3. Identifier, contrôler, normaliser

Pour tracer le portrait de ces « Autres » dont l’étude lui incombe, l’anthropologue recourt à la statistique2480 : on s’enthousiasme alors pour cette science qui doit permettre de compter, de dénombrer, de quantifier et d’observer, et dont on considère sans aucun doute qu’elle doit suppléer l’anthropologie2481. Mais ce ne sont pas là ses seules fonctions : associée au calcul de probabilités, elle devient une méthode d’investigation et d’inférence parce qu’elle permet la définition de normes et donc la traque de la déviance à celles-ci. Ainsi, la définition de la taille moyenne des individus d’une race permet de rechercher les anomalies. Pour Louis Vervæck, « il paraît […] établi que l’influence de la dégénérescence s’exerce pour retarder la croissance ou l’arrêter prématurément, ou bien encore pour lui imprimer une allure désordonnée, aboutissant à créer de très hautes tailles et les fortes asymétries osseuses. Ce fait expliquerait la fréquence relative des tailles extrêmes chez les dégénérés et les délinquants »2482. En conséquence, la taille d’un individu peut être un signe susceptible de retenir l’attention, d’alerter l’observateur averti qui peut, dès lors, pousser plus loin les investigations concernant le sujet douteux. Une taille non conforme est considérée comme révélatrice d’un problème sous-jacent. Le gigantisme, comme le nanisme, sont regardés comme des maladies : « le géant est un malade, un anormal, un raté »2483. Ce sont les conclusions sans appel rendues par MM. P.-E. Launois et P. Roy, et résumées dans leurs Études biologiques sur les géants 2484. En outre, un stigmate n’arrivant jamais seul, il s’avère que l’intelligence de ces sujets est « le plus souvent anormale », d’après les constatations médicales. Même chose dans les cas de nanisme. « À la petitesse de la taille se joignent souvent des difformités et, dans l’espèce humaine, le défaut d’intelligence ou tout au moins un manque d’équilibre dans les facultés intellectuelles », lit-on dans Le grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Larousse2485.

Outre cette distinction générale entre individus de taille normale et individus frappés de gigantisme ou de nanisme, de telles études sur la taille des populations permettent d’appuyer les travaux portant sur la définition ethnique de tel ou tel groupe, car si « la stature est un caractère de race de valeur moins certaine que la forme crânienne ou la pigmentation […] il est cependant très utile, pour la discrimination ethnique, de connaître la taille des individus que l’on examine »2486. En ces temps de montée des nationalismes, l’anthropologie doit permettre de définir aussi précisément que possible les caractéristiques supposées de chaque « race » nationale. C’est même « la plus nobles tâche que l’anthropologie française puisse se donner [que de] de rechercher ce que sont devenues toutes les races aujourd’hui confondues sous le nom de Français, d’en fixer exactement les caractères physiques »2487. Cette œuvre doit être menée dans l’urgence :

‘« La facilité des communications, qui est la caractéristique de notre époque, tend déjà et tendra de plus en plus à provoquer des croisements, et les temps sont proches où leur multiplicité rendra extrêmement difficile, sinon impossible, la recherche des types primitifs »2488. ’

Les conseils de révision qui parcourent chaque année les 2 865 cantons de France paraissent tout à fait adaptés pour mener à bien cette étude anthropologique de la population française, étude qui incomberait plus particulièrement aux médecins, « naturellement indiqués de préférence pour recueillir ces documents »2489. Ces données statistiques doivent permettre l’élaboration de canons anthropométriques qui correspondent au type modèle de l’individu appartenant à telle race ou à telle autre, elles intéressent donc l’anthropologiste « pour la distinction des races et les rapports sériaires de l’homme avec les animaux »2490. Mais « elle[s] préoccupe[nt] aussi l’hygiéniste et par conséquent le médecin et le législateur, responsables de la santé publique et du développement du corps en vue des fonctions à remplir à l’âge adulte »2491. Les canons anthropométriques ainsi définis font loi : il s’agit de l’individu modèle, l’étalon, celui sur la base duquel est définie une norme corporelle rigoureuse. On a montré plus haut combien la définition de cette norme repose sur l’établissement d’une moyenne statistique2492, le grand nombre2493 sur la base duquel elle est établie en assurant la validité. C’est tout l’intérêt de la collecte massive de ces données :

‘« Les outils statistiques permettent de découvrir ou de créer des êtres sur lesquels prendre appui pour décrire le monde et agir sur lui. De ces objets, ou peut dire à la fois qu’ils sont réels et qu’ils ont été construits…»2494.’

Est considéré comme « normal » non seulement « ce qui est conforme à la règle, ce qui est régulier »2495 mais encore « ce qui ne penche ni à droit ni à gauche, donc ce qui tient dans un juste milieu » si l’on en croit l’étymologie2496. Le sens du terme « normal » est donc équivoque, désignant à la fois « un fait et une valeur attribuée à ce fait par celui qui parle en vertu d’un jugement d’appréciation »2497. Cette confusion n’est pas sans conséquence : l’état normal est en effet défini à la fois comme l’état habituel des éléments considérés (organes ou individus), mais également comme leur état idéal que figurent expressément les canons ici évoqués. Au nom de l’habitude comme de l’idéal, il convient de veiller à ce que le corps des sujets définis comme appartenant à la population en question se conforme à la norme statistique définie, faute de quoi il en serait exclu. C’est une véritable mise au pas des corps qui se trouve induite par la définition de canons anthropométriques à l’heure même où un nombre croissant d’anthropologues constatent que « des éléments très divers [sont présents] dans la population de France »2498, et que « cette hétérogénéité se retrouve presque partout en Europe, où certains types humains sont communs à la plupart des nations et des peuples », la proportion de ces différents types étant le seul élément variable d’une contrée à l’autre. On sait les usages racistes qui ont pu être fait de certaines de ces conclusions, comme celles de Pauline Sériot qui, dans sa thèse de doctorat de médecine sur les Effets nocifs du croisement des races sur la formation du caractère 2499, opportunément soutenue en 1918,insiste sur « les tares des métis »2500, sur le déséquilibre essentiel qui les caractérise, et sur la nécessité « de conclure que tout croisement est néfaste et qu’il doit être redouté et banni par tout être soucieux de l’avenir de sa famille au même titre que la maladie ou le déshonneur »2501. Du reste, il semble évident pour certains de lier le nombre de mariages entre individus de nationalités différentes et baisse de la natalité : c’est du moins sur ce constat que se s’achève l’étude du docteur Constantin2502, étude qu’il dédie à Alexandre Lacassagne en précisant que « [sa] pensée s’y reflète le plus »2503. En effet, le médecin considère que la consanguinité « dans les races pures, […] favorise la transmission des meilleurs qualités physiques et morales »2504, et désapprouve donc les mélanges. De nouveau, c’est l’indifférenciation induite par ces métissages multiples qui paraît inquiéter les auteurs. C’est pourquoi Collignon bat le rappel des conseils de révision pour obtenir les informations nécessaires au tracé du portrait du Français de type primitif, avant qu’il n’ait définitivement disparu2505.

