Introduction

J’entreprends d’étudier ici le discours médical du second XIXe siècle, et particulièrement celui d’un médecin lyonnais, Alexandre Lacassagne, en examinant les conditions concrètes de sa formulation. On se situera donc intentionnellement à l’intersection de deux grands champs historiques : l’histoire intellectuelle, et l’histoire sociale de la médecine dans un espace-temps spécifique, Lyon à la Belle Époque. Quelle est la finalité de ce travail ? Il s’agit de cerner les enjeux et les conséquences d’un tel discours, pour mettre en évidence les réponses apportées à ce qui est perçu alors comme un problème – qui devra donc être défini –, et pour circonscrire des « champs historico-problématiques »1.

Une telle étude ne saurait être menée sans fil conducteur. Les sources utilisées, pour l’essentiel le fonds Lacassagne2, placent au premier plan le personnage de ce médecin lyonnais sur lequel il faudra, bien sûr, s’arrêter. Mais la fréquentation assidue de l’ensemble documentaire qu’il a légué ne permet pas seulement de proposer une biographie sociale et intellectuelle du personnage. Cette longue immersion dans ses archives me permet en effet d’affirmer que, en fin de compte, ce qui préoccupe le médecin lyonnais, à l’instar de ses contemporains, c’est l’altérité. L’analyse des discours produits et des pratiques afférentes, ainsi que de leurs enjeux doivent donc être menée. L’étude se concentre sur le discours médical du dernier tiers du XIXe siècle, non seulement parce qu’Alexandre Lacassagne est alors au sommet de son activité professionnelle et de sa renommée, mais aussi parce que cette période pourrait être qualifiée de « moment d’émergence ». Sur le plan scientifique, c’est l’apogée d’une science éphémère, l’anthropologie criminelle, dont Lacassagne est l’un des plus éminents représentants. Au plan politique c’est, bien sûr, la mise en place de la Troisième République, de ses institutions, de ses cadres, et de ses projets.

Fig.1  : Le docteur Alexandre Lacassagne (1843-1924) au moment de sa retraite, vers 1913. (collection particulière)

Qui est Alexandre Lacassagne ? À Lyon, le Docteur Alexandre Lacassagne est une célébrité. Son nom s’inscrit dans la toponymie de la ville : il a son avenue, un lycée éponyme3. Ce faisant, il se fond dans le paysage, et demeure finalement assez méconnu. L’on sait parfois qu’il fut professeur de médecine légale pendant plus de trente ans, et qu’il révolutionna la pratique de l’expertise médicale. Fondateur de l’anthropologie criminelle et de l’école lyonnaise de criminologie, il est souvent mieux connu des historiens du droit4. Sur les photographies [Fig.1], il apparaît comme le type du notable de la Troisième République. La moustache est épaisse, élégamment retroussée ; la silhouette marquée par un onctueux embonpoint ; la pose pleine d’une dignité un peu nonchalante. Alexandre Lacassagne respire la satisfaction et la bonhomie. « Démarche ferme et cadencée, œil vif et gai, parole abondante et colorée, le Professeur Lacassagne présente, dans la physionomie, l’allure, l’habitus général, tous les signes matériels correspondant à ses qualités intellectuelles. C’est un ensemble parfait, l’homogénéité faite homme, l’expression la plus adéquate de l’harmonie physique et morale. »5 Pourtant, pour qui s’attache un peu plus longuement aux pas d’Alexandre Lacassagne, ce portrait si lisse ne tarde pas à présenter quelques dissonances.

Ainsi, lors de son premier séjour en Algérie, alors qu’il est médecin militaire auprès des bataillons d’Afrique, il entreprend de décalquer à même leur peau les tatouages des soldats. Sa collection est aussi conséquente qu’intéressante : elle compte au total plus de deux mille spécimens et revêt aux yeux de Lacassagne la plus grande importance car elle représente « d’une manière absolue les dessins, inscriptions ou emblèmes relevés sur la peau de cinq cent cinquante individus »6. Son but ? Cerner la personnalité criminelle, en vertu de l’hypothèse selon laquelle « le grand nombre de tatouages [donne] presque toujours la mesure de la criminalité du tatoué »7. La pratique peut surprendre. Sur ce point Lacassagne n’est pourtant pas un original. En effet, son initiative est reprise par bon nombre de ses collègues. On doit ainsi à Lombroso, l’alter ego turinois de Lacassagne, une étude sur les Palimpsestes des prisons. Et un peu partout, en Algérie, en Belgique, au Brésil, en Roumanie, des médecins se mettent à analyser les tatouages. Ce ne sont plus seulement les soldats qui sont alors objets d’étude, mais aussi les marins, les prisonniers, les prostituées et les aliénés. En revanche, quand il entreprend de faire reproduire les plus beaux spécimens de sa collection sur des assiettes, Lacassagne n’est plus tout à fait un collectionneur de tatouages comme il y en eut tant d’autres. L’idée, un peu douteuse, a quelque chose d’excentrique qui trouble le portrait si harmonieux dressé par Gérôme Coquard8. À mieux connaître Alexandre Lacassagne, on découvre ainsi d’autres étrangetés. Son arrière-petite-fille conserve ainsi – étrange souvenir de l’illustre aïeul –, le moulage d’une main féminine [Fig.2], qui fait fonction de presse-papier de bronze. Et l’on retrouve le même moulage, cette fois réalisé en fonte, sur la porte de la demeure familiale de Villerest, non loin de Roanne, où le médecin aimait à passer en famille les mois les plus chauds de l’année. Si l’origine exacte de ce « trophée » reste mystérieuse – il pourrait s’agir de la main d’un cadavre que Lacassagne autopsia, ou de celle d’une criminelle qu’il examina –, l’idée de son utilisation à des fins décoratives apparaît curieuse, voire franchement de mauvais goût, même si l’on veut bien admettre que la pratique du légiste explique ce trait d’humour noir.

Fig.2  : Comme presse-papier (ci-contre) ou en heurtoir (ci-dessous), le Docteur Lacassagne fait parfois un étrange usage des moulages anatomiques réalisés dans le cadre de son exercice de médecin légiste…

Il a ainsi fait mouler la main d’une femme, noyée selon ses arrières petits-enfants, dont il admirait la finesse.
Collection particulière.
Photographies de l’auteur.

Dans le fonds documentaire qu’il lègue à la bibliothèque municipale de Lyon, et qui témoigne des activités multiples de l’éminent professeur, on trouve ainsi d’ « étranges documents qui n’émanent ni de [Lacassagne], ni même de ses confrères français ou étrangers »9 : un recueil de chansons, de celles que fredonnaient les prisonniers de droit commun, pour passer le temps, dans les établissements pénitentiaires en cette fin de siècle10 ; une liasse de lettres, celles écrites à l’adresse d’un médecin de l’administration pénitentiaire de Cayenne par des bagnards et qui nous donne à entendre leurs plaintes ou leurs requêtes, comme autant d’échos de leurs vies brisées11 ; un dictionnaire Français-Argot12 ; les courriers adressés par un inverti allemand au Docteur Lacassagne13. Pour Philippe Artières14, « la présence au sein des collections du fonds Lacassagne de manuscrits émanant d’individus ordinaires, et notamment de fragments d’écrits, […] relève […] d’une approche commune à tous les travaux du médecin » : son constant souci de l’infime et, j’ajoute, de l’étrange. De toute évidence, Lacassagne porte un regard original sur le monde : ce qui retient son attention, c’est ce qui se dérobe, ce qui est habituellement frappé d’invisibilité, « non une invisibilité de fait, mais une invisibilité sociale et épistémologique »15, ce que l’on ne voit pas, ce que l’on préfèrerait taire, le secondaire, le marginal et l’infâme.

Homme de science, fermement inscrit dans les perspectives positivistes de son temps, il n’en demeure pas moins particulièrement intéressé par des affaires relevant de l’occulte et du mystérieux, en parfaite adéquation avec son « époque dévoreuse de débats scientifiques, soucieuse de rationalisation, tout en demeurant parfois sous l’emprise d’une pensée magique »16. C’est la même volonté de placer a posteriori quelque mystérieux cas sous les lumières de la Science qui guide l’action de Lacassagne quand il fait de l’histoire de la médecine. Il n’est pas question de dresser un tableau des théories et des pratiques médicales, mais de tenter quelque diagnostic rétrospectif17 et même « de discuter et de détruire d’absurdes légendes d’empoisonnement, et d’arriver ainsi à réhabiliter différents personnages calomniés depuis des siècles »18. La démarche ne surprend plus, aujourd’hui, les historiens ou les médecins qui la pratiquent, mais c’est Lacassagne qui a ouvert cette voie.

