En tant que médecin légiste, Alexandre Lacassagne entretient un commerce particulier avec la mort. Il en est familier, coutumier qu’il est de la fréquentation des cadavres1810 et de la réalisation des autopsies au point qu’il érige ses procédés en une méthode de référence, dressant dans son Vade-mecum du médecin expert « le plan méthodique de la levée de corps et de l’autopsie avec application à chaque genre de mort en particulier »1811. Cette entreprise éditoriale réussie1812 est presque toute entière dévolue à l’identification des cadavres et à la découverte des causes de la mort : il s’agit de poser un diagnostic médico-judiciaire qui permette de conclure avec certitude, de répondre avec fermeté à la question de savoir comment l’individu qui se trouve allongé sur la table de dissection de la morgue est décédé. La fin du XIXe siècle ne tolère plus les morts anonymes, on l’a dit. On ne saurait non plus se contenter de suppositions quant aux causes de leur décès. La technique de l’autopsie1813, qui doit permettre d’identifier un cadavre ou de rechercher la cause d’une mort suspecte, fait donc l’objet de certaines améliorations. Des publications en rendent compte, comme le Manuel d’autopsies ou méthode de pratiquer les examens cadavériques au point de vue chimique et médico-légal de Thomas Harris, qui fait l’objet d’une recension dans les Archives d’anthropologie criminelle 1814. Mais ce qui change surtout, en cette fin de siècle, c’est la conscience que les médecins légistes ont de la spécificité de leurs pratiques. Henri Coutagne regrette ainsi que Thomas Harris n’ai pas « mis en relief suffisant les particularités de l’autopsie médico-légale opposée à l’autopsie clinique, [tant il est vrai que] les conditions et le but de ces deux classes d’opérations sont si souvent dissemblables »1815. Pour justifier la nécessité d’une formation spécifique des experts, il souligne qu’un « médecin occupant une grande situation professionnelle, remarquable par son sens clinique et par la précision de sa thérapeutique, pourra être néanmoins un expert absolument insuffisant [car] la médecine légale a un but, un domaine et des procédés qui lui sont propres »1816. Lacassagne partage sans nul doute cette opinion, lui qui plaide pour la création d’un enseignement spécifique de la médecine légale et pour la mise en place d’un diplôme sanctionnant cette formation accrue. Par ailleurs, Alexandre Lacassagne partage sans doute les inquiétudes de ses contemporains quant aux cas de « mort apparente », et la hantise conjointe d’être enterré vivant, réunissant tout un dossier sur « mort réelle ou apparente, signes de la mort, euthanasie, etc. »1817. Dans sa bibliothèque, ce sont au moins1818 14 ouvrages qui sont référencés dans cette rubrique1819, auxquels il faut ajouter, comme y invite le catalogue qui y renvoie, les ouvrages référencés concernant les « inhumations précipitées »1820, soit 5 références supplémentaires. Il faut dire que « la peur des inhumations précipitées est peut-être une des grandes peurs du XIXe siècle »1821. Qu’il s’agisse de faire parler les cadavres, afin de leur rendre une identité ou de cerner les modalités de leur décès, ou de s’assurer que la mort, qui peut n’être que syncope ou catalepsie, est bien réelle, c’est de nouveau l’indifférenciation, l’éventualité d’un flou dans la détermination de la frontière qui distingue les morts des vivants qui perturbe et qui passionne, comme le montre les expériences qui sont alors tentées pour entretenir « la vie consciente […] après la décapitation, dans la tête séparée du tronc, à l’aide de l’injection immédiate de sang artériel »1822 chez des animaux comme sur des suppliciés1823, ou les récits, volontiers romancés, de morts revenus à la vie, depuis le colonel Chabert 1824 à l’histoire duquel font écho certains articles des Archives d’anthropologie criminelle 1825 jusqu’à La mort d’Olivier Bécaille 1826, terrifiant récit à la première personne du singulier d’un homme qui se voit enterré vivant. De nouveau, les apparences sont douteuses, elles peuvent être trompeuses. Et le franchissement de la frontière entre morts et vivants, s’il est tentant pour des médecins dont le but est bien de la repousser le plus loin possible, génère aussi tout un imaginaire qui, des tables tournantes des spirites au nécrophile, trouble la science d’un inquiétant occultisme.
Il réunit un dossier de pièces imprimées sur la question, qui compte quelque 28 articles ou coupures de presse [BML FA 140754].
« Recension du Vade-mecum… de Lacassagne et Thoinot » in Archives d’Anthropologie criminelle, 1911, p.221.
L’ouvrage fait l’objet de trois éditions successives, la première en 1892, puis deux rééditions en 1900 et en 1911. Il est consultable en ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76775p [Consulté le 7 décembre 2008]
Dans le fonds Lacassagne, on dénombre 25 références à l’entrée « Autopsies, nécropsie (médecine légale, technique, etc.) ».
Henry Coutagne, « Manuel d’autopsies ou méthode de pratiquer les examens cadavériques au point de vue chimique et médico-légal de Thomas Harris », in Archives d’Anthropologie criminelle, 1890, p.547.
Idem.
Henry Coutagne, « L’exercice de la médecine judiciaire en France », in Archives d’Anthropologie criminelle, 1886, p.43.
Dossier de pièces imprimées intitulé « Mort réelle ou apparente, signes de la mort, euthanasie, etc. » [BML FA 140792]
C’est un comptage a minima que l’on effectue. En effet, pour un des auteurs, Séverin Icard, les publications sont trop nombreuses pour que le catalogue les mentionne toutes. Il indique seulement « public div. », que l’on n’a compté qu’une seule fois.
op.cit, 1922, p.154.BML FA 141946
Idem.
Anne Carol, Les médecins et la mort (XIXe-XXe siècle), Paris, Aubier, 2004, p.144.
J.-V. Laborde, « Compte-rendu d’une réunion de l’Académie des Sciences le 13 février 1886 », in L’Union médicale, p.255-256. Coupure conservée par Alexandre Lacassagne dans le dossier de pièces sur le cadavre [BML FA 140754 pièce n°3]
Les recherches sur les suppliciés sont nombreuses parmi les articles conservés par Lacassagne. Signalons seulement les travaux de J.-V. Laborde, notamment ses « Recherches expérimentales sur la tête et le corps d’un supplicié (Campi) », in La Tribune médicale, n°829, 1884, p.317-320. [BML FA 140754 pièce n°10]
La publication du roman d’Honoré de Balzac date de 1832.
Edmond Locard, « Recension de l’ouvrage du Docteur Icard, Les dangers de la mort apparente sur les champs de bataille », in Archives d’Anthropologie criminelle, 1906, p.224-225.
Cette nouvelle peu connue d’Émile Zola paraît pour la première fois en 1884.