Dans le cadre plus particulier de la domination coloniale, les travaux anthropométriques doivent permettre de faciliter l’identification des indigènes. C’est le but avoué de la recherche entreprise par A. Prengrueber selon lequel « la détermination de l’âge et de l’identité constitue l’une des questions les plus importantes parmi celles qui rentrent dans le programme des études médico-légales »2506. Son étude doit permettre de pallier le défaut de l’état civil qui « n’est régulièrement appliqué que depuis 1872 chez les Indigènes de la Kabylie » et est régulièrement contourné puisque « un grand nombre de naissances masculines ont été dissimulées, [et que] beaucoup le sont encore aujourd’hui malgré la surveillance de l’administration et les punitions sévères qui sont infligées » : selon le Code de l’Indigénat, les contrevenants s’exposent à 1 à 5 jours d’emprisonnement et 1 à 15 francs d’amende pour non déclaration de naissance. Les mensurations diverses et les chiffres finalement retenus par A. Prengrueber pour définir le profil-type du Kabyle moyen, « généralement de belle venue, tout en muscles et en os », permettent ni plus ni moins de suppléer la parole des individus quand celle-ci fait défaut. Si l’homme dissimule sa date de naissance, son corps lui, ne saurait mentir. S’il joue de son âge par « crainte du service militaire obligatoire », « pour tromper le fisc »2507, ou encore pour échapper à la justice dans le cadre de quelque affaire criminelle, l’étude anthropométrique de cette « race » doit permettre de déjouer la ruse. Même chose pour les populations bolonaises étudiées par Paolo Riccardi. En conséquence, si l’on peut être tenté de se faire passer pour ce que l’on n’est pas, l’étude rigoureuse des corps doit permettre d’empêcher toute usurpation d’identité, toute affiliation frauduleuse à un groupe plutôt qu’à un autre. Parce que l’anthropologie ainsi comprise permet de dresser le portrait statistique de l’homme, selon son appartenance ethnique ou sociale par exemple, elle est un outil puissant d’identification des individus et d’assignation de chacun à sa place. Parce qu’elle procède au repérage de stigmates révélateurs, elle permet de dresser toute une sémiologie efficace à des fins d’identification médico-légale.

Mais les caractéristiques ethniques ne sont pas les seules que l’on prétend pouvoir lire sur le corps. « L’étude des traces que laisse le travail sur le corps est [également] toujours intéressante au point de vue […] de la médecine légale »2508 : elles trahissent notamment la profession de celui qui en est porteur. De même, le relevé des tares des criminels doit permettre de rechercher « par des comparaisons et des rapprochements, la véritable signification de ces tares qu’on relevait en si grand nombre et avec une telle persistance dans la collectivité des criminels »2509. Certaines études d’anatomie comparée permettent de poser des conclusions pour le moins audacieuses. Cesare Lombroso rapproche ainsi le lipome des portefaix, bosse adipeuse que ces hommes, « habitués à porter sur le cou les poids les plus lourds »2510 présentent au niveau des vertèbres cervicales du « coussinet postérieur des Hottentotes, coussinet qui sert de support aux nourrissons », de la bosse des zébus et de celle des chameaux, ce qui lui permet finalement de conclure qu’il s’agit là d’un élément caractéristique de ces « bêtes de somme ». Sous le regard aigu de l’anthropologue, il semble admis que le corps ne saurait mentir. Mieux, il parlerait un langage universel : une fois donc son alphabet établi, tous les aveux pourraient lui être extorqués, et ces aveux ne concernent pas la seule condition physique des individus soumis à l’observation, mais également leur condition sociale.

Quelle que soit la méthode utilisée à ces fins identificatoires – analyse statistique ou recherche de stigmate – l’anthropologue procède toujours en vue de mettre en évidence les manquements à la norme, qui est définie comme moyenne statistique. La grande affaire, pour nos savants, c’est en effet la définition de l’homme ordinaire, moyen. C’est sur ces critères de médiocrité, au sens étymologique du terme, que se fonde l’idée de normalité en médecine.

‘« Nous groupons d’ordinaire les caractères à étudier chez un certain nombre d’individus considérés comme normaux ; cette étude nous fournit une sorte de résultante qui nous sert de point de comparaison, d’étalon en un mot. Nos notions sur la structure normale, sur la santé et la maladie, sur l’intelligence et l’insanité […] se prêtent à l’établissement de moyennes, soit de considérations générales »2511. ’

En l’absence de ces points de repères, « nous tâcherons de combler cette lacune en multipliant les données normales et en faisant précéder les constatations sur les criminels de considérations qui en faciliteront la mise au point »2512. Il importe donc d’avoir un référent initial, même si, « il restera toujours, par suite de la nature plus fluctuante des choses dont nous allons nous occuper, une certaine indécision au sujet des limites du normal, de l’anormal et du pathologique »2513. En dépit de ces incertitudes, l’anthropologue a bien des prétentions normatives, par lesquelles il entend faire la preuve de son utilité directe, d’autant plus qu’il est souvent médecin. L’état normal par rapport auquel il évalue les individus est à la fois habituel et idéal, et le médecin, grand ordonnateur de thérapeutique, a justement pour fonction essentielle de veiller au rétablissement de l’état habituel par les moyens, pharmaceutiques ou chirurgicaux entre autres, dont il dispose2514. « Il croit détenir le secret des comportements humains et la panacée des désordres sociaux »2515. En conséquence, il ne s’en tient pas à de simples fonctions d’expertise, mais il entend se projeter dans l’idéal, en réformateur du genre humain.

‘« À qui incomberait, sinon aux Sociétés d’Anthropologie, le devoir de prendre cure du bien de notre espèce et de signaler les faits de tout ordre qui lui portent préjudice ? »2516

L’anthropologue ne se contente pas de recueillir des observations, accumulant des mesures et procédant au catalogage rigoureux des populations : il en tire des conclusions, interprétant les faits, les mettant en relation et procédant à des déductions avant d’énoncer un certain nombre de préconisations dont le respect semble indispensable à l’entretien de la santé du genre humain. C’est à ce titre qu’il intervient particulièrement sur la question de la dégénérescence. La notion, élaborée par Prosper Lucas dès 18472517, est précisée et mise à la mode comme catégorie psychiatrique englobante par Benedict-Augustin Morel2518 (1809-1873) rencontre un franc succès. Son scénario d’accumulation progressive des tares fascine bien au-delà de la psychiatrie. L’obsession du déclin est très présente en cette fin du XIXe siècle, dans les écrits littéraires2519 comme scientifiques2520. Son usage est si courant que, de notion strictement psychiatrique, elle devient une « catégorie bio-sociale »2521 aux contours flous au sein de laquelle sont classés tous les individus relevant d’une « espèce humaine subalterne »2522. Elle préoccupe très largement les savants de l’époque, qui cherchent constamment à en relever les signes avant-coureurs ou révélateurs.

