A. Exclure et stigmatiser : aux fondements du discours anthropologique

L’analyse historique des savoirs scientifiques pose un certain nombre de difficultés épistémologiques majeures qui, si elles ne peuvent toutes être résolues, doivent au moins être signalées. On l’a dit, la constitution de populations, c’est-à-dire de groupes humains homogènes, ou supposés tels par un regard extérieur, est au fondement de tout discours anthropologique. Une telle démarche repose sur la recherche des ressemblances au sein du groupe, pour en caractériser la différence par rapport à d’autres groupes humains. « Tenons compte des ressemblances et des analogies ; mais gardons-nous de négliger les différences »2357. Au fondement même de la discipline se trouve cette quête qui doit permettre de faire pièce à l’indifférenciation, d’éviter de confondre tel type d’individu avec tel autre. C’est donc bien un processus d’exclusion qui se trouve à la base même de la discipline anthropologique en cours d’institutionnalisation, processus qui s’établit en trois temps : les conceptions renouvelées de l’objectivité scientifique nécessitent d’abord que l’objet de connaissance soit mis à distance avant d’être stigmatisé afin d’établir sur lui un étroit contrôle. Elle repose donc sur l’observation, qui doit permettre d’obtenir des données objectives, donnant une légitimité scientifique au savoir ainsi élaboré. Le discours anthropologique doit être scindé en deux grands chapitres : dans un premier temps il consiste en une étude qui doit être menée « exclusivement selon la méthode anthropologique » et qui fournit « des documents précis qui ont toute la valeur des faits scientifiques observés »2358, puis « les éléments [ainsi réunis] sont analysés et groupés ; les synthèses deviennent le point de départ de déductions, de théories ». Or ce procédé d’observation constitue, en soi, une prise de pouvoir de l’observateur sur son objet : « dans le rapport à l’autre, la science tient lieu de passe droit »2359, son étude est déclarée nécessaire au nom même du principe de l’universalité de la connaissance sans qu’il soit possible pour cet objet de connaissance de s’opposer au recueil d’informations le concernant.

Notes
2357.

F. Leuret et P.-L. Gratiolet, Anatomie comparée du système nerveux dans ses rapports avec l’intelligence, Paris, Baillière, Tome II, 1857, p.257. [BML FA 394629]

2358.

Jules Dallemagne, op.cit., s.d., p.5. BML FA 427782

2359.

Philippe Schaffhauser, op.cit., 2004, p.28-29.