Annexes

Annexe 1 : Journal d’Alexandre Lacassagne pendant le siège de Strasbourg. Manuscrit [don de son fils Jean au Val-de-Grâce]

NB : J’ai procédé à la transcription la plus fidèle possible. Les mots en italique sont les mots douteux. On a précisé la présence de mots illisibles entre crochets. Les passages barrés sont ceux qui sont effectivement barrés dans le texte. Il s’agit de notes prises rapidement par Alexandre Lacassagne, le plus souvent dans le feu des évènements ou le soir à la fin de la journée, donc parfois difficilement lisibles. Les feuilles, volantes, ont été rassemblées ultérieurement. Il ne s’agit donc pas véritablement d’un « journal », mais il semble qu’Alexandre ait voulu jeter là quelques éléments de souvenir, peut-être pour en reprendre par la suite la rédaction peut-être.

Dans une enveloppe : « Monsieur le Docteur Lacassagne, professeur à la faculté de médecine de Lyon. Journal de mon mari pendant le siège de Strasbourg » + mention manuscrite au dos de l’enveloppe :

« Lacassagne Jean Alexandre Eugène

Né le 17 Août 1843 à Cahors (Lot)

Admis École de Strasbourg, caserné31 Déc. 1863

Docteur en Médecine le 20 Déc. 1867

Sujet de thèse : Chloroforme

Médecin stagiaire : 28 Janvier 1868

Aide-major de 2e. : 31 Déc. 1868

Répétiteur de patho. [un mot illisible] & médecin du 1er juin au 31 juillet 1870 »

+ mention : « Don de M. Dr Lacassagne Jean, le 12.II.56 »

Première série de 3 feuillets, écrits à la plume.

« Dimanche 28 août.

Enfin ! je trouve quelques minutes à consacrer à mes notes. Il me semble que je n’ai rien écrit depuis Jeudi soir. Et que je les ai laissées au moment où le bombardement nous a obligés de descendre dans la cave de Schimler.

Ma fluxion n’a fait qu’augmenter pendant la journée de Vendredi et j’ai souffert d’une manière atroce : comme si ce n’était pas assez des souffrances morales ? Les journées de vendredi et de samedi ont été pareilles : bombardements tout le temps. Par moment c’était une véritable furie, une rage de la part de nos assaillants. Les bombes, les obus pleuvaient sur les incendies allumés par les fusées. Je me rappelle encore cette nuit de jeudi à vendredi. Je montais la garde devant la porte de chez Schimler, les femmes étaient toutes dans la cave car le mari garde national avait été obligé d’aller à son poste. Tout à coup des cris sinistres retentissent à deux pas de nous, le feu est à l’hôpital civil. Le veilleur de la cathédrale fait entendre ses cris sinistres. Il n’est pas possible d’avoir une voix plus lugubre : le feu est rue [un mot illisible], le feu est rue St Nicolas, le feu est rue du fil, le feu est au faubourg national… le feu est rue de la [un mot illisible], le feu est au faubourg de Sa… [illisible], le feu est à l’hôpital civil, le feu est à la cathédrale… Le feu, hélas ! était partout. Quand j’entendis que le feu était à la cathédrale, je ressentis une profonde douleur. J’allais au galop sur le place de la faculté, et là je vis ces formidables marches à ma gauche, à 30 pas de moi, la petite et coquette chapelle de l’hôpital brûlait vivement à ma droite, la superbe et immense cathédrale [un mot illisible] s’agenouillait au loin dans sa robe de pierre était environnée par de longues langues de flamme qui léchaient les tourelles et couvraient tout le vaisseau. La toiture en cuivre et en zinc donnait à la flamme des couleurs bleues et blanches qui illuminaient tout le ciel. Et l’immense bâtiment, au milieu des flammes et de la fumée, montrait plus nettes, plus blanches et plus pures ses dentelles et ses guipures innombrables. Il n’est pas possible de rêver un pareil spectacle. Et quand, extasié, effrayé, j’oubliais un moment malgré le bruit des bombes et du canon du rempart qui tonnait à cinquante mètres de moi, la réalité, je croyais avoir sous mes yeux un décor d’opéra, une fantasmagorie diabolique, une féerie impossible créée par un Raggeroni de génie. Je ne l’oublierai jamais.

Je suivais dans l’air la [un mot illisible] des fusées rouges qui traçaient avec gravité un sillon lumineux et tombaient sans relâche sur le foyer. Des éclairs en accents circonflexes dans la direction de la Robertzau, et accompagnées ensuite de 14 détonations régulières me permettaient de calculer avec ma montre la distance de la batterie. Elle étaient à peu près à 3 kilomètres. Les chauffeurs qui l’alimentaient ne devaient pas perdre une minute, et la justesse de leur tir n’y perdait rien.