‘« Parmi les révolutions sans nombre qu’opéra le progrès de la science médicale dans cette dernière moitié du XIXe siècle, il en est une qui passionne actuellement tout le monde savant. Née d’hier pour ainsi dire, cette grande idée de la dégénérescence a jeté un jour tout nouveau sur nombre de questions restées obscures jusqu’à note époque »2523.’

On en relève donc partout les indices. Le docteur Lucas en identifie les signes dans le pavillon de l’oreille. René et Henri Larger en recherchent le signes dans « l’ensemble des anomalies de la gestation et dans les affections puerpérales spéciales »2524, depuis les anomalies de la conception (stérilité, gémellité, grossesses extra-utérines) jusqu’aux anomalies de l’accouchement (accouchement prématuré ou grossesse prolongée, procidences2525 et toutes les présentations anormales sans exception, avortement compris) en passant par les anomalies de la grossesse (toutes celles du placenta, du cordon et des membranes). Pour Lucien Mayet, c’est l’hypertrichose lombo-sacrée, c’est-à-dire « la présence d’une touffe de poils implantés sur une plus ou moins grande étendue du tégument de la région dorsale, lombaire et sacrée » rappelant singulièrement « la mèche plus ou moins allongée par laquelle les peintres et les sculpteurs figurent habituellement la queue des faunes »2526 qui en est le signe anatomique le plus probant [Fig.53].

Fig.53  : Hypertrichose lombo-sacrée chez une femme de 35 ans. Photographie tirée de Lucien Mayet, in Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1905. [BML FA 139095]

Mais il dresse une liste effrayante d’autres signes également probants chez la patiente dont il présente le cas, la malheureuse Joséphine D. :

‘« plagiocéphalie 2527 avec prédominance de l’asymétrie du côté droit ; front bas, fuyant ; implantation des cheveux atteignant presque les sourcils, asymétrie faciale ; déviation de la cloison nasale : prognathisme 2528 exagéré ; oreille non ourlée et presque totalement privée de lobule ; dentition défectueuse avec implantation irrégulière des dents, surtout pour la mâchoire inférieure et à droite pour le maxillaire supérieur ; brachydactylie 2529 , scoliose… »2530. ’

Une telle accumulation d’anomalies rapproche singulièrement la dégénérescence ainsi diagnostiquée de la conception classique de « l’infirmité infra humaine »2531 parce qu’elle ne considère plus l’individu qui en est atteint comme une hybridation d’animalité et d’humanité2532 mais comme un intermédiaire entre les deux. Certes, on n’affirme plus dans la deuxième moitié du XIXe siècle comme le faisait John Locke « qu’un imbécile est quelque chose d’intermédiaire entre l’homme et la bête »2533, mais l’on n’en est pas si loin. L’existence d’une anomalie quelconque, a fortiori d’un handicap, chez un individu pose la question du statut civil et juridique de celui qui en est affligé, comme dans le cas du sourd-muet par exemple2534. Charles Féré précise bien que « les progrès de la science ont fait de lui un homme et un citoyen »2535. Il n’empêche que la question est posée parce que le relevé d’un stigmate, quel qu’il soit, chez un individu, pose en fait la question de son « éducabilité ». Pour le cas de la surdi-mutité, Féré se montre prudent, se gardant de toute conclusion hâtive et invitant à considérer au sein de la population étudiée « les sourds-muets non congénitaux, […] mieux classés au point de vue du développement intellectuel » des « sourds-muets de naissance les plus mal classés » et précisant même qu’alors, il s’en trouve toujours de la première catégorie « qui présentent un nombre de stigmates tératologiques supérieur à la moyenne »2536 cependant que certains au sein de la seconde sont apparemment « mieux conformés ». Douteuses apparences… Cela n’empêche pourtant guère les médecins de semer l’inquiétude en affirmant que si « les dégénérés sont de tous les temps et de tous les pays, […] ils existent surtout maintenant »2537, notamment du fait des profonds bouleversements des conditions d’existence consécutifs des révolutions industrielles, de l’urbanisation et de « l’instruction [qui], en se diffusant, a en quelque sorte mise sous tension l’âme d’un peuple tout entier » induisant un « surmenage social [qui] ira sans celle grandissant, le nombre des inadaptés psychiques et moraux augment[ant] parallèlement »2538. À l’heure où « il n’est plus douteux que le système nerveux de nos descendants les plus normaux aura peine à supporter l’incessante trépidation de la vie fiévreuse qui de jour en jour ébranle davantage l’humanité civilisée »2539, il y a lieu de s’alarmer. Car ces dégénérés, dont les médecins soulignent la présence, toujours plus nombreuse, ne représentent pas seulement une dégénérescence dans l’espèce humaine, ils sont les indices d’une possible dégénérescence de l’espèce humaine. D’où la nécessité de mise en place de tout un processus de normalisation qui s’impose en deux temps et passe d’abord par la définition précise des contours de la déviance, conséquence de cet étiquetage préalable par le sceau du stigmate si l’on en croit Howard Becker 2540 , puis par la mise en œuvre de procédures de remédiation qui doivent permettre d’obtenir un retour à la normale de l’individu, dans son corps ou dans son comportement.

Les savants de l’époque ont pourtant bien conscience de la difficulté qu’il y a parfois à interpréter les faits par eux réunis, à appliquer telle ou telle étiquette aux individus qu’ils examinent. Dans les rangs des criminologues, on s’interroge par exemple sur « la corrélativité des stigmates »2541. Est-il possible de les mettre en lien, de supposer une relation de dépendance entre eux, les uns découlant des autres, en l’occurrence « l’existence de caractères anatomiques [permettant] d’inférer l’existence de tares biologiques et sociologiques [et autorisant] par conséquent à se contenter, pour caractériser le délinquant, d’une seule catégorie de stigmates »2542. Cela qui ne paraît guère recevable. Mais, quoiqu’ils en soient bien conscients, nos anthropologues n’évitent cependant pas l’écueil. Ainsi, de même que Lombroso pose au premier plan les caractères craniologiques, dans la première édition de L’Homme criminel, engendrant l’erreur qui conduit à résumer sa théorie en une vaine recherche de la « bosse du crime », de même Alexandre Lacassagne souligne, en concluant son étude sur le Rapport de la taille et de la grande envergure, que « nous pouvons dire, au point de vue de l’anthropologie criminelle, que les délinquants se rapprochent des races primitives »2543. En clair, leur silhouette rappelle celle du singe. Les mesures qu’il réunit permettent donc d’appuyer les théories criminologiques du temps, selon lesquelles le criminel présenterait un atavisme simien. Il s’inscrit dans la droite ligne de Cesare Lombroso pour lequel, animaux et sauvages étant des criminels-nés, ces caractères physiques expliquent sans peine le comportement barbare de celui qui en est affligé2544. Expliquant le comportement d’un nombre important de criminels par un retour des infracteurs au type humain sauvage pour lequel le crime est la norme, et considérant le crime comme une pathologie, induisant nécessairement des symptômes, l’anthropologue tente fort logiquement de trouver des traits communs au criminel et au « primitif », qu’il soit humain ou animal. Le criminologue italien propose par exemple de rapprocher les plis palmaires chez l’homme criminel et chez le singe [Fig.54].