À ces étranges objets d’études (tatouages, autobiographies de criminels, etc.), à ces patients peu ordinaires (depuis Georges Apitzsch, l’inverti allemand, jusqu’à ces criminel-le-s qu’il lui fut donné d’examiner au cours de leur procès), Lacassagne applique une méthode d’analyse qui, elle, n’a rien d’extravagant. Par opposition aux « rapports de hautes personnalités scientifiques, s’embarquant dans des considérations platoniques morales et philosophiques, pour arriver à des conclusions flottantes, nuageuses et contraires », on peut souligner avec Gérôme Coquard « les déductions claires, logiques, mathématiques de Lacassagne, délimitant une solution irréfutable »19. À n’en pas douter, si ce dernier a de curieux sujets de prédilection, il a aussi une méthode, et elle est rigoureuse.

Dresser le portrait d’Alexandre Lacassagne semble donc une entreprise plus délicate qu’on a pu le penser de prime abord, mais sans doute plus excitante aussi. D’autres l’ont déjà fait, dira-t-on. Ce n’est pas tout à fait vrai. Si l’on excepte la multitude d’articles parus à l’occasion de son décès dans la presse locale20 ou nationale, et les parutions ponctuelles pour quelque commémoration21 ou sur des sujets anecdotiques mais accrocheurs22, aucune étude véritablement sérieuse et complète n’a encore été tentée sur le médecin légiste lyonnais. Sans doute, ses travaux, et notamment la revue qu’il fonda en 1886, les Archives de l’anthropologie criminelle, de criminologie, de psychologie normale et pathologique, ont été étudiés. Patrick Cardon a ainsi mené en 1984 un travail sur le Discours littéraire et scientifique fin-de-siècle 23 à partir de cette revue. Mais il envisage en fait exclusivement la thématique de l’homosexualité, analysant dans sa thèse « tout ce qui était écrit sur l’inversion », l’ensemble formant tout de même « une véritable encyclopédie du savoir de l’époque, ses hésitations, ses certitudes, ses tensions sur le sujet »24. Quant à Martine Kaluszynski25, elle s’attache à cerner la naissance et le développement de la criminologie en France à la fin du XIXe siècle, relatant les origines variées de ce discours scientifique sur le crime et s’attachant plus particulièrement à la naissance du mouvement criminologique français autour de la revue d’Alexandre Lacassagne. Et si ce dernier « personnifie ce mouvement »26, elle ne tente pas d’en dresser le portrait, en dépit des éléments biographiques qu’elle présente27. D’autres enfin, se sont attachés aux pas d’Alexandre Lacassagne du point de vue de la médecine légale28. Mais finalement, aucune étude globale, qui rende justice à l’ensemble des aspects de la recherche et de la personnalité d’Alexandre Lacassagne n’a été tentée jusqu’ici, quoique l’exposition qui s’est tenue à la Bibliothèque municipale de Lyon, du 27 janvier au 15 mai 2004 y invitait largement29.

Ce n’est pourtant pas une biographie au sens strict du terme que l’on veut écrire ici. On pourrait s’étendre longuement sur les avantages et les inconvénients de la démarche biographique en histoire des sciences. Je retiendrai essentiellement dans ce champ de la recherche historique, la pesanteur de l’héritage de la biographie. La codification du genre est précoce30 : dès le début XVIIIe siècle, les canons de la vie de savant sont fixés dans les « éloges » rituels de l’Académie des sciences. La pertinence du regard rétrospectif sur le travail scientifique est ainsi instituée. Mais dans le courant XIXe siècle, les biographies dites « victoriennes », succombent complètement à l’illusion. Elles se déploient dans d’étroites contraintes moralisantes, élevant la vie de savant au rang d’un véritable genre littéraire où l’on retrouve les envolées lyriques et les velléités moralistes parfois propres aux discours du temps. Le défaut majeur est leur complaisance pour leur objet, encore accentuée par le fait qu’au XIXe siècle la confiance presque illimitée accordée aux progrès de la science leur confère une fonction édifiante. Le savant est un missionnaire, la discipline scientifique une ascèse exemplaire, son objectif terrestre un idéal transcendant. On songe ici à la posture prophétique adoptée par Max Weber pour évoquer la vocation des hommes de savoir31. Pour André Salomon, le « savant » est justement celui dont l’engagement moral et politique dépasse sa fonction intellectuelle. La biographie de savant tient donc, fort logiquement, de l’évangile. Si la valeur documentaire de ces textes n’en demeure pas moins réelle car le lecteur, conscient de leur nature, relativise la portée des appréciations flatteuses et sait lire, entre les lignes, la complexité du personnage, ils présentent toutefois un second défaut : leur tendance systématique à la rétrospection. Car le sujet est perçu en fonction de son aboutissement, ce qui donne une cohérence fallacieuse à une vie présentée comme toute entière orientée vers la réalisation du grand dessein dont le biographe prend acte. C’est ce qui conduit Pierre Bourdieu à parler d’ « illusion biographique »32 : les errements et les hésitations du personnage disparaissent, alors mêmes qu’ils sont extrêmement instructifs.

Il faut éviter de tomber dans une linéarité qui gommerait les inflexions. Le fait de s’intéresser à un personnage unique ne suffit pas à fonder la cohérence du propos. C’est concevoir la personnalité aux pas de laquelle on s’attache de manière bien monolithique. « D’autres grilles de lecture doivent être exploitées, qui prennent en compte les solutions de continuité et les stratifications multiples d’une personnalité, ses constructions successives, les hasards et les moments d’une vie, les influences subies ou exercées »33. On retrouve là l’injonction bourdieusienne à dépasser l’individu à tort confondu avec « l’identité entendue comme constance à soi-même d’un être responsable, c’est-à-dire […] intelligible »34 pour considérer les « différents agents sociaux qui en sont la manifestation »35. Comment ne pas se ranger à cette invitation, quand on entend étudier un homme qui fut à la fois médecin et expert, praticien et enseignant, notable en vue mais visiteur assidu à la prison Saint-Paul et entretenant avec certains de ses hôtes des relations complexes, à la fois médecin, confident, protecteur, bon père de famille et collectionneur de tatouages, mandarin et bienfaiteur36 ?

L’historien biographe est également tenté d’introduire dans sa construction des « effets de réel » pour reprendre l’expression de Jacques Le Goff37. Il faut se garder de ces mirages induits par les sources primaires. Mais la mise en garde vaut pour la rédaction d’une biographie comme pour tout autre travail historique. Il convient de toujours se souvenir que « ces documents ne doivent […] pas être crédités d’un pouvoir immanent de démonstration : en les considérant comme des faits, pour les opposer à l’exégèse, aux théories et aux synthèses en vigueur, on oublierait que les témoignages directs ne sauraient parler d’eux-mêmes »38. Toutefois une telle mise en garde vaut sans doute d’autant plus pour les sources utilisées lors de la rédaction d’un récit biographique, car si le document d’archive donne souvent l’illusion de « toucher à une vérité brute et vierge »39, la lettre ou le journal intime renforcent encore ce mirage.

Marc-Antoine Kaeser met partiellement sur le compte de la mauvaise conscience, qui découle de la position de voyeur alors adoptée par l’historien, sa tendance à surévaluer la sincérité des propos dont il viole l’intimité. Pourtant, même – et peut-être surtout – dans ces écrits intimes, il ne faut pas perdre de vue la possibilité d’une mise en scène de soi, ce qui pose le problème récurrent de la vérité, ou de l’exagération subjective ou emphatique. Les lettres sont faites pour être lues, et s’inscrivent parfois dans le cadre de relations dont il ne faut pas négliger la codification, a fortiori quand il s’agit de lettres professionnelles. Mais même quand il s’agit de lettres intimes, d’un père à son fils par exemple40, la prudence doit être de mise. La relation filiale doit être replacée dans son époque : elle n’a pas grand-chose de commun avec la relation parent/enfant telle qu’elle existe aujourd’hui, si tant est qu’on puisse d’ailleurs la modéliser de manière univoque. Les lettres doivent être, aussi, replacées dans leur contexte de rédaction, tant il est vrai que la pertinence des citations ne s’évalue qu’en fonction de leur contexte d’énonciation.

De même, dans les journaux intimes qui abritent le dialogue le plus proche qui soit, celui d’un individu avec lui-même, avec sa propre conscience, très loin des postures étudiées des rituels de sociabilité, on pourrait être tenté de considérer chaque phrase écrite comme l’expression d’une vérité intérieure. Mais l’introspection ne peut être gage de la lucidité du diariste : il est commun de se mentir à soi-même, et le fait de coucher ses pensées par écrit implique à n’en pas douter le désir, même inconscient, d’un lecteur, fut-il virtuel. « Chaque texte [autobiographique] invente, par son procès d’écriture, un lecteur fictif qu’il interpelle et qu’il convoque »41. Dès lors, il convient de manipuler les journaux avec précaution42 : il ne faut pas confondre le personnage avec le rôle qu’il se joue pour lui-même.