Les obus, les fusées se succédaient régulièrement, chaque dix minutes, dans la même direction, le ciel était déchiré par une immense lumière semblable à un éclair de temps d’orage. C’était une bombe. Elle faisait entendre un bruit particulier, semblable à un chien qui se plaint, puis s’abattait et éclatait avec un bruit d’une force effrayante. Sur la porte même de la maison, nous recevons les couches d’air ébranlées par ces vibrations énormes, le sol tremblait.

Je ne pus y tenir longtemps, d’ailleurs la cathédrale est…"

Manuscrit difficilement lisible, au crayon de papier très pâle.

« Dimanche 21, 3 heures

Très bonne nuit chez Schimler. Messieurs les ennemis ont heureusement laissé fort Brignolles. Il paraît qu’ils construisent de très grandes batteries pour pouvoir commercer un siège selon les règles de l’art.

Hier Samedi, affaire du Parlementaire. On parle d’évacuer l’hôpital. Le général ennemi a averti et dit qu’il n’en répondait pas. J’ai écrit par l’Internationale à ma famille et à Fieuzal. On nous annonce la victoire de Viouville.

Aujourd’hui les gens circulent assez tranquilles dans les rues. On attend. Il n’y a plus que peu de viande pour les malades de l’hôpital. On m’affirme qu’il n’existe plus que 132 bœufs pour la garnison qui en consomme 20 par jour. Heureusement nous avons des chevaux. »

Manuscrit difficilement lisible, au crayon de papier très pâle. Il s’agit clairement de notes jetées à la va-vite sur le papier.

« Lundi, 2 heures.

À la porte d’Austerlitz [un mot illisible] pendant ma contre-visite deux détonations terribles.

Le soir panique effrayante.

Lettre du général prussien.

Rien la nuit.

mardi

bonnes nouvelles.

Je couche chez Schimler. [un mot illisible] voit des éclairs, ce sont les bombes. Le bombardement commence à 9 heures moins le quart. Un éclat arrive dans la maison.

Proclamation d’Uhrich [un mot illisible].

On enterre au jardin botanique. Les établissements sont fermés à 10 heures.

à 9 heures la canonnade continue.

à 10 heures elle devient intolérable et effrayante. Nous descendons dans la cave avec toute la maison, Bellot et Bayard. Les coups sont de plus en plus rapprochés. Mauvaise nuit. Pas de sommeil. Un incendie au faubourg St Nicolas. Un pharmacien [un mot illisible] rapporte à l’hôpital les deux cadavres d’enfants tués à côté de sa chambre.

Mercredi 9 heures, je suis à la fenêtre de Schimler, rue des Louchères, j’entend passer les obus qui paraissent se diriger vers l’arsenal. Je ne sais si je vais trouver debout l’hôpital militaire. La brasserie de l’Aigle, 5 maisons au dessus de la nôtre, a sa grande porte enfoncée.

8 heures. Je pars pour l’hôpital.

2 heures. Visite avec une camarade cantonné. C’est un vrai bombardement. Nos ennemis tirent sur l’hôpital et la citadelle. Nous sommes à deux pas. Un obus a frappé le mur de la 2e division de blessés. il y a eu cette nuit plusieurs meurtres. On apporte deux élèves blessés. Un assez grièvement. Ils ont été atteints sur la place du château. La maîtresse de l’un d’eux qui était avec eux a été blessée dans la poitrine et dans le ventre.

Les pauvres enfants tués cette nuit reposent à côté l’un de l’autre à l’hôpital. L’un a la partie droite et l’autre la partie gauche de la figure enlevée. Ils dormaient dans le même lit et ne se sont pas réveillés.

Je rentre chez moi rue des Veuves à 9 heures, les bombes continuent à siffler. Mon quartier a terriblement souffert. Le petit séminaire est massacré.

Pendant que nous sommes chez moi, avec Bleischer, deux bombes éclatent dans la rue. Une coupe la jambe à un homme devant la brasserie de l’espérance.

Nous allons déjeuner à la cloche, et les détonations continuent plus fortes. Quand nous nous rendons au café, en passant rue des Juifs, une bombe siffle et éclate à côté de nous. Nous n’avons pas le temps Instinctivement nous nous jetons dans une rue voisine. Personne de nous n’est atteint.

On vient nous chercher au café pour un artilleur qui a la jambe emportée par un obus. Poncet lui fait l’amputation de la cuisse. Le bombardement sur la citadelle redouble. Celle-ci répond et envoie de grosses bombes à Kehl. C’est effrayant, trois quatre coups par minute. La citadelle est à 200 mètres de l’hôpital.