Fig.54  : Comparaison des plis palmaires chez l’homme et chez le singe, in Cesare Lombroso, Le crime, ses causes, ses remèdes, Paris, Schleicher frères, 1899, p.561. [BML FA 427626]

Le criminel est un sauvage égaré dans la civilisation. Certes, c’est là un des premiers travaux de recherche de Lacassagne, et sa pensée va évoluer assez considérablement par la suite. N’empêche, de telles interprétations des faits posent problème, bien davantage que leur simple recueil. C’est la difficulté que rencontre l’historien des sciences : il lui faut faire la part des unes et de l’autre, chercher à comprendre les conditions de possibilité des savoirs sans se perdre dans le jugement qui fait courir le risque de l’anachronisme ou de la leçon de morale sans intérêt. Il faut se souvenir de l’injonction de Lacassagne :

‘« Jugez les auteurs d’après les idées de leur temps, et non selon les idées du nôtre…»2545

Cela doit-il nous interdire d’en venir à l’analyse de l’interprétation des faits ? Sans doute non. Ce serait négliger tout un pan du travail scientifique, le plus important d’ailleurs, puisque « dans tout travail sérieusement étudié, il y a généralement deux choses : les faits qui, exposés dans toute leur brutalité, ne trompent jamais dès lors qu’ils ont été bien observés et rapportés avec bonne foi, et l’interprétation des faits qui varie selon la tournure d’esprit de l’auteur et ses convictions philosophiques »2546. Cette dernière peut donc être erronée, elle est relative, mais révélatrice aussi de la pensée qui sous-tend le discours. On ne saurait donc la négliger. Puisque, en dépit des préventions dont ils font état, les anthropologues du temps s’autorisent à relever les éléments qu’ils définissent comme « stigmates » au titre d’éléments d’identification pertinents, à en faire usage pour constituer une sémiologie susceptible de rendre chaque corps parlant de manière à instaurer de la sorte des modalités de contrôle efficace, et à proposer, si possible, un certain nombre de mesures prophylactiques ou orthopédiques pour réduire la déviance ainsi diagnostiquée, on peut affirmer que c’est un bio-pouvoir aux dimensions effrayantes dont se dotent alors anthropologues et médecins.

On sait les propos surprenants que l’on peut lire sous la plume de certains auteurs, s’autorisant des interprétations abusives de la pensée de Darwin qui, dans L’origine des espèces, ne parle pas de l’homme et encore moins de la société. Clémence Royer dénonce ainsi la « charité imprudente et aveugle pour les êtres mal constitués où notre ère chrétienne a toujours cherché l’idéal de la vertu sociale et que la démocratie voudrait transformer en une source de solidarité obligatoire, bien que sa conséquence la plus directe soit d’aggraver et de multiplier dans la race humaine les maux auxquels elle prétend porter remède »2547, s’autorisant à tirer des conclusions eugénistes du maître. C’est pourtant ainsi que la thématique de la dégénérescence et celle de l’eugénisme2548 s’articulent : le processus de sélection naturelle, théorisé par Darwin, se trouve entravé par la société moderne, qui empêche l’élimination des faibles et des déficients. Afin de limiter le déclin de la race, il faut donc adopter un plan d’eugénisme négatif, visant à limiter la reproduction des individus inaptes, doublé d’un programme d’eugénisme positif2549, destiné à favoriser la reproduction des individus « de valeur »2550. À l’évidence, ces idées portent en germe les meurtriers prolongements que l’on sait, mais pour notre période, « normalisation » n’est pas encore synonyme d’élimination pure et simple. Du reste, il faut se garder de toute interprétation anachronique du phénomène, même si la position est difficile à tenir quand on l’embrasse depuis le début du XXIe siècle, après les horreurs nazies2551 qui en ont fait un « objet de phobie idéologique » pour reprendre l’expression de Pierre-André Taguieff2552. D’abord, on croit encore à la possibilité d’amendement des individus déchus par la dégénérescence ou le crime, physiquement ou moralement, faute de quoi les vastes programmes de « prophylaxie sociale » amorcés dans le dernier tiers du XIXe siècle serait sans fondement. Dans un premier temps, les théories eugénistes manifestent surtout un souci de perfectionnement de la reproduction des êtres humains2553 : il s’agit de remédier à la dégénérescence de l’espèce. On a dit qu’un traitement de la folie est envisagé depuis Philippe Pinel. On propose des interventions de chirurgie plastique aux individus de sexe douteux, leur autorisant une mise en conformité de leur corps. Ce premier moment du discours eugéniste repose donc sur un paradoxe assumé :

‘« Il faut être suffisamment pessimiste pour provoquer une inquiétude, mais pas trop pour laisser la porte ouverte à l’action »2554. ’