Ces mises en garde apparaissent d’autant plus pertinentes dans le cas d’Alexandre Lacassagne. Car nous sommes indéniablement ici en présence d’un homme qui voulait organiser sa mémoire et qui en a eu le temps, puisqu’il décède – et encore, accidentellement ! – à l’âge de 81 ans. Il est ainsi le principal artisan de la donation de sa bibliothèque, qu’il anticipe largement puisqu’il effectue dès juillet 1913 une première donation, de quelques « cent volumes ou brochures (thèses de [s]es élèves, travaux personnels) dont [il] fai[t] hommage à la Bibliothèque de la Ville en souvenir de [s]es trente-trois années de professorat »43, et lance les démarches nécessaires au don de sa collection concernant Jean-Paul Marat dès le mois d’octobre 1920, soit près de 4 ans avant son décès, survenu en septembre 1924. Il a rédigé le catalogue de cet ensemble documentaire, qu’il a longtemps classé et géré seul44, il lui a donc été tout à fait possible d’y faire des coupes sombres. Cette collection exceptionnelle ne contient d’ailleurs pas que des livres : on y trouve des séries de lettres reçues par Alexandre Lacassagne, et une impressionnante collection de cartes de visites. Ces manuscrits témoignent essentiellement de sa vie professionnelle. On a bien davantage de difficultés à trouver des informations sur sa vie de famille, ses relations amicales, son intimité45, et à ce titre l’exercice biographique paraît presque impossible à mener. En revanche, il est aisé de retracer son réseau de relations, tant professionnelles que sociales, et c’est d’ailleurs peut-être à cette fin que Lacassagne a conservé, puis légué à la Bibliothèque municipale, ces documents. Alexandre Lacassagne serait-il un manipulateur ? Le mot est sans doute excessif. Toutefois, il est certain que la donation préparée de son fonds a une fonction mémorielle. Nombreuses sont les anecdotes qui soulignent l’altruisme du médecin. En novembre 1925, le Docteur Chaurand écrit à Edmond Locard en ces termes :

‘« M. Lacassagne avait beaucoup d’énergie. S’il avait professé des doctrines communistes, il aurait donné la Villa Saïd, et la Villa de Saint-Cyr-lès-Tours aux pauvres de sa paroisse intellectuelle, ce que Anatole France s’est bien gardé de faire.
J’ai deux ou trois pièces rares en fait de bibliophilie. Je les montrai un jour à M. Lacassagne à propos de la méthode adoptée pour son catalogue. Et, après avoir examiné les documents, il me dit :
« –  Et, qu’allez-vous en faire ? 
« – mais les garder soigneusement : ils ont servi à mon éducation, et j’espère les faire servir à celle des miens. Nos devoirs d’altruisme ont, pour moi, la forme de cercles concentriques, forme adoptée par A. Comte, et chippée à Fénelon : la famille, la cité, la patrie. Mais je pense comme vous que nous ne possédons bien que ce que nous donnons. 
« – Répétez-moi cette phrase. »
« – Je répétai : “on ne possède bien que ce que l’on donne” ».
Il prit sa plume, et se hâta de l’écrire sur cette enveloppe, et il me fit un compliment » 46 . ’

L’histoire est peut-être apocryphe. Quoi qu’il en soit, Alexandre Lacassagne cherche sans doute, à l’instar de nombreux notables de son temps, à faire œuvre de mécène. On ne saurait balayer ce genre de témoignage sans autre forme de procès. Mais n’est-il pas légitime de nourrir quelques soupçons à l’endroit d’un homme qui affirmait que « donner sa bibliothèque, c’est continuer sa vie dans l’esprit des autres »47 ?

Dans le fonds documentaire laissé par Alexandre Lacassagne, pas de « vérité brute et vierge » : on peut lire l’architecture de cet ensemble comme un monument funéraire voulu et dessiné par Lacassagne lui-même. Il n’en est pas moins riche de révélations, mais la complexité de l’exercice ne doit pas être sous-estimée.

La tentation biographique est donc grande, d’autant qu’elle fait écho à notre conception de la science même. Car si on a considéré un temps la biographie « comme un exercice inepte, surévaluant le superficiel, l’"acte créateur", au détriment des "conditions de possibilité" du savoir intrinsèquement anonymes »48, cette critique tombe devant la conception nouvelle des savoirs développée dans le cadre des sciences studies contemporaines. « La nature de la science n’est plus aujourd’hui un article de foi »49. Son historicité n’est plus contestée, et par conséquent, sa réductibilité à l’analyse historique : en s’inscrivant dans le courant des social studies of knowledge, on s’attache à souligner le caractère situé du mode de production de la connaissance scientifique. Ce faisant, on admet qu’un fait scientifique est le produit d’un mécanisme complexe, qui nécessite que soient rassemblés différents registres de conditions50. Bien sûr, des conditions matérielles de possibilité de la découverte sont nécessaires : il faut qu’existent les outils indispensables (ainsi, sans microscope, on ne saurait travailler sur l’infiniment petit). Mais il faut aussi que le scientifique dispose des moyens appropriés par lesquels doivent être engendrées et validées les connaissances légitimes. Il doit maîtriser une « technologie littéraire »51 par laquelle les phénomènes sont communiqués à ceux qui n’en ont pas été les témoins directs, et une technologie sociale qui établit les conventions que les hommes de sciences doivent employer dans leurs rapports mutuels et afin d’examiner la légitimité des revendications de connaissance.

Par conséquent, les savoirs sont situés52. Leur analyse ne saurait être menée que dans leur contexte et leur cadre culturel, et on ne saurait faire l’économie de l’étude de ceux qui en sont les créateurs, les scientifiques eux-mêmes. Non seulement située, la science mérite d’être incarnée, d’où la re-légitimation de l’étude biographique. L’intérêt pour cet aspect humain de l’élaboration des savoirs scientifiques résout en effet bien des problèmes classiques en histoire des sciences, à commencer par celui des conflits d’écoles. Dans sa thèse sur la naissance de la criminologie, centrée sur l’étude de l’École lyonnaise et le rôle clé qu’y joue Alexandre Lacassagne, Martine Kaluszynski entendait tourner le problème en récusant le terme même d’école, pour éviter de donner une fausse impression d’homogénéité. Elle dénonçait « toute l’ambition et le leurre qui consistent à faire “parler” un groupe, ou une “école” au risque de gommer les particularités ; car un mouvement par définition est un agrégat de plusieurs personnes, reliées par un même objectif il est vrai, une même conception des choses, mais aux attitudes parfois différentes »53. Par-delà le truisme, on ne peut que souligner un certaine stérilité de la démarche car, finalement, on ne saurait rien dire de l’École lyonnaise de criminologie, de peur d’en caricaturer la pensée, à moins d’en donner une image finalement si fragmentée, qu’elle en devient illisible. Pour sortir de l’aporie, ce n’est pas l’École lyonnaise qu’il faut faire « parler ». Elle ne l’a d’ailleurs jamais fait d’une seule voix, même si elle disposait d’un organe d’expression, les Archives d’Anthropologie criminelle. Pour éviter le double écueil de l’homogénéisation abusive comme de la fragmentation débilitante, il faut cesser de travailler « autour » pour se concentrer sur un personnage, en l’occurrence Alexandre Lacassagne.

