1. De la critique à la proposition concrète

La critique de la pédagogie traditionnelle est complétée par une proposition concrète des méthodes pour se libérer de l’aliénation pédagogique. Il ajoute, que « la conscientisation se présente comme un processus éducatif dans un sens beaucoup plus large. Elle refuse cette transmission d’un savoir fini, achevé. Dans une perspective libératrice, l’éducation est un acte de connaissance dont l’objet est le monde réel, la réalité vécue quotidiennement par les hommes qui doit être connue et transformée. »753 Toutefois, cet acte de connaissance ne se passera pas dans une relation de dominant-dominé, mais au cours d’un dialogue où chaque participant apporte sa richesse et ses interrogations à l’autre au cours d’une démarche fondée sur le respect mutuel entre l’apprenant et l’enseignant. Il le rappelle en ces termes : « Cet acte de connaissance est une entreprise commune, où professeurs et étudiants se retrouvent dans un rapport de dialogue non autoritaire. »754 La révolution éducative proposée par Paulo Freire, est une voie nécessaire pour toute société qui veut se libérer de la pauvreté mentale, spirituelle, culturelle et matérielle, qu’elle soit imposée ou non. La perspective d’un développement solidaire pour Afrique n’est pas une mince affaire. Il s’agit d’un processus complexe et plein d’embûches. Il appartient aux acteurs de l’éducation au développement d’en prendre conscience. D’où l’importance de la philosophie de l’éducation qui sou tend cette pratique. Après les échecs rencontrés par le système scolaire mis en place par l’administration coloniale et qui continue de fonctionner jusqu’aujourd’hui malgré les échecs rencontrés, il apparaît comme urgent de proposer une sorte de nouveau paradigme éducatif qui se fonde sur la rupture avec les modèles traditionnels. Si l'on veut qu'ils jouent pleinement leur rôle dans les sociétés d'aujourd'hui et de demain, il est nécessaire d'être critique à l’égard des pratiques socio-démocratiques en cours. L’éducation a la responsabilité d’éveiller l’esprit des citoyens pour les rendre capables de mener cette critique de façon constructive. La première tâche consiste à mettre en évidence les contradictions internes à la gestion politique ponctuée des abus en permanence. Ensuite, il est nécessaire de mettre en lumière les paradoxes inhérents aux rapports entre l'État et les mouvement qui prétendent défendre les droits des citoyens. Dans tous les cas, on ne peut plus penser la question du développement uniquement de manière endogène. La dimension internationale devient de plus en plus importante qu’elle mérite d’être prise en compte dans tout processus qui prétend œuvrer à l’émancipation des peuples. La question est de promouvoir un cadre de débat autour de la démocratie et du développement dans une Afrique où depuis plusieurs années, le problème à élucider demeure celui de savoir quelles sont forces de changement dans les pays du Nord résolues à créer les conditions d'une démocratie vraie et à promouvoir un réel développement. Mais il s’agit aussi de s’interroger sur les mécanismes mis en place par les pays du Nord, pour continuer à maintenir les Etats africains dans une dépendance déguisée en « aide au développement ».

Plutôt que d’évoquer un simple processus éducatif pour le développement, nous avons choisi de proposer un nouveau paradigme éducatif pour l’Afrique. Ce paradigme consiste à faire le choix d’une pédagogie qui se préoccupe fondamentalement de l’épanouissement intégral de l’homme et les moyens pédagogiques permettant d’y parvenir. Il s’agit de concevoir une pédagogie qui perçoit la réalité sociale comme une totalité historique à transformer par une participation citoyenne responsable. Il prend en compte les dimensions politique, économique, historique, anthropologique, transcendantale et environnementale de l’apprenant. Il évite de trouver par tous les moyens, les boucs émissaires à qui il faut faire porter les fautes du passé et du présent, pour faire en sorte que chacun assume pleinement ses responsabilités citoyennes, en toute liberté. Ce paradigme permet de s’éloigner d’une attitude machiavélique qui laisse « immaculés et sans tâches », les acteurs de la politique africaine qui, sous le prétexte d’indépendance, confondent la gestion des Etats à la gestion familiale. Une telle philosophie de l’éducation s’appuie sur une pédagogie où l’objectif n’est pas d’interpréter de façon livresque la réalité historique, mais de la lire en vue de sa transformation. Elle s’emploie à entretenir un lien étroit entre la vie, l’école et le monde. Car, c’est la vie qui est une véritable école, et l’éducation se présente comme un processus de déchiffrage de cette vie réelle qui s’enrichit continuellement par le feu de l’action et de l’engagement social pour le développement et le bien être de chacun. Toutes les barrières entre l’école et la vie doivent s’écrouler, afin de donner à l’enseignement le sens qui lui a été ôté par un système éducatif conçu pour maintenir les populations sous la domination, l’ignorance et le doute sur leurs capacités à innover et à se placer au même pied d’égalité que les puissants. Dans ce travail, nous avons essayé de soutenir une pédagogie qui s’enrichit par la réalité et l’expérience concrète. Si la première partie a permis de mettre au clair la notion du développement et son évolution historique, elle nous a donné l’occasion de justifier que pour se développer, l’Afrique n’a pas besoin d’aller chercher ailleurs l’énergie de son développement, mais qu’elle a les moyens de puiser dans le trésor de ses multiples cultures. Par ailleurs, étant donné que le développement ne peut pas être l’œuvre d’une seule personne ou d’une seule communauté, la nécessité de l’ouverture aux autres cultures et civilisations dans le respect devient une exigence incontournable.

Notes
753.

Ibidem.

754.

Ibidem.