C’est a priori l’atout majeur de la pensée d’Alexandre Lacassagne : se positionnant dans une perspective hygiéniste en faveur dans la médecine française qui le différencie de Lombroso, il envisage « que le plus sûr moyen d’enrayer la criminalité » et la dégénérescence physique et mentale qui l’explique largement, « se trouve dans les dispositions prophylactiques »2555. Il convient donc de mettre en place des mesures préservatrices, afin de modifier les conditions intellectuelles, physiques et morales des masses 2556: réduction de l’insalubrité, de la misère, du défaut d’instruction et du manque de prévoyance, de l’abus des boissons alcooliques et des excès vénériens, de l’insuffisance de nourriture, l’ensemble de ces facteurs modifiant de manière défavorable les tempéraments de la classe pauvre. Les facteurs héréditaires proprement dits doivent être contrôlés. On pratique notamment la prévention du « transport séminal de la maladie »2557, en évitant la consanguinité et en promouvant une « hygiène de la famille » active. On envisage, enfin, le « dressage des jeunes dégénérés » en les isolant de leur milieu pathogène, en leur procurant des conditions de vie nouvelles et une éducation concrète. Alexandre Lacassagne considère ainsi « la possibilité de modifier le tempérament ou les instincts [d’un] condamné par l’éducation et le travail » afin de « le rendre, après amélioration, à la société dont il a été séparé »2558, dans le cadre de « colonies pénitentiaires spéciales » ou grâce à une prise en charge spécifique des enfants jugés vicieux ou coupables par des sociétés de protection de l’enfance. De telles peines étant envisagées comme véritablement thérapeutiques, le médecin réclame de jouer un rôle actif aux côtés du juge lors de leur prononciation. La confusion persistante du fou et du criminel favorise cette prise de mesures prophylactiques pour gérer la criminalité, la définition du fou comme malade et la possibilité d’envisager un traitement pour soigner sa pathologie précédant ce renouvellement de la conception de la criminalité. Alexandre Lacassagne fait partie des nombreux médecins qui envisagent le phénomène criminel sous cet angle résolument pathologique. C’est à ce titre qu’il demande de la création de maison d’accueil spéciales, des « asiles spéciaux » plutôt que des prisons, qui doivent être « une sorte d’école d’orthopédie morale où l’on éduquerait les individus dont les facultés morales sont peu développées, comme on éduque dans les établissements médico-pédagogiques les idiots et les imbéciles »2559. Cette évolution, les médecins l’appellent de leurs vœux depuis longtemps déjà. À la fin du XVIIIe siècle, Cabanis affirmait que les prisons pourraient devenir « de véritables infirmeries du crime »2560. L’idée s’en diffuse par le biais de la littérature. En 1832, Victor Hugo termine sa préface au Dernier jour d’un condamné 2561 sur cet espoir que, bientôt, « on regardera le crime comme une maladie, et cette maladie aura ses médecins qui remplacerons vos juges, ses hôpitaux qui remplaceront vos bagnes ». C’est pour cette raison que Lacassagne conteste la capacité des juges à déterminer la durée d’emprisonnement nécessaire, une telle prétention lui paraissant « tout aussi absurde que [celle du] médecin qui fixerait à l’avance la date où la maladie doit finir. La durée de l’internement doit être indéterminée parce que la date de la guérison est elle-même indéterminée »2562. Il ne faut donc pas conclure trop vite que le passage à une gestion hygiéniste de la criminalité serait moins répressive que les préconisations lombrosiennes. L’école criminologique lyonnaise ne se prive pas de reprendre le thème de « l’armée du crime » cher aux hommes politiques en place au lendemain de la Commune de Paris, qu’ils soient légitimistes ou républicains d’ailleurs. Ce n’est plus la récidive, mais les récidivistes, qui obsèdent alors le législateur, et cette évolution est décisive.

En 1872, les parlementaires s’interrogent pour la première fois : « La transportation doit-elle être appliquée seulement aux condamnés aux travaux forcés, ou également aux récidivistes ? »2563. Le problème est de nouveau au goût du jour en 1877, après avoir été brièvement éclipsé par « le rêve cellulaire [qui] se heurte [rapidement] à l’éternel obstacle de son coût rédhibitoire »2564. La Société générale des prisons tout récemment fondée pose à son tour la question de la « déportation »2565 et l’idée triomphe bientôt grâce aux nouveaux républicains. Paradoxe ? Sans doute pas. Rappelons que la Troisième République emmenée par Gambetta, ami ou supposé tel de Lacassagne, entre alors dans une période d’ordre moral et social peu soucieuse du respect des libertés individuelles2566. Le médecin lyonnais adhère, bien sûr, résolument au mouvement, clamant lors de sa leçon d’ouverture à la chaire de médecine légale de Lyon :

‘« À l’heure actuelle, ce seront encore les médecins qui montreront aux magistrats qu’il y a parmi les criminels des incorrigibles, des individus organiquement mauvais et défectueux, et obtiendront non seulement leur incarcération […] mais leur déportation dans un endroit isolé loin de notre société actuelle trop avancée pour eux »2567. ’

Une fois le pas du diagnostic d’incorrigibilité franchi, c’est la boîte de Pandore qui est ouverte. Dès 1903 le docteur Robert R. Rentoul, de Liverpool, propose de « diminuer le triste total de dégénérescence » par le recours à « une opération chirurgicale sur certaines personnes dégénérées de telle façon qu’elle ne puissent ni engendrer ni produire des enfants »2568. Il réitère sa proposition dans les colonnes des Archives d’anthropologie criminelle en 1910, à la faveur de l’actualité alors renouvelée du débat sur le sujet suite à l’adoption de cette proposition par deux états des Etats-Unis de l’Amérique du Nord2569. Mais, si l’idée d’une normalisation des sujets diagnostiqués comme déviants au terme de leur étude anthropologique est présente à l’esprit des théoriciens français, c’est seulement dans un contexte bien spécifique, lors de l’acmé de ces thèses, peu avant la Première Guerre mondiale, que l’on envisage de mener des actions plus déterminées en France. La thématique de la « dépopulation », qui s’exprime de façon récurrente pendant toute la fin du siècle, conduit les eugénistes à ne pas proposer de mesures relevant de l’eugénique négative (stérilisation, castration, ségrégation des “dégénérés”). Du reste, si pour certains la déviance ou l’anomalie sont de tels déficits d’humanité qu’on peut en venir à l’élimination pure et simple des sujets concernés, cette idée ne fait pas l’unanimité2570. Il n’en demeure pas moins que l’anthropologie, quoique science naturelle, prétend intervenir dans le champ du social. Depuis le siècle des Lumières, l’unité de la nature ne fait plus aucun doute : dans les entreprises de classification générale, dont la plus célèbre reste celle de Linné, l’Homme est considéré comme partie intégrante de cette nature. Cette idée devient axiome pour la science au début du XIXe siècle2571.

‘« Avec Bartez et Bichat, la physiologie prétend même explicitement œuvrer désormais à la constitution de la “Science de l’homme” […] on assiste à la fusion du thème biologique et des problèmes de société, à la naturalisation de l’ensemble des phénomènes humains »2572.’

L’anthropologie consacre cette union, parce qu’elle donne une assise de légitimité à cette discipline nouvelle en la dotant d’un but :

‘« Aujourd’hui les visées de l’anthropologie doivent s’étendre ; à côté des satisfactions élevées de la science, elle en doit tirer les conséquences pratiques au point de vue sociologique, recherches qui rendront sa tâche plus féconde »2573.’

La généralisation de l’a priori naturaliste dans les sciences en cette fin de XIXe siècle, si elle reste vraie, n’est donc pas tout à fait systématique. Certes, l’anthropologie demeure une science plus naturelle que sociale, mais le champ scientifique s’enrichit de processus de réflexion et d’appréhension du réel nouveaux, à l’instar de la sociologie, novatrice dans ses objets comme dans ses méthodes, dont les contours se dessinent alors même si ses champs de recherche et ses questionnements, encore en gestation, peinent à se distinguer de ceux des sciences de la Nature.