Que propose-t-on donc de faire ? On a déjà écrit sur Alexandre Lacassagne, et l’on croit sans doute avoir tout dit quand à l’instar de Martin Kaluszynski, on a fait état de sa « vie modèle »54. La recension de la littérature sur le médecin lyonnais est à ce titre révélatrice. Parmi les écrits de médecins, qui ont publié des articles dont la révérence confine à l’hagiographie, reprenant presque mot pour mot les notices nécrologiques et les divers articles parus au moment de la mort du professeur, mentionnons cette surprenante chronique parue dans la Revue Rive Gauche et signé par le Médecin Général A. Camelin : « Les professeurs Lacassagne et Policard »55. Non seulement figure de l’histoire de la médecine, Lacassagne s’y trouve placé au rang de figure de l’histoire lyonnaise par suite d’une proximité géographique qui pourrait faire sourire si elle n’était énoncée avec tant de sérieux : « La Société d’Histoire de la Rive Gauche a maintes raisons de s’intéresser [au professeur] Alexandre Lacassagne […]. La première est une affaire de voisinage. Un demi-siècle durant […] Lacassagne [… a] vécu et travaillé dans cette maison du 1 place Raspail, proche du lieu des réunions de la Société »56. Si parmi ces études la plupart sont, bien sûr, de bonne foi, le recours essentiel et sans critique aucune à des sources de seconde main, conduit souvent à des répétitions et à l’élaboration d’une image figée et finalement assez stéréotypée d’Alexandre Lacassagne. Issu d’un milieu modeste57, réussissant cependant par l’intelligence58 et par le travail, devenu un enseignant charismatique59, c’est un médecin légiste réunissant en sa personne la « trinité 60 des qualités fondamentales [de ce spécialiste, à savoir] : le bon sens, l’instruction, la probité »61, l’ « animateur hors pair »62 d’un réseau scientifique sans équivalent, et un citoyen engagé, pour le meilleur, dans la cause hygiéniste à laquelle il a « apporté toutes [s]es forces et [s]on complet dévouement »63. Martine Kaluszynski, à laquelle on a emprunté les deux précédentes citations, s’en remet ainsi le plus souvent à Lacassagne lui-même pour en tracer le portrait. Tout au plus se borne-t-elle à remarquer, incidemment, que l’homme « quitte [parfois] le costume de la respectabilité universitaire »64, quand il prend le nom étrange de Djaël pour signer la préface du catalogue de sa bibliothèque. « Olim quercinum, nunc lugdunense quercetum » – autrefois en chêne du Quercy, aujourd’hui en chênaie lyonnaise : telle est la formule de l’ex-libris de Lacassagne65. Peut-être est-il désormais temps de rompre avec cette image de monolithique et inatteignable solidité.

Car s’il ne s’agit pas de vouloir à tout prix ôter à Alexandre Lacassagne son honorabilité, on ne saurait toutefois plus se satisfaire d’une telle vision du personnage, parce qu’elle ne lui rend pas justice. À n’en pas douter, l’homme est plus complexe. D’autres se sont déjà intéressé à certains aspects moins consensuels de sa personnalité. Marc Renneville66 fait le portrait d’un criminologue à la pensée originale. Philippe Artières se passionne pour sa graphophilie67, qui le conduit à entretenir avec les détenus dont il recueille les écrits autobiographiques des relations étroites et inattendues, « un rapport […] contractuel, voire […] un véritable pacte »68. Difficile toutefois d’en savoir davantage : même l’immersion durable dans le fonds Lacassagne, même la recherche d’autres sources documentaires n’ont pas permis de verser de pièce véritablement nouvelle au dossier. L’exercice biographique, pour tentant qu’il soit, ne saurait donc être mené à bien pleinement.

Recentrons-nous donc sur ce dont nous disposons : un fonds documentaire, le fonds Lacassagne, conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon, comprenant plus de 12 000 pièces, volumes et brochures, manuscrits et imprimés, coupures de presse et collection de cartes de visites, autour des thèmes de « l’Anthropologie normale et criminelle, de la Jurisprudence médicale, de la Psychologie normale et morbide, de la Pathologie médico-légale, de la Sociologie, de l’Hygiène et de la Statistique »69. Cet ensemble documentaire considérable a été légué par le docteur Alexandre Lacassagne lui-même à la Ville de Lyon en 1921. La cohérence, le caractère construit du fonds, lisible au regard du catalogue co-écrit par Lacassagne lui-même avec le bibliothécaire adjoint de la Bibliothèque municipale70, peut nous échapper de prime abord, car il rassemble des ouvrages de philosophie, psychologie, sciences sociales et juridiques, philologie, linguistique, médecine, hygiène, esthétique, littérature, etc., et constitue « une source de renseignements précieux pour les psychologues, les sociologues, les juristes, les criminalistes, les historiens, les médecins, les anthropologues, et, en général, pour quiconque s’intéresse à l’évolution physique, sociale et morale de l’humanité »71. Mais ce faisant, elle représente « la pensée directrice de toute la carrière scientifique de son fondateur »72. Voilà qui explique la cohérence de l’ensemble. Voilà aussi qui justifie la tentation biographique, à laquelle j’ai un temps manqué succomber. Car pour pénétrer ce labyrinthe documentaire, il faut un fil d’Ariane. Et la personnalité d’Alexandre Lacassagne paraissait pouvoir en tenir lieu et permettre de saisir ce fonds documentaire dans l’ensemble de ses thématiques et la plénitude de ses enjeux, sans risquer de s’y perdre. D’ailleurs, c’était adopter rien moins que la démarche indiquée par Lacassagne lui-même qui, dans l’autobiographie intellectuelle préfaçant le catalogue du fonds, l’affirme : sa vie, il faut la lire dans sa bibliothèque puisque « Au Livre, [il] a consacré une partie de la vie ; et quand il la revoit dans son ensemble, il est tenté de la diviser en grandes périodes de lectures »73. Cette démarche, l’étude d’une bibliothèque afin de percer les mystères de l’univers mental de son possesseur, n’est pas absolument nouvelle. D’autres historiens, avant moi, ont ainsi recouru aux bibliothèques pour en savoir davantage sur leurs propriétaires. Daniel Roche circonscrit ainsi très clairement le problème qui nous occupe : « Une bibliothèque est-elle un état d’âme ? Telle est la question que peut poser l’étude de la bibliothèque d’un grand savant »74. Non seulement il y répond positivement, mais encore il propose une méthode d’analyse qui permet de mener l’étude du catalogue d’une bibliothèque pour « interroger la possession du livre comme première étape de l’appropriation. En effet, la marque personnelle de son propriétaire peut se laisser découvrir par l’historien car toute collection de livres révèle des choix, des intérêts, des passions, sinon des manies. On peut être sensible à une certaine ferveur et plus encore à une incertaine nécessité qui détermina, il y a longtemps, le fait que tel livre méritait non seulement d’être lu mais d’être conservé »75 et, dans le cas étudié ici, légué à une institution municipale pour être, définitivement, attaché à sa mémoire. Cette ferveur qui attache Alexandre Lacassagne à ses livres, elle peut être lue dans le contrat de son mariage avec Magdeleine Rollet en 1882, « comprenant [alors] deux mille volumes environ, estimée à cinq mille francs »76, sa bibliothèque se trouve formellement exclue de la communauté de biens alors instaurée. Du reste, la dimension révélatrice de la pratique de la collection a été démontrée par la psychologie77, et Krysztof Pomian78 a souligné combien étudier les collections, c’est étudier un comportement humain pour peu que l’on adopte une perspective anthropologique. On ne contestera pas que la collection est toujours issue de l’arbitraire du collectionneur : c’est lui qui opère les choix, accordant aux livres ce « poids subjectif qui se rapporte au contenu du livre, […] à son importance »79. Je pose donc l’hypothèse que l’on peut parcourir le chemin à l’envers et, partant, retrouver derrière la présence de tel ou tel ouvrage sur les étagères de la bibliothèque d’Alexandre Lacassagne, ses motivations. Par conséquent, l’étude d’une collection comme celle que représente le fonds Lacassagne est intéressante d’un point de vue biographique. Par ailleurs, on montrera que ce n’est pas tant en termes de psychisme que d’intentionnalité scientifique qu’il faut y regarder de près. On précisera plus loin la méthode qui permet de l’embrasser aussi exhaustivement que possible du regard, par l’analyse du catalogue de la collection. « En effet, s’il existe une contrepartie au dérèglement d’une bibliothèque, c’est bien la régularité de son catalogue »80. Et quand Lacassagne retrace, dans la préface de cet inventaire, sa « carrière [de] passionné lecturier »81, c’est finalement sa vie même qu’il met en scène, depuis « l’Enfance », âge de l’imagination consacré à la lecture des contes de fées et de Jules Verne jusqu’à « l’Ultime Vieillesse »82 dévolue à celle des moralistes, « surtout Vauvenargues »83, et d’études sur la vieillesse, en passant successivement par « l’Adolescence » (Walter Scott et Lamartine, Victor Hugo et Théophile Gautier), la « Jeunesse » (« les ouvrages de littérature, de science, de médecine »84), la « Virilité » (les ouvrages philosophiques, depuis la Bible jusqu’aux positivistes) puis la « Maturité ».

