Cette fusion du moral et du physique, qui est au fondement de la discipline anthropologique en général, et plus particulièrement de l’anthropologie criminelle, inscrit ce domaine de recherche, nouveau2574, dans une histoire de plus longue durée. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, l’innovation n’est pas cette naturalisation du social, mais bien sa prise grandissante d’autonomie même s’il cohabite encore avec le naturel et si les modalités de son appréhension empruntent encore largement aux sciences de la nature. L’étude du phénomène criminel en est emblématique : quoi qu’envisagé comme un symptôme, manifestation naturelle d’un trouble physique, il devient progressivement un véritable objet social. Comment une telle mutation a-t-elle pu être possible ? En cette fin de XIXe siècle, l’organisation des disciplines académiques autour des trois principaux domaines que l’on connaît aujourd’hui est en cours. On ne distingue alors pas toujours nettement les sciences, qui cherchent à découvrir les lois de la nature au travers de l’expérimentation ; les sciences humaines, dont l’histoire, qui tentent d’étudier les différentes traditions nationales et de donner une cohérence à l’émergence des états-nations ; et les sciences sociales qui veulent élaborer des méthodes scientifiques pour mener à bien l’étude des phénomènes sociaux. L’anthropologie rencontre des difficultés particulières pour se couler dans un tel moule, car la discipline développe différentes branches qui ne relèvent pas toutes d’un seul et unique domaine scientifique. C’est ce polymorphisme de l’anthropologie qu’il faut maintenant évaluer, afin d’en cerner les évolutions majeures pour notre période, d’y situer l’école lyonnaise dont Lacassagne est le chef de file et d’en comprendre les modalités spécifiques d’appréhension de l’altérité.
On retiendra pour date de naissance de l’anthropologie française celle de la création de la Société d’anthropologie de Paris par Paul Broca, Pierre Gratiolet et Armand de Quatrefages entre autres, soit l’année 1859, et ce même si la Société d’ethnologie de Paris, créée en 1839, peut être considérée comme son ancêtre directe et annonciatrice.