Notes
2480.

Parmi les grands initiateurs de cette science nouvelle, qui s’affirme tout au long des XIXe et XXe siècles, il faut mentionner ici André-Michel Querry (Essai sur la statistique morale de la France, Paris, Crochard, 1833, XI-69 p. [BML FA 104551]) et Adolphe Quételet (Sur l’homme et le développement de ses facultés ou Essai de physique sociale, Paris, Bachelier, 1835, 2 vol. : 327 + 327 p. [BML FA 398390]).

2481.

Sur ce point, l’étude d’Enrico Morselli est très claire (Enrico Morselli, Critica e Riforma del metodo in antropologia fondate sulle leggi statistiche e biologiche dei valori seriali e sull’esperimento, Tipografia Eredi Botta, 1880, 178 p. BML FA 137624)

2482.

Louis Vervæck, op.cit., 1909, p.7-8. [BML FA 137729

2483.

Henry de Vairgny, « Causerie scientifique : la nature et la vie », Feuilleton du Temps du 17 décembre 1904 avec la mention manuscrite : « gigantisme », in Dossier de pièces imprimées sur  « Anomalies, Monstruosités, Hermaphrodisme, etc. » BML FA 140744

2484.

Pierre-Émile Launois et Pierre Roy, Études biologiques sur les géants, Paris, Masson, 1904, 462 p. [BML FA 135236]

2485.

Article « Nanisme », in Le grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse, Tome 11, Paris, 1874, p.777.

2486.

A. Constantin, « Études d’anthropologie sociale dans le milieu militaire », in Bulletin de la Société d’anthropologie de Lyon, Tome XXII, 1911, p.6-7. BML FA 137628

2487.

R. Collignon, L’anthropologie au Conseil de révision. Méthode à suivre : application aux populations des Côtes-du-Nord, 1891, p.1. BML FA 137622

2488.

R. Collignon, op.cit., 1891, p.2. BML FA 137622

2489.

Idem.

2490.

Paul Topinard, op.cit., 1885, p.171. [BML FA 135244]

2491.

Idem.

2492.

Tout au long du XIXe siècle, la notion de moyenne (statut, interprétation) a fait l’objet de débats animés qui portent essentiellement sur « la nature de l’objet nouveau issu du calcul, et sur la possibilité de doter cet objet nouveau d’une existence autonome par rapport aux individus élémentaires ». Sur ce point on renvoie à la lecture du livre d’Alain Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, la Découverte, 1993, 437 p. Voir notamment le chapitre 3 : « Moyenne et réalisme des agrégats » (p.87-128).

2493.

Formalisée au XVIIe siècle, la loi des grands nombres indique qu’en statistique, lorsque l’on fait un tirage aléatoire dans une série de grande taille, plus on augmente la taille de l’échantillon, plus les caractéristiques statistiques de l’échantillon se rapprochent des caractéristiques statistiques de la population.

2494.

Alain Desrosières, op.cit., 1993, p.9.

2495.

Définition de « normal » selon le Dictionnaire de médecine de Littré et Robin. Cité par Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966 (6e édition), p.76.

2496.

Le terme est construit sur norma, « l’équerre » en latin, selon le Vocabulaire technique et critique de la philosophie [1926] d’ André Lalande, op.cit., 1997, p.688-690.

2497.

Georges Canguilhem, op.cit., 1965 (6e édition), p.76.

2498.

A. Constantin, op.cit., 1911, p.2. BML FA 137628

2499.

Pauline Sériot, Effets nocifs du croisement des races sur la formation du caractère, Paris, Imprimerie Frazier-Soye, 1918, 81 p. BML FA 137627

2500.

Pauline Sériot, op.cit., 1918, p.75. BML FA 137627

2501.

Pauline Sériot, op.cit., 1918, p.76. BML FA 137627

2502.

A. Constantin, op.cit., 1911, p.60. BML FA 137628

2503.

Courrier du 4 février 1911 de M. le Capitaine A. Constantin au Professeur Alexandre Lacassagne. Glissé dans A. Constantin, op.cit., 1911. BML FA 137628

2504.

Alexandre Lacassagne, « Consanguinité », in A. Dechambre (dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Tome 24 : « ???» , Paris, Masson-Asselin, 1880, p. ??. BML FA 404397

2505.

R. Collignon, op.cit., 1892, p.2. BML FA 137623

2506.

A. Prengrueber, op.cit., 1888, p.153-154. BML FA 137732

2507.

A. Prengrueber, op.cit., 1888, p.155. BML FA 137732

2508.

Dr Alezais, « Stigmates professionnels chez quelques ouvriers d’une manufacture de pianos », in Marseille médical, septembre 1889, p.537. [BML FA 138075]

2509.

Jules Dallemagne, Les théories de la criminalité, Paris, Masson, s.d., p.8. [BML FA 427784]

2510.

Cesare Lombroso, « Sur le lipome des portefaix, la stéatopygie des hottentotes et la bosse des chameaux et des zébus », in Bulletin de la Société d’Anthropologie de Bruxelles, tome II, 3e fascicule, 1884, p.3. [BML FA 138078]

2511.

Jules Dallemagne, op.cit., 1896, p.173. [BML FA 727783]

2512.

Jules Dallemagne, op.cit., 1896, p.5-6. [BML FA 727783]

2513.

Idem.

2514.

On suit ici les analyses de Georges Canguilhem. Sur ce point, voir :

Georges Canguilhem, op.cit., 1965(6e édition), p.76-sq.

Pierre Macherey, « De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault », in op.cit., 1993, p.286-294.

2515.

Claude Blanckaert, op.cit., p.10.

2516.

Charles Pellarin, « Le progrès social et la civilisation », in Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 2e série, t.VII, 1872, p.476-477.

2517.

Prosper Lucas, Traité philosophique et phsyiologique de l’hérédité naturelle dans les états de snaté et de maladie dus système nerveux avec l’application méthodique des lois de la procréation au traitement général des affections dont elle est le principe..., Paris, Baillière, 1847 et 1850, 2 vol. : XXIV-626 p. + 936 p.

2518.

Benedict-Augustin Morel, Traité théorique et pratique des maladies mentales, Paris, Baillière, 1852, 2 vol. : 471 p. + 600 p.

Sur la conception de la dégénérescence en psychiatrie, voir P. Weindling, L’hygiène de la race (trad. de Health, Race and German Politics between National Unification and Nazism, 1870-1947, 1989), Tome 1. Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne : 1870-1933, Paris, La Découverte, 1998, p.94-97.

2519.

