Conclusion générale

A la fin de ce travail, nous pouvons retenir une chose : le problème du développement de l’Afrique est une question de mentalité, et non un problème structurel ou matériel. Etant donné que c’est une question de mentalité, l’éducation devient le moyen privilégié, pour transmettre une conscience d’autonomie, d’indépendance et de participation à la vie citoyenne : « Eduquer les hommes, c’est la clef de voûte de toute action en faveur du développement. »751 Nous avons commencé par aborder la problématique du développement, avec un accent particulier sur la notion du développement solidaire en Afrique. Notre souci était de justifier la nécessité de placer la personne humaine au centre de toutes sortes de processus de construction sociale. La pratique éducative a pour responsabilité d’aider le citoyen à prendre conscience de ses droits et de ses devoirs. Cette connaissance de ses droits lui confère les moyens de participer au processus de développement démocratique ayant la pleine conscience du bien fondé de son engagement. Mais ce processus ne se contente pas de répéter les expériences qui ont montré leurs limites dans le passé. Voilà pourquoi, nous avons soutenu la perspective d’un développement fondée sur la conscience de chaque citoyen, de ses potentialités et de sa capacité à influer sur le cours de l’histoire. Il s’agit d’un processus qui vise à la fois, la promotion de l’homme et son émancipation. Puisqu’il s’agit d’un homme vivant au sein d’un contexte historique précis, avec des aspirations précises, on ne peut se permettre d’aborder cette question, en faisant fi de la dimension culturelle. Le vrai développement est celui qui prend en compte l’intégrité de la personne dans ses dimensions physique, culturelle, économique et spirituelle. Pour le cas de l’Afrique, la société démocratique est nécessaire au le développement car, même si aucun régime politique ne peut se prétendre meilleur, la démocratie vise malgré tout, la réalisation et l’épanouissement de la personne en lui conférant la possibilité de participer pleinement à la gestion de la cité.

La crise du développement en Afrique ne peut mieux se comprendre qu'en prenant en compte, dans une analyse sociologique, les contextes national et international dans lesquels gît le continent notamment depuis les années d'indépendances. En l'Afrique d'aujourd'hui, les villages et les villes sont des lieux de pouvoir, de constructions sociale, culturelle, politique et économique. Bref, des lieux d'adaptation des populations africaines en dehors des champs étatiques et des grandes institutions internationales de développement. Et qui dit adaptation, dit aussi créativité. D’où l’importance croissante du rôle de l’éducation. Sans tomber dans l’illusion de croire que l’éducation pourrait résoudre tous les problèmes liés au développement, nous restons persuadés qu’un questionnement de la pratique éducative actuelle ouvrirait la piste à une réflexion sur le développement dont a besoin l’Afrique contemporaine, à l’heure de la mondialisation. On ne développe pas un peuple, mais c’est le peuple qui se développe lui-même. On ne développe pas le milieu rural ou le milieu urbain. Les deux milieux font partie d'une société globale qui se développe de manière interdépendante. C'est pour cette raison que la démocratie, le respect des Droits et des libertés deviennent comme les principaux vecteurs du développement. En Afrique comme ailleurs, la démocratie et le développement sont comme les deux faces d’une même médaille et la culture en constitue la charnière omniprésente. Dans le contexte de sortie de la guerre mondiale, Jacques Maritain a essayé de réfléchir à la nécessité d’une démocratie participative où le bien être du citoyen se trouve au centre des préoccupations du pouvoir, et sur le fait que le citoyen a la possibilité de remettre en cause ce pouvoir, chaque fois qu’il n’assume pas valablement ses responsabilités. Il soutient que c’est par le biais de l’éducation à la liberté et à la démocratie, qu’il est possible d’accéder à un tel objectif. Pour y parvenir, la société est dans l’obligation de prendre en compte la contribution de tous les acteurs notamment, les confessions religieuses, les mouvements sociaux et les syndicats. La responsabilité incombe à chaque citoyen de participer à l’édification d’une histoire dont personne n’a le droit d’écrire pour l’autre. Pour ce faire, chaque citoyen est consulté pour donner un avis sur la constitution d’une société de justice. Si Jacques Maritain a proposé une philosophie de l’éducation pour promouvoir la paix, la justice et le développement après la seconde guerre mondiale, il n’a pas pu l’appliquer et n’a pas vu non plus son application se réaliser sur le terrain.

Par contre, nous avons fait recours à Paulo Freire qui s’est inspiré de la lecture socio-anthropologique, pour proposer une véritable stratégie pédagogique de libération sociale pour le développement de chacun et de tous. Après avoir constaté la situation déshumanisante dans laquelle la plupart des citoyens des pays en voie de développement se trouvaient, il a éprouvé la nécessité d’aider ceux-ci à prendre conscience de cet état inacceptable, non voulu par la nature, pour bâtir un avenir d’espérance. Considérant que la situation de pauvreté est la conséquence de l’arrogance des riches qui ne s’intéressent qu’à leur intérêts économiques, sans aucune préoccupation pour la dignité et le bien être des populations locales, il a construit une pédagogie dont la finalité est de redonner de l’espoir à ces victimes d’une attitude fondamentalement inhumaine. Même si son approche s’inspire d’une situation précise en Amérique latine, et qu’elle a aussi des limites, ces analyses sont d’une fécondité bénéfique pour tous les pays en voie de développement, y compris les pays d’Afrique. D’ailleurs, il précise que son observation ne concerne pas seulement les opprimés, mais que les oppresseurs aussi ont besoin d’être libérés d’une trop grande dépendance qu’ils ignorent. Pour cela, il est important de mener une action culturelle qui se réalise dans une praxis des hommes ayant en vue, le dépassement des aliénations, les contraintes auxquelles ils sont soumis, ainsi que « leur affirmation en tant que sujets conscients et créateurs de leur propre devenir historique. La conscientisation en est la méthode de travail. C’est une pédagogie politique qui peut être définie par opposition à ce qu’est l’éducation systématique traditionnelle. Celle-ci se fonde sur un transfert autoritaire du savoir d’un enseignant tout-puissant, vers des apprenants absolument ignorants752.

Notes
751.

P. FARINE, Une terre pour les hommes. Vaincre la faim pour le développement, op. cit., p. 91.

752.

P. DOMINICE et allii, « Conscientisation et révolution : Une conversation avec Paulo Freire » in, Idac, Document 1, p. 1.