Mais, plus encore, ce sont les préoccupations de son temps, ces problèmes propres à une époque, un pays, un groupe spécifique évoqués par Pierre Rosanvallon 85 , qui sont lisibles entre les lignes du fonds Lacassagne et de son catalogue. Criminels et fous, hermaphrodites ou invertis, génies, dégénérés, femmes, enfants et vieillards, primitifs, sauvages : voilà les personnages qui hantent la pensée médicale du docteur Lacassagne et de ses contemporains. Quel est leur point commun ? Ce sont autant d’avatars de l’altérité. Car ce qui préoccupe Lacassagne, c’est l’Autre. Philippe Artières mentionne ces « altérités radicales », que l’on rencontre dans les thématiques récurrentes que l’analyse du catalogue du fonds fait émerger. Le dénombrement systématique, à partir de l’analyse du catalogue du fonds Lacassagne86, des ouvrages rassemblés par le médecin sur un certain nombre de thèmes fait apparaître les chiffres suivants :

Ce premier tour d’horizon du catalogue du fonds Lacassagne, qui rassemble plus de 12 000 pièces, le montre clairement : c’est bien l’altérité qui semble constamment préoccuper Lacassagne et pas la figure de l’autrui rassurant, mais la face inquiétante, car profondément différente, de l’Autre. Il a le goût de ces sujets marginaux. 418 références renvoient directement à la notion d’altérité. C’est dire l’importance de cette thématique, sous toutes ses formes, dans le fonds Lacassagne. On s’inscrit donc, résolument, pour cette étude, dans la lignée de Michel Foucault, dont on sait l’intérêt pour l’histoire de la médecine sous ses différentes formes, psychiatrique ou clinique, comme savoir ou comme pouvoir.

On a beaucoup fantasmé la face cachée du criminologue lyonnais qui se fait « fabriquer un service d’assiettes à l’image des plus beaux tatouages qu’il avaient inventoriés sur des marins »87 et entretient avec les criminels de la prison Saint-Paul des relations pour le moins anti-conventionnelles, leur fournissant les cahiers d’écolier sur lesquels plusieurs d’entre eux lui livrent leur autobiographie. « Les sociétés ont les criminels qu’elles méritent », disait le médecin, considérant que le parcours individuel est l’une des clés d’intelligibilité du crime. C’est la raison pour laquelle il a réuni des autobiographies de criminels88, qui lui permettent de connaître l’histoire familiale du sujet, des éléments sur sa scolarité et sa formation professionnelle, ainsi que sur ses débuts dans la criminalité. « Toute une partie cachée, silencieuse de la vie des criminels s’y faisait jour et venait nourrir les thèses du professeur »89.Malheureusement pour nous, Lacassagne ne s’est pas imposé cet exercice. Il n’a pas laissé de mémoires, ni de journal intime, exception faite de celui qu’il tient brièvement, pendant le siège de la ville de Strasbourg. Pourtant, les archives déposées par Lacassagne, de son vivant et par sa volonté expresse, à la Bibliothèque municipale de Lyon « révèlent [cette face cachée] à qui veut bien s’y plonger »90. Mais sans doute cette face cachée n’est-elle pas si exceptionnelle qu’elle peut le sembler de prime abord. Qui dira combien la médecine a changé depuis le début du siècle dernier ? L’absolue étrangeté du Docteur Lacassagne est à n’en pas douter à mettre en lien avec les évolutions considérables qu’a connues sa discipline en tout juste un siècle. On pourrait peut-être même parler de médecine « pré-moderne », tant il est vrai que, malgré ses velléités d’objectivité et de scientificité, on est en présence d’une pensée médicale si différente de celle qui a cours aujourd’hui. Celle-ci a connu plus qu’une révolution, non seulement dans ses pratiques et ses techniques, mais encore dans ses usages et dans ses enjeux. Or la définition scientifique de l’altérité est, il me semble, un de ces grands enjeux du siècle passé. Elle est même fondamentale d’un point de vue politique. Et les médecins alors en quête d’une double légitimation, à la fois scientifique et sociale, entendaient bien dire leur mot sur le sujet.

Carole Reynaud Paligot91 montre comment un paradigme scientifique s’élabore entre 1860 et 1930, une « pensée raciale »92 consécutive de l’émergence d’une nouvelle science en formation, l’anthropologie, au XVIIIe et dans la première partie du XIXe siècle. Car un véritable basculement des perspectives se produit alors. En anthropologie, comme en histoire ou en littérature, l’idée de « race » acquiert au cours du XIXe siècle le statut de vérité incontestable, permettant de classer les groupes humains, mais aussi de les distinguer selon leurs aptitudes supposées, leurs qualités « innées ». Cette notion fait donc l’objet d’une essentialisation et d’une hiérarchisation sur lesquelles s’appuieront des discours et des doctrines racistes. Et l’on retrouve ce même double processus au fondement des discours sur l’inégalité des sexes93. Ces discours légitiment l’idée d’une race comme essence, marqueur d’identité physique et intellectuelle résistant aux évolutions de l’Histoire, forme de déterminisme conduisant parfois à légitimer la supériorité supposée de tel groupe humain sur tel autre.

L’émergence de cette notion de « race » induit donc une nécessaire fragmentation du genre humain. Mais la différence raciale n’est qu’un des aspects de cette altérité plurielle qui s’impose alors progressivement dans le champ scientifique. Le concept d’altérité doit faire ici l’objet d’une définition plus précise. Pour le philosophe Charles Renouvier, c’est spécifiquement le « caractère de ce qui est autre que moi »94. Ce concept est central en anthropologie, cette science qui entend « décrire et classer les races humaines, faire connaître leurs analogies et leurs différences, déterminer leurs rapports de filiation, leur degré de parenté par les caractères anatomiques, par le langage, par les aptitudes et les mœurs, examiner le groupe humain dans son ensemble »95. Dans ces conditions, il n’apparaît guère étonnant de trouver la notion d’altérité au cœur du parcours scientifique d’Alexandre Lacassagne, par ailleurs fondateur de l’anthropologie criminelle et membre de la Société d’Anthropologie de Lyon qu’il préside même par deux fois, en 1884 et en 190096. Il est l’homme d’un temps que l’altérité interroge. Et c’est un médecin. Michel Foucault souligne que la médecine « confronte l’identité (le discours rationnel, la normalité) à la différence (la folie, le pathologique) [et…] le discours médical tente de réduire cette différence à l’altérité : une folie qui soit l’autre de la raison, “son autre”, une pathologie rapportée à une norme organique de santé »97. Certes, le terme n’apparaît pas tel quel sous la plume du docteur Alexandre Lacassagne. Pas d’entrée « altérité » ou « autre » dans le catalogue du fonds documentaire conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon. Pourtant, les « altérités radicales » finissent par constituer dans son œuvre la figure composite et multiple de l’Autre. On le montrera, c’est la préoccupation centrale dans sa pensée scientifique, ce qui l’inscrit bien dans une dynamique générale alors bien partagée à l’époque, et pas seulement par le milieu des savants. Alors que s’élabore un paradigme scientifique qui considère l’universalité comme la condition sine qua non de la scientificité, et un paradigme politique qui en fait l’indispensable socle de la citoyenneté, son pendant, peut-être son contraire, l’altérité, fait l’objet de questionnements multiples. Comment expliquer cette quête ? Peut-être s’agit-il de chercher un repoussoir identitaire pour mieux dire ce que l’on est soi-même ? C’est du moins ce que laisse entendre Van Hamel, présidant le Ve Congrès international d’anthropologie criminelle, qui se tient à Amsterdam du 9 au 14 septembre 1901, à propos de sa branche criminelle :

‘« L’anthropologie s’occupe des délinquants.
Il y en a certainement parmi ceux qui sont étrangers à ces études, qui lui reprochent son intérêt pour cette petite minorité, bien souvent dégénérée et qui craignent qu’elle ne perde de vue l’importance bien plus grande des forces sociales saines plus nombreuses et plus dignes d’intérêt.
À ceux-là, je voudrais répondre ceci :
Vous avez raison.
Relativement l’armée délinquante forme une petite minorité. Cela va sans dire. Une société où elle formerait la majorité ne saurait subsister. Cependant cette minorité nuisible ou dangereuse est là. Il faut bien s’en occuper, il faut le faire les yeux ouverts, sachant ce qu’on fait.
Mais avant tout, l’étude des anormalités individuelles et sociales, contribue indubitablement à la connaissance plus profonde des sources de la vie saine et normale, tant des individus que des sociétés » 98 .

C’est ce qu’en dit Foucault : « L’altérité de la maladie viendrait confirmer l’identité absolue de la raison ou de la santé qui en constituerait l’opérateur de visibilité épistémologique »99. L’altérité – de la femme, du criminel, du malade, du fou – vient confirmer l’identité absolue de l’homme, honnête, sain de corps et d’esprit. Ce qui se joue dans les travaux d’Alexandre Lacassagne, c’est donc, véritablement, une « capture médicale identitaire »100.

