe dans une pratique pédagogique promotrice du développement, ce n’est pas la répétition mécanique de tel ou tel geste, mais la compréhension de la valeur des sentiments, des émotions, du désir et le dépassement de l’insécurité psychologique qui est à l’origine du courage et de la fierté de l’apprenant. On peut comprendre que le respect de la culture n’est pas en contradiction avec l’amélioration du cadre d’apprentissage. Certes, les bonnes idées sur l’égalité culturelle sont répandues partout et extérieurement soutenues par beaucoup de gens. Mais l’absence de progrès dans la mentalité de respect entre les hommes, devrait nous conduire à tempérer les enthousiasmes. Surtout, que certains partisans de la supériorité culturelle restent persuadés qu’ils ont raison. Pour répandre leur domination sur l’humanité, ces gens n’agissent pas en amateurs. Ils planifient le processus de leur conquête et utilisent parfois les dirigeants des peuples dominés. Pour savoir dans quelle voie orienter l’action de la philosophie de l’éducation pour le développement à la lumière de l’analyse freirienne, il nous faut chercher à comprendre les stratégies pour la pérennisation de la domination des puissants sur les faibles.

Notes
747.

Idem, p. 67.

748.

Congrégation fondée par Eugène de Mazenod, ancien évêque de Marseille. Elle s’occupe de la promotion des cultures locales dans le secteur où la nécessité se fait sentir. En Afrique, ces missionnaires sont présent au Cameroun, au Nigeria, en République Démocratique du Congo, au Tchad et en Afrique du Sud.

749.

Prêtres des Missions Etrangères de Milan.