Les Buddenbrocks de Thomas Mann, sous-titrés Le déclin d’une famille, comme les Rougon-Macquart d’Émile Zola, constituent des exemples fameux de cette littérature illustrant le thème de la dégénérescence. L’ouvrage de Mann conte l’anéantissement progressif d’une lignée de grands bourgeois de Lubeck. Le désenchantement morbide qui anime le récit est particulièrement représentatif d’une certaine littérature fin-de-siècle. Max Nordau est très influencé par ce livre quand il rédige son pamphlet, Dégénérescence, dans lequel les théories développées par Morel et Lombroso sont appliquées à l’analyse de la littérature fin-de-siècle.

2520.

On songe ici, outre Benoit-Augustin Morel, à Valentin Magnan, Cesare Lombroso, ou à l’idéologue raciste Georges Vacher de Lapouge.

2521.

Henri-Jacques Sticker, « De quelques moments de l’histoire sur les corps extrêmes », in Champ psychosomatique, 2004, n°35, p.15.

2522.

Idem.

2523.

Prosper Lucas, Pavillon de l’oreille. Valeur de ses anomalies comme stigmates de dégénérescence, Bordeaux, Imprimerie du Midi, 1900, p.9. [BML FA 139185]

2524.

René Larger et Henri Larger, « Les stigmates obstétricaux de la dégénérescence », in Revue de médecine, 22e année, n°8, 10 août 1902, p.724. [BLM FA 136836]

2525.

En obstétrique, il s’agit de la descente du cordon ombilical ou d’un membre du fœtus en avant de la partie qui se présente normalement au moment de l’accouchement.

2526.

Lucien Mayet, « Contribution à l’étude de l’hypertrichose lombo-sacrée envisagée comme stigmate anatomique de la dégénérescence », in Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, Paris, Masson, 1905, p.2. [BML FA 139095]

2527.

Il s’agit d’un aplatissement unilatéral du crâne.

2528.

Le prognathisme consiste dans la projection d’une ou des deux mâchoires en avant de la verticale abaissée du nez.

2529.

L’individu brachydactyle présente une malformation héréditaire des doigts, qui ne possedent pas la longueur d'un doigt normal (phalanges trop courtes).

2530.

Lucien Mayet, op.cit., 1905, p.4.

2531.

Henri-Jacques Sticker, op.cit., 2004, n°35, p.11.

2532.

C’est le cas avant le XVIIe siècle, pendant l’Antiquité et tout le Moyen-Âge. Sur ce point, voir l’article d’Henri-Jacques Sticker et Guy H. Allard (éd.), Aspects de la marginalité au Moyen Âge, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975, 174 p.

2533.

John Locke, Essais sur l’entendement humain, Paris, Bossange Père et Firmin Didot, 1822, livre V, chap.IV, § 14. Cité par Henri-Jacques Sticker, op.cit., 2004, n°35, p.11.

2534.

M. Falgairolle, De la condition sociale, civile et juridique des sourds-muets, Nancy, Vagner Impr. 1901, 69 p. BML FA 139178

2535.

Charles Féré, op.cit., mai-juin 1896, p.364. [BML FA 139173]

2536.

Charles Féré, op.cit., mai-juin 1896, p.368. [BML FA 139173]

2537.

Lucien Mayet, op.cit., 1905, p.4.

2538.

Idem.

2539.

Lucien Mayet, op.cit., 1905, p.5.

2540.

« Les groupes sociaux créent la déviance en formulant les règles dont l’infraction constitue une déviance et en appliquant ces règles à telles ou telles personnes qu’ils considèrent comme marginales. De ce point de vue la déviance n’est donc pas une qualité de l’acte que la personne commet, mais plutôt une conséquence de l’application par les autres de règles et de sanctions à un “contrevenant”. Le déviant est une personne à laquelle cette étiquette a été appliquée avec succès ; un comportement est déviant à partir du moment où il est désigné comme tel ». Howard Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance 1963, Paris, Métailié, 1985, p.207 ?

2541.

Jules Dallemagne, op.cit., s.d., p.10. [BML FA 427784]

2542.

Idem.

2543.

Alexandre Lacassagne, op.cit., 1882, p.7. BML FA 135408

2544.

Pour une critique de l’argumentaire de Lombroso sur ce point, voir : Stephen Jay Gould, op.cit., 1997, p.159-169.

2545.

Alexandre Lacassagne, op.cit., 1872, p.VII. [BML FA 427533]

2546.

A. Bertaux, op.cit., 1891, p.VI. BML FA 137727

2547.

Clémence Royer, préface à Charles Darwin, De l’origine des espèces par sélection naturelle ou des lois de transformation des êtres organisés, Paris, Guillaumin-Masson, 1866, p.XXXIV.

2548.

Le terme et le concept d’eugénisme, forgés par Francis Galton (1822-1911), cousin de Darwin, fondateur d’une école biométrique et eugénique britannique, consistent d’abord en une prise en compte des effet de l’évolution des espèces et de la transmission héréditaire de ceux-ci, afin d’en maîtriser les conséquences pour l’espèce humaine. Mais cette idée initiale se structure rapidement comme un élément d’une doctrine sociobiologique aux ambitions plus vastes.

Rappelons la définition qu’en donne son créateur : « Science de l’amélioration des lignées, qui n’est aucunement confinée à des questions de croisements judicieux mais qui, tout particulièrement dans le cas de l’homme, prend appui sur tous les facteurs … susceptibles de conférer aux races ou souches les plus convenables une plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui le sont moins » (citée dans Jean Gayon, « Comment le problème de l’eugénisme se pose-t-il aujourd’hui » ? », in Marie-Agnès Bernardis, L’Homme et la santé, Seuil, 1992, p.290.

2549.

C’est à cette fin qu’est discutée la mise en place d’un certificat médical prénuptial dès la fin du XIXe siècle, mais surtout à compter de la Première Guerre mondiale. C’est finalement le régime de Vichy qui, par la loi du 16 décembre 1942, institue la pratique, entérinée ensuite par le Code civil (article 63) et le Code de santé publique créé en 1953 (article L153). Sa suppression a été décidée le 9 octobre 2007.

À ce sujet on renvoie au livre d’Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France : les médecins et la procréation (XIXe-XXe siècle), Paris, Seuil, 1995, chapitre 13 : p.312-338.

2550.

Pour une mise au point sur l’eugénisme, ses principes et son histoire, on renvoie à Jean-Noël Missa et Charles Susanne, De l’eugénisme d’État à l’eugénisme privé, Bruxelles, De Bœck, 1999, 183 p.

Voir aussi, pour une mise au point synthétique sur la genèse et de l’évolution de l’eugénisme Catherine Bachelard-Jobard, L’eugénisme, la science et le droit, Paris, PUF, 2001, p.13-62.

2551.