Les clichés concernant la fin du XIXe siècle ont la vie dure : « légèretés, gaudrioles, flonflons et cotillons, triomphe de la science et de la raison, couronnement de la démocratie »101, en conformité avec une image de la « Belle Époque » qui s’est forgée dans l’entre-deux-guerres, alors que les horreurs de la Première Guerre mondiale ont transformé les années d’avant-guerre en fête républicaine. Cette image doit, bien sûr, être largement nuancée, car si « la fin du XIXe siècle a la réputation du flamboiement, proche peut-être de celui qu’avait jadis coloré Johan Huizinga dans son Automne du Moyen Age [… elle] présente tous les traits de ces périodes singulières qui annoncent la mort des choses tout en en préservant la beauté »102. L’époque est, d’abord et avant tout, une période de changement. Le XIXe siècle est celui des révolutions, comme le souligne René Rémond103. C’est le temps de l’inquiétude et du nihilisme, des anarchistes et des grèves ouvrières, de l’affaire Dreyfus et des scandales politico-financiers, le temps d’une France hésitante entre l’industrie et l’artisanat, la ville et la campagne, la foi catholique et la laïcité, la rente et le profit. Après une période particulièrement difficile sur le plan économique entre 1873 et 1896, l’heure est à une croissance soutenue induite par la deuxième Révolution industrielle, avec son cortège de bouleversements socioéconomiques. Les développements techniques multiples, depuis la photographie et le cinéma jusqu’à l’électricité, en passant par l’automobile, suscitent une foi immense dans le progrès, soutenue par la philosophie positiviste, en même temps que de légitimes inquiétudes. « Le XIXe siècle a été le grand siècle du progrès. Pour fêter les prodiges des arts, des sciences, de l’industrie et de l’agriculture, la France invita toutes les nations à participer à l’Exposition universelle […] de 1900 [qui] fut une merveille »104, mais qui vit aussi défiler 50 millions de visiteurs devant son célèbre diorama « vivant » sur Madagascar. Ces changements multiples semblent donc s’effectuer dans une atmosphère trouble teintée d’euphorie en même temps que d’angoisse, de foi en un avenir radieux et du retour de peurs séculaires mêlées. Que ce sentiment d’insécurité génère, pour y faire pièce, un désir de maîtriser et de comprendre la nouveauté, voilà qui n’a pas avoir l’heur de nous surprendre. Mais peut-être le désir de créer un ordre nouveau, tant politique que scientifique, tel qu’il se manifeste au tournant du XIXe siècle, dans le cadre d’une toute jeune Troisième République qui entend imposer ses valeurs d’ordre, de stabilité, et de travail, a-t-il aussi besoin de ce sentiment d’insécurité qui lui permet de les justifier.

Cette thèse ne veut donc être ni une biographie au sens strict, ni une entreprise de pure histoire des sciences, mais plutôt l’analyse d’un dossier doublement structuré, autour de la figure d’Alexandre Lacassagne d’une part, et de la notion d’altérité d’autre part. On ne prétend pas lever les mystères d’une personnalité qui, sans doute, en recelait plus d’un, mais s’interroger sur ses origines, sa formation, décrire son itinéraire professionnel et politique, dresser la liste des enjeux et des stratégies entre lesquels il a choisi, explorer les contextes qui ont orienté son action. En conséquence, on se réserve la possibilité de récuser totalement la linéarité du récit biographique, lequel n’aura d’ailleurs pas de valeur en soi, mais en tant qu’il sert de support à un parcours scientifique centré sur la figure de l’Autre. L’inscription fondamentale de ce parcours scientifique dans son contexte, tant intellectuel et culturel que politique et social, doit permettre de s’interroger sur les modalités de l’élaboration de ces figures de l’Autre, et sur leurs enjeux. Il s’agit de « réunir autour [de Lacassagne…] un dossier qui éclaire une société, une civilisation, une époque »105. Une telle approche, prenant en compte les constructions successives de son principal acteur, permet d’envisager son itinéraire comme une série de questionnements et de choix, comme la résultante de dynamiques différentes et simultanées, éventuellement concurrentes et contradictoires. C’est ainsi un parcours qui laisse toute la place aux déterminants personnels, aux aléas de la vie, dont on a dit l’importance dans l’élaboration de la connaissance scientifique, que l’on entend retracer. Et au-delà de l’homme, c’est le contexte scientifique et social dans lequel il se meut qu’on fait apparaître.

Le personnage est ainsi utilisé comme un œilleton. La métaphore apparaît d’autant plus pertinente que Lacassagne, médecin des prisons, est rompu à l’usage de cet accessoire pénitentiaire. « L’œil rivé sur cet œilleton, le biographe peut orienter sa visée bien au-delà du personnage, de manière panoramique »106. La parcelle historique embrassée par le biographe est restreinte, certes, mais dans la mesure où le personnage étudié a été actif dans un grand nombre de domaines, ce qui est le cas de Lacassagne, on peut aborder quantité de thématiques, non pas « d’en haut, mais d’en bas, de manière transversale, à partir d’une réalité concrète, partielle, mais significative »107. La cohérence du propos est garantie par l’unité du sujet. Il ne s’agira pas de ressusciter les faits et geste du savant, mais de plonger au cœur d’un passé plus vaste. On adopte en fait une démarche micro-historique, telle que Jacques Revel108 la définit et telle que Carlo Ginzburg la pratique109. Notre but est bien d’appréhender, au-delà du personnage même d’Alexandre Lacassagne, la « pensée de l’altérité »110 qui s’élabore au tournant du siècle dernier.

Pour ce faire, on procède en premier lieu à l’étude du contexte culturel et scientifique dans lequel se meut Alexandre Lacassagne. « Tout processus d’élaboration de la connaissance scientifique est un phénomène culturel, produit par un certain contexte social, économique, politique, intellectuel »111. L’analyse préalable de ce contexte apparaît donc comme le préambule indispensable de ce travail. Dans un deuxième temps, ce sont les modalités d’élaboration de la figure composite de l’Autre dans la pensée scientifique d’Alexandre Lacassagne qu’on présente. Que sont exactement ces « altérités radicales » qui peuplent les travaux du médecin lyonnais ? Comment procède-t-il à leur identification, à leur définition ? Enfin, mon travail s’achève sur l’analyse des enjeux biopolitiques de ce savoir sur les Autres. Mon hypothèse majeure porte sur l’articulation entre le parcours scientifique original d’Alexandre Lacassagne et le processus plus général d’élaboration d’une conception spécifique et nouvelle de l’altérité, qui conforte le concept d’universalité alors central tant dans le champ scientifique que dans le champ politique.

Notes
1.

C’est la démarche proposée par Pierre Rosanvallon, « Pour une histoire conceptuelle du politique », in Revue de Synthèse, janvier-juin 1986, n°1-2, p.100.

2.

Le fonds Lacassagne est conservé au fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon.

3.

Cela l’inscrit tout de même dans le « panthéon au quotidien » définit par Pierre-Yves Saunier dans L’Esprit lyonnais (XIXe-XXe siècle) : genèse d’une représentation sociale, Paris, CNRS Éditions, 1995, p.160.

4.

Adolphe Quételet (1796-1874) est le précurseur majeur de l’anthropologie criminelle. Beccaria, Lavater, Gall, tenants d’une pensée criminologique enfouie, peuvent également être considérés comme tels, mais c’est surtout Cesare Lombroso (1835-1909) qui incarne ce savoir nouveau, cristallisant autour de lui une « école italienne » qui essaime d’abord en France, avant de susciter une opposition vive qui s’organise autour de l’école lyonnaise et de la figure d’Alexandre Lacassagne. Mais en dépit de la vigueur des débats suscités par cet antagonisme des deux écoles et de l’importante activité éditoriale à laquelle ils donnent lieu, on estime qu’après 1914, l’anthropologie criminelle n’existe plus.

5.

Gérôme Coquard, « Le Professeur Lacassagne », in La Revue du Siècle, 4e année, décembre 1890, n°43, p.725. BML FA 140553

6.

Cité par Philippe Artières et Gérard Corneloup, Le médecin et le criminel. Alexandre Lacassagne (1843-1924), Catalogue de l’exposition de la Bibliothèque municipale de Lyon (27 janvier – 15 mai 2004), Lyon, Les Amis de la Bibliothèque de Lyon, 2004, p.85.

7.

Philippe Artières et Gérard Corneloup, op.cit., 2004, p.85.

8.

Gérôme Coquard, op.cit., 1890.

9.

Philippe Artières, « Alexandre Lacassagne : de l’archive mineure aux Archives de l’anthropologie criminelle ».

Article en ligne : http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article.php3?id_article=37 [Article consulté le 30 Août 2007]

10.

Dossier « Littérature des prisons » BML FA Ms 5286-5287-5288

11.

Dossier « Littérature de bagne. Pièces émanées de forçats des îles du Salut (Guyane) données par le Dr Le Quinquis au Dr Corre en janvier 1902 » BML FA Ms5285

12.

Notes sur l’Argot BML FA Ms 5301

13.

Georges Apitzsch,Lettres d’un inverti allemand au Docteur Lacassagne. 1903-1908, Edition établie, annotée et présentée par Philippe Artières, Paris, EPEL, 2006, 123 p.

14.

Philippe Artières, http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article.php3?id_article=37

15.