Je fais ma contre-visite et je me rends chez Schimler. En passant sur les remparts je vois un spectacle effrayant mais bien beau. Toute la citadelle est en feu. Kehl brûle en quatre ou 5 points différents. Les bombes pleuvent littéralement sur cette petite ville. À la fenêtre de la rue des Bouchers, je vois continuellement passer des brancards. on rapporte un homme coupé en deux par un obus. Les deux parties du corps sont rattachées par la peau du ventre. Il est 4 heures, de temps en temps, quelques coups de canon. On dirait cependant qu’il y a une trêve. Le ciel est sombre, il fait froid presque. Et je souffre assez d’un mal de dents provoqué sans doute par le froid que j’ai éprouvé cette nuit dans la cave. »

« Mercredi soir.

à 9 h. ¼ nous étions à la brasserie Schutz. Un obus éclate rue du vieux marché aux poissons juste devant la maison. Bruit effroyable. Sifflements. Tout le monde se jette par terre, les vitres se cassent. J’ai eu moins peur que je ne le pensais, j’ai gardé assez de calme et je suis resté debout. J’ai été étonné de me voir ainsi. Sauve qui peut général. Tumulte indescriptible dans les rues. un obus éclate de nouveau dans la même rue quand nous entrons sous le pont du Corbeau, un autre quand nous sommes sur le quai des bateliers et un quai du Lycée (je suppose) quand nous étions près de ma chambre. Tachard vient avec moi. Nous entendons encore deux détonations. à 10 h. je me mets au lit, Tachard veut coucher tout habillé sur le canapé. Que va-t-il se passer d’ici à demain ? …

Histoire du feu du champ de bataille de Reischaffen (la nuit à 1 h. m. le 4. violente détonation. on dort. Incendie du faubourg national. On crie au feu).

Vendredi. à 6 heures j’ai été voir la cathédrale. elle est endommagée. C’est une tombe.

3 heures. pendant toute ma visite, bombardement de Strasbourg. affreux ravages en ville. un canon arrive à la pension de la cloche. on dit que Kehl est en feu. le bombardement continue, c’est effrayant. Schuller vient au café et nous dit cette parole de circonstance : « Messieurs, je suis heureux de vous revoir ». Ville aspect sinistre boutiques fermées foin sur les caves.

9 h. moins le quart.

Il n’y a plus personne dans les rues. On s’attend à un bombardement cette nuit. Tachard est allé loger chez Claudot. Je rentre seul chez moi, bien isolé, et cependant assez tranquille. Je n’ai pas ces pressentiments sinistres de Tachard (j’ai son testament). Je n’ai pas voulu aller chez Schimler. Je cherche à me mettre à la hauteur des circonstances et je ne suis pas en [un mot illisible]. Le n° de ma rue (demeure de Mr Sergend) a été bombardé, le n°29 a eu son toit effondré. La place St Étienne, la rue de la bare en mil, c.a.d. les rues qui m’entourent, ont beaucoup souffert. Affaire de Barroin. C’est horrible. J’ai vu les femmes à l’hôpital – à 5 heures en [un mot illisible] de nos remparts Kehl est en feu. Ils ont tiré avec des obus de 24. Maison de Mr Bach.

La rotonde un marin pointe (il entre 23 badois) avec un obus de 24, il en sort 5 effarés. à la citadelle un obus tombe au milieu d’une table et basse 2 militaires ) – un Turco a les deux jambes emportées. Nous faisons deux amputations (bras et cuisse). On augmente notre pension. Hier on a donné le sel aux soldats. L’hôpital a reçu 4 obus. J’en ai vu tomber un.

Samedi. 5 h. Éveillé par une très forte canonnade, je me mets à la fenêtre. [un mot illisible] comme à l’ordinaire beaucoup de voisins. Nous n’entendons pas siffler les bombes. ce sont les nôtres, paraît-il, qui tirent sur toutes les maisons voisines de la ville de Kœnig… ou de Schiltigheim. [plusieurs mots illisibles]. Ces messieurs ont été charmants cette nuit, ils ne nous ont envoyé que 4 ou 5 bombes.

de 11 h. à minuit canonnade. on dit qu’ils font une attaque aux ponts couverts. soldats déguisés abordant au port.

à 5 h. à la brasserie, un médecin major qui habite la citadelle nous prévient d’un très sérieux bombardement pour ce soir. La journée a été fort calme. Ils se préparent, dit-on, et sont furieux qu’on leur ait brûlé une partie de Kehl. Je range quelques livres. Je ne sais si je reviendrai chez moi, car s’ils tirent de Kehl, la citadelle, ma maison serait par trop exposée. »

« Jeudi 9 h ¼ du soir.

Après le café, nous sommes allé visiter les remparts de la Porte de Pierre au poste qui précède la porte nationale. En cet endroit la ville me paraît admirablement disposée pour la défense. J’ai admiré notre troupier, c’est dans ces circonstances qu’il faut le voir pour avoir une juste idée de son entrain