L’ouvrage d’Anne Carol, qui concentre son attention sur le contexte médical de l’eugénisme français, insistant sur les particularités notables de son histoire depuis le début du XIXe siècle, est particulièrement utile sur ce point.

Anne Carol, op.cit., Paris, Seuil, 1995, 381 p.

Voir aussi la mise au point bibliographique très utile élaborée par François Roussel, « L’eugénisme : analyse terminée, analyse terminable », in Esprit, juin 1996, p.26-54.

2552.

Pierre-André Taguieff, « L’eugénisme, objet de phobie idéologique », in Esprit, novembre 1989, p.99-115.

2553.

À partir du XVIIe siècle, cet « art de faire de beaux enfants » prend les noms les plus divers : « callipédie », puis « orthopédie », « mégalanthropogénésie », « anthropogénésie », ou « anthropogénisme » du docteur Rey, auteur d’un livre sur la dégénération de l’espèce humaine et sur sa régénération en 1863 ; « puériculture » enfin, avec les principes développés par Adolphe Pinard au tournant du siècle, dans des termes proches de l’eugénisme théorisé par Galton et ses héritiers.

2554.

Anne Carol, op.cit., 1995, p.36

2555.

Alexandre Lacassagne et Étienne Martin, « Des résultats positifs et indiscutables que l’anthropologie peut fournir à l’élaboration ou l’application des lois », in Archives d’anthropologie criminelle, 1901, p.541.

2556.

On sait qu’Alexandre Lacassagne est engagé sur l’ensemble de ces fronts, ou presque. Les quelques éléments bibliographiques indiqués ci-après le soulignent bien.

Pour les questions d’insalubrité : Alexandre Lacassagne, Les établissements insalubres de l'arrondissement de Lyon, Lyon, Storck, 1891, 636 p. [BML FA 429314]

Sur la question de l’hygiène en général : Alexandre Lacassagne, Précis d’hygiène privée et sociale, Paris, Masson, 1876, IV-560 p. [BML FA 427889]

2557.

Au XIXe siècle, la transmission héréditaire des maladies est depuis longtemps un fait acquis, et ce non seulement pour les maladies relevant de lésions organiques et visibles mais aussi, après Pinel et Esquirol, pour ce qu’on commence à appeler les « maladies mentales ».

Sur ce point, on renvoie à la mise au point dressée par Jean-Noël Missa, « “L’individu n’est rien, l’espèce est tout” : analyse historique de l’évolution de la question de l’eugénisme au XXe siècle », in Jean-Noël Missa et Charles Susanne, op.cit., 1999, p.9-39.

Voit aussi Jean-Louis Fischer et William H. Schneider, Histoire de la génétique : pratiques, techniques et théories, Paris, ARPEM, 1990, 310 p.

François Jacob, La logique du vivant : une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard, 1976, 354 p.

2558.

Idem.

2559.

Cité par Maurice Michelon, op.cit., 1906, p.87. BML FA 135668

2560.

Pierre J.G. Cabanis, Observations sur les hôpitaux, Paris, Imprimerie nationale, 1790, p.6.

2561.

Victor Hugo, Le Dernier jour d’un condamné [1829], Paris, Gallimard, 2000, 278 p.

2562.

Maurice Michelon, op.cit., 1906, p.92. BML FA 135668

2563.

Bernard Schnapper, « La récidive, une obsession créatrice au XIXe siècle », in Le récidivisme. XXIe congrès de l’Association française de criminologie, Paris, PUF, 1983, p.44.

2564.

Laurent Mucchielli, op.cit., 2000, p.70.

2565.

Martine Kaluszynki, Production de la loi et genèse des politiques pénales. La Société générale des prisons (1877-1900), CERAT/GIP, Saint-Martin-d’Hères, 1996, p.80.

2566.

Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ? Les restrictions aux libertés publiques de 1879 à 1914, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1976, 461 p.

2567.

Alexandre Lacassagne, op.cit., Revue scientifique, 1881, p.684. [BML FA 135385]

2568.

Robert R. Rentoul, « Stérilisation proposée de certaines personnes atteintes de dégénérescence intellectuelle », in Archives d’anthropologie criminelle, 1910, p.516.

2569.

Les premières opérations de stérilisation après obtention du consentement des sujets sont réalisées par le Docteur Harry Sharp, médecin à Jeffersonville (Indiana), dès 1899. En 1907 l’Indiana, puis la Californie dès 1909, promulguent des lois autorisant la stérilisation des criminels confirmés, des idiots et des imbéciles, par ligature du canal déférent chez l’homme, de la trompe de Fallope chez la femme. Dans l’espace anglo-saxon, l’implication du politique dans la démarche eugéniste est donc assez évidente dès le tout début du XXe siècle. Outre ces mesures de stérilisation prises aux États-Unis, signalons ainsi la création d’une commission chargée d’examiner le problème de la « détérioration nationale » dès le début du XXe siècle.

Sur le mouvement eugénique en Grande Bretagne, on renvoie à l’étude de Pauline M.H. Mazumdar, Eugenics, Human Genetics and Human Failings : the Eugenics Society, its sources and its critics in Great Britain, New York, Routledge, 1992, 373 p.

Sur les liens étroits qui lient eugénisme et psychiatrie dans les États-Unis de la première moitié du XXe siècle, voir Ian R. Dowbiggin, Keeping America Sane. Psychiatry and eugenics in the United States and Canada, 1880-1940, Londres, Cornell University Press, 2003 (2e édition), 245 p.

2570.

Citons cependant deux de ses partisans : Charles Richet et Charles Binet-Sanglé, dont Alexandre Lacassagne possède quelques écrits, (notamment Charles Binet-Sanglé, Le haras humain : hérédité, anthropogénétique, puériculture, juvéniculture, aristocratie rationnelle, Paris, Michel, 1918, 244 p. [BML FA 428857]).

2571.

Sur ce point, on renvoie à Georges Gusdorf, Dieu, la nature, l’Homme au siècle des Lumières, Paris, Paris, Payot, 1972, 535 p.

2572.

Laurent Mucchielli, « Introduction générale. La naissance de la criminologie », in Laurent Mucchielli (dir.), op.cit., 1995, p.10.

À ce sujet, voir :

Sergio Moravia, Il pensiero degli Idéologues. Scienza e filosofia in Francia (1780-1815), Firenze, La Nuova Italia,1974, 865 p.

Georges Gusdorf, Les sciences humaines et la pensée occidentale. Tome VIII :La conscience révolutionnaire. Les idéologues, Paris, Payot, 1978, 551 p.

2573.

Henri Thulié, « L’École d’Anthropologie depuis sa fondation », in 1876-1906. L’École d’Anthropologie de Paris, Paris, Félix Alcan, 1907, p.23. [BML FA 135110]