Philippe Artières, http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article.php3?id_article=37

16.

Christophe Prochasson, Les années électriques, 1880-1910, Paris, La Découverte, 1991, p.74.

Pour appuyer cette affirmation, Christophe Prochasson prend l’exemple de l’affaire Dreyfus, durant laquelle le frère du capitaine, Mathieu Dreyfus, consulte une voyante pour deviner l’identité du coupable, et évoque « les faux mystères d’une singulière dame voilée aux allures de bonne fée, les extravagances pseudo-scientifiques d’un graphologue de renom », en l’occurrence Alphonse Bertillon, dont Alexandre Lacassagne désapprouva l’intervention dans l’affaire. On trouve de multiples exemples de ce mélange des genres dans le fonds Lacassagne.

17.

Il plaide en faveur d’études d’« archéologie médicale » comme le rappelle le Docteur Armand Corre, Archives de l’anthropologie criminelle, 1893, p.440.

18.

Alexandre Lacassagne, « Compte-rendu sur Les morts mystérieuses de l’histoire par le Dr Cabanès », in Archives d’anthropologie criminelle, 1901, p.425.

19.

Gérôme Coquard, op.cit., 1890. BML FA 140553

20.

Edmond Locard, « Un grand savant qui disparaît. Le Professeur Lacassagne est mort », Le Grand Régional du Centre et du Sud-Est, jeudi 25 septembre 1924. AML 3CP363

« Le professeur Lacassagne est mort hier. Il fonda l’école lyonnaise de criminologie », Le Progrès, jeudi 25 septembre 1924. AML 3CP363

21.

Androcles pseudonyme d’Edmond Locard, « Une Grande Figure Lyonnaise. Le Professeur Lacassagne », Journal non identifié AML 3CP363

« Le cinquantenaire de la mort du Professeur Lacassagne : Un lycée portera son nom », Le Progrès, 15 août 1974.

22.

Gérard Chauvy, « Lacassagne à Berlin. Le spécialiste lyonnais de l’anthropologie criminelle en congrès à Berlin », Rubrique « Les mystères de Lyon », Le Progrès, 28 février 1993.

Gérard Chauvy, « Testament sous hypnose… Une étrange affaire sur laquelle l’expert lyonnais Lacassagne eut à intervenir… », Le Progrès, Mars 1993.

23.

Patrick Cardon, Discours littéraire et scientifique fin-de-siècle. Etude des Archives de l’anthropologie criminelle (1886-1914), Thèse de doctorat en Lettres et Civilisation françaises sous la direction de M. Raymond Jean, Université de Provence, 1984, 2 vol., 599 p.

24.

Patrick Cardon, op.cit., 1984, p.5.

25.

Martine Kaluszynski, La Criminologie en mouvement. Naissance et développement d’une science sociale en France à la fin du XIXe siècle. Autour des « Archives de l’Anthropologie criminelle » d’Alexandre Lacassagne, thèse de doctorat sous la direction de Michelle Perrot, Université Paris VII, 1988, 989 p.

26.

Martine Kaluszynski, op.cit., 1988,p.9.

27.

Martine Kaluszynski,op.cit., 1988, « Un personnage clé : Lacassagne », p.139-183.

28.

Laurence Vèze, Alexandre Lacassagne (1843-1924) et l’institut de médecine légale de Lyon, Mémoire de DEA sous la direction de Régis Ladous, Université Jean Moulin Lyon 3, 1992, 76 p.

29.

Voir le catalogue de l’exposition : Philippe Artières & Gérard Corneloup, op.cit., 2004, 240 p.

30.

Je suis largement redevable, pour ce qui suit, à la réflexion épistémologique menée par Marc-Antoine Kaeser dans « La science vécue. Les potentialités de la biographie en histoire des sciences »,Revue d’Histoire des Sciences Humaines, 2003, n°8, p.139-160 et dans l’introduction à L’univers du préhistorien. Science, foi et politique dans l’œuvre et la vie d’Édouard Desor (1811-1882), Paris, L’Harmattan, 2004, p.13-20.

31.

Sur ce point, voir la condérence qu’il prononcele 7 novembre 1917 : « La profession et la vocation de savant ». Max Weber, Le savant et le politique. Une nouvelle traduction [1917], Paris, La Découverte, 2003, 206 p.

32.

Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la Recherche en sciences sociales, n°62/63,1986, p.69-72.

33.

Guillaume Piketty, « La biographie comme genre historique ? Étude de cas », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1999, vol.63, p.121.

34.

Pierre Bourdieu, op.cit., 1986, p.70.

35.

Idem.

36.

La dédicace qu’Émile Nouguier adresse au « Cher professeur Lacassagne, notre généreux bienfaiteur », est emblématique de ce rôle particulier que joua Alexandre Lacassagne auprès d’un certain nombre de détenus, dont il entrepris de rassembler les autobiographies. Sur le sujet, voir les travaux de Philippe Artières, et notamment « Crimes écrits. La collection d’autobiographies de criminels du professeur A. Lacassagne », Genèses, n°19, avril 1995, p.48-67, et « “Cher professeur A. Lacassagne, notre généreux bienfaiteur”. Le détenu écrit au criminologue », Genèses, n°25, décembre 1996, p.143-155.

37.

Jacques Le Goff, « Introduction », in Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p.16.

38.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, p.149.

39.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, p.150.

40.

À l’instar du corpus de quelques 28 lettres adressées par Alexandre Lacassagne à son second fils, Jean, pendant la Première Guerre mondiale. ADR 30J1 : Fonds Jean Lacassagne. Correspondance avec sa famille (1914-1918)

41.

J.-M. Goulemot, « Les pratiques littéraires ou la publicité du privé », in Philippe Ariès et Georges Duby (eds), Histoire de la vie privée, Tome 3 : De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, 1986, p.405.

42.

Précaution qu’on ne manquera pas de prendre à l’occasion de l’étude du journal qu’a tenu Alexandre Lacassagne pendant le siège de la ville de Strasbourg en 1870. SHD Dossier de Jean Alexandre Eugène Lacassagne, médecin aide-major de 1e classe

43.

Lettre manuscrite du Docteur Lacassagne en date du 22 juillet 1913, adressée à M. le Bibliothécaire en chef de la Ville. AML 177 WP 012 1

44.

En témoigne le fichier papier conservé aux archives municipales de Lyon, constitué de fiches bibliographiques classées par noms d’auteurs, assez mal conservées au demeurant, écrite de la main d’Alexandre Lacassagne. AML 307 WP 033

45.

La visite de la maison de campagne de Villerest, restée dans la famille, et les contacts avec cette dernière, ont permis de découvrir l’ampleur inespérée des fonds privés concernant Alexandre Lacassagne. Toutefois, si des monceaux de lettres personnelles et de manuscrits sont effectivement conservés à Villerest, ils ne sont ni classés, ni inventoriés, ni même rangés, d’où d’évidentes difficultés de consultation, d’autant que l’on dépend pour cela de la présence des descendants d’Alexandre Lacassagne lesquels, s’ils nous ont réservé un accueil absolument charmant, ne peuvent se tenir à la disposition d’un chercheur qui aurait matière à travailler pendant plusieurs mois à Villerest.

46.

Lette du docteur Chaurand au docteur Locard, jeudi 5 novembre 1925. [AML 31ii87]

47.

Alexandre Lacassagne, Préface au Catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.XXI. BML FA 141946

48.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, p.141.

49.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, p.144.

50.

Delphine Gardey, « Les sciences et la construction des identités sexuées. Une revue critique », in Annales Histoire Sciences Sociales, n°3, mai-juin 2006, p.649-673.

51.

Le terme est de Delphine Gardey, op.cit., 2006, p.654.

52.

Donna Haraway, « Situated Knowledges. The Science Question in Feminism as a Site of Discourse on the Privilege of Partial Perspective », in Feminist Studies, Vol.14, n°3, 1988, p.575-600. Repris dans Donna Haraway, Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature, Routledge, New York, 1991, p.183-201.

53.

Martine Kaluszynski, op.cit., 1988, p.9

54.

Martine Kaluszynski, op.cit., 1988. Voir notamment le chapitre qu’elle consacre à « Un personnage clé du mouvement criminologique français : Lacassagne », p.139-183.

55.

A. Camelin, « Les professeurs Lacassagne et Policard », in Revue Rive Gauche. Revue de la Société d’étude d’Histoire de Lyon, déc.73-mars 74, p.5-11.

56.

A. Camelin, op.cit., 1974, p.5.

57.

Ses parents, hôteliers à Cahors, tenaient un relais de poste très actif mais auraient été « ruinés par le développement du chemin de fer », aux dires du Professeur Jean Normand, « Alexandre Lacassagne, un pédagogue original », article écrit pour l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon en 2004.

Article en ligne : http://www.millenaire3.com/uploads/tx_ressm3/Jean_Normand_01.pdf. [Article consulté le 30 Août 2007]

58.

D’une « haute intelligence », « il fit sans effort des études brillantes » nous dit Edmond LocardAML 3CP363. Notons que ce point ne fait pas l’unanimité : « il fit, mon Dieu, sans grand éclat, confessons-le, ses études dans le lycée de sa ville » dit au contraire Gérôme Coquard, op.cit., 1890, p.726.

59.

« Les élèves venaient à lui en foule », toujours selon Edmond Locard.

60.

C’est moi qui souligne la tonalité hagiographique.

61.

Alexandre Lacassagne, « Discours d’ouverture du IIe Congrès de Médecine légale », in Archives de l’anthropologie Criminelle, 1912, p.666. BML FA 481106.

62.

Georges Saint-Paul lui rend hommage en ces termes dans la préface à la troisième édition de ses Thèmes psychologiques, 3e édition, vol.IV : Invertis et homosexuels, Paris, Vigot Frères, 1930, p. 5. [BML FA SJ ZOV 00132]

63.

Alexandre Lacassagne, « Programme d’une société de séniculture », in La vie médicale, 1920, p.18. [BML FA 418802]

64.

Martine Kaluszynski, op.cit., 1988, p.167.

65.

Voir Jean Normand , op.cit., 2004.

66.

Marc Renneville, « Alexandre Lacassagne. Un médecin-anthropologue face à la criminalité (1843-1924) », in Gradhiva, n°17, 1995, p.127-140.

67.

Philippe Artières, « Le Graphophile. Portrait d’un médecin légiste en maître d’écriture », in Equinoxe, n°22, Automne 1999, p.105-115.

68.

Philippe Artières, op.cit., décembre 1996, p.144.

69.

Notice explicative au catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.I. BML FA 141946

70.

Catalogue du fonds Lacassagne, Lyon, Imprimerie nouvelle lyonnaise, 1922, XVII-IV-222 p. BML FA 141 946

71.

Notice explicative…, 1922, p.I. BML FA 141946

72.

Idem

73.

Préface d’Alexandre Lacassagne au Catalogue du fonds Lacassagne, op.cit., 1922, p.I-XII.

74.

Daniel Roche, Les Républicains des lettres. Gens de culture et Lumières au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1988, p.47. En l’occurrence Daniel Roche interroge celle Jean-Jacques Dortous de Mairan (1678-1771), qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie Royale des Sciences, membre de l’Académie français, et académicien provincial à Béziers.

75.

Daniel Roche, op.cit., 1988, p.47.

76.

Contrat de mariage entre Alexandre Lacassagne et Magdeleine Rollet, déposé chez maître Bouteille, notaire à Lyon (rue d’Algérie n°12), reçu le 17 août 1882 en son étude, conclut ce même jour à la mairie du 1er arrondissement à Lyon [AML 3E17654].

77.

Sur ce point voir Werner Muensterberger, Le collectionneur. Anatomie d’une passion, Paris, Payot, 1996, 325 p. Voir notamment la 3e partie « Trois psychobiographies », dont l’une concerne un collectionneur de livres (chapitre VI : « Un exemplaire de tous les livres ! ») : l’étude s’appuie sur le témoignage biographique laissé par sir Thomas Philipps, grand collectionneur de livre, mort en 1872 en laissant «  la plus importante collection de livre et de manuscrits jamais réunie par une seule personne » (p.95).

78.

Krysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs, curieux : Paris-Venise, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Gallimard, 1987, 367 p.

79.

Nanaé Suzuki, La Voie lactée, Berlin, 2000. Il s’agit d’une œuvre d’art citée par Jennifer Allen dans sa préface à Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque, Paris, Payot, 2000, p.7.

L’œuvre est composée d’une vingtaine de panneaux de verre sur lesquels sont gravés le poids et le titre de livres.

80.

Walter Benjamin, op.cit., 2000, p.42.

81.

Préface d’Alexandre Lacassagne au Catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.VI. BML FA 141 946

82.

Catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.III. BML FA 141 946

83.

Catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.VI. BML FA 141 946

84.

Catalogue du fonds Lacassagne, 1922, p.VI. BML FA 141 946

85.

Pierre Rosanvallon, op.cit., 1986, p.93-105.

86.

On s’en est tenu aux titres de rubriques du catalogue du fonds Lacassagne, et l’on n’a compté que les entrées « strictes », c’est-à-dire qu’on ne tient pas compte des renvois. Pour « Crimes / criminels / criminalité  », le catalogue renvoie entre autres à : « affaires et causes célèbres », « alcoolisme », « aliénés criminels », « anthropologie criminelle », « attentats aux mœurs », criminologie », « droit pénal et criminel », « littérature criminelle », « peine de mort », « psychologie morbide », « responsabilité atténuée », « sexualité morbide », « statistique ». Le comptage effectué l’a donc été a minima, afin de ne pas s’égarer et pour ne pas risquer, de renvoi en renvoi, de dénombrer l’ensemble des documents du catalogue.

87.

Françoise Monnet, « Le juge, l’assassin et le médecin », Le Progrès, 4 février 2004.

Cet article, paru avec une série d’autres (voir inventaire en annexe) consécutivement à l’exposition organisée à la Bibliothèque municipale de Lyon, montre bien de quelles imprécisions et de quels fantasmes le personnage d’Alexandre Lacassagne peut vite être entouré.

88.

Philippe Artières les a publiées dans Le livre des vies coupables. Autobiographies de criminels (1896-1909), Paris, Albin Michel, 2000, 420 p.

89.

Philippe Artières, « A. Lacassagne :de l’archive mineure aux Archives de l’anthropologie criminelle ». En ligne : http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article37.html [Article consulté le 14 décembre 2007]

90.

Voir la présentation que Philippe Artières fait des Lettres d’un inverti allemand au Docteur Lacassagne (1903-1908), Paris, EPEL, 2006, p.19-20.

91.

Carole Reynaud Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine (1860-1930), Paris, PUF, 2006, 338 p.

92.

Le concept est emprunté à Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. Eichman à Jérusalem [1951], Paris, Gallimard, 2002, 1615 p.

93.

Voir l’analyse qu’en livre Nicole-Claude Mathieu, « Homme-culture et femme-nature », in L’Homme, XIII, n°3, 1973, p.101-113.

94.

André Lalande, « Altérité », in Vocabulaire technique et critique de la philosophie [1926], Paris, PUF, 4e édition, 1997, p.39.

95.

Article « Anthropologie », in Le grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, Tome 1, Paris, 1866, p.433.

96.

Alexandre Lacassagne, « Discours du 13 janvier 1900 prononcé à la Société d’anthropologie de Lyon, », Archives de l’anthropologie criminelle, 1900, p.90-93.

97.

Bernard Vandewalle, Michel Foucault. Savoir et pouvoir de la médecine, Paris, L’Harmattan, 2006, p.12.

98.

Gerhardus Antonius Van Hamel, « Discours d’ouverture du congrès international d’anthropologie criminelle, Lundi 9 septembre 1901 », Archives de l’anthropologie criminelle, 1901, p.600-601. C’est moi qui souligne.

99.

Bernard Vandewalle, op.cit., 2006, p.13.

100.

Bernard Vandewalle, op.cit., 2006, p.13.

101.

Christophe Prochasson, op.cit., 1991, p.5-6.

102.

Christophe Prochasson, op.cit., 1991, p.5.

103.

René Rémond, Introduction à l’histoire de notre temps, vol.2 Le XIXe siècle (1815-1914), Paris, Seuil, 1974, p.7.

104.

Jeanne Bouvier, Mes mémoires, Poitiers, Editions Marcineau, 1936, p.57.

105.

Jacques Le Goff, À la recherche du Moyen-Âge, Paris, Louis Audibert, 2003, p.133.

106.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, n°8, p.144.

107.

Marc-Antoine Kaeser, op.cit., 2003, n°8, p.144.

108.

Jacques Revel, « Un vent d’Italie : l’émergence de la micro-histoire », in Sciences humaines, Hors-série n°18, septembre-octobre 1997, p. 22-27.

109.

Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers : l’univers d’un meunier au XVIe siècle, Paris, Aubier, 1993 (1e éd. 1980), 200 p.

110.

On se réfère ici à l’ouvrage de Françoise Héritier, Masculin / Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, 332 p. Nous partageons en effet ses finalités, rappelées dans l’avant-propos du livre (p.9) : « Non pas conter et compter la nature, les variations et les degrés de la différence et des hiérarchies sociales établies …, mais … essayer d’en comprendre, sur le mode anthropologique, les raisons ».

111.

Carole Reynaud Paligot, op.cit., 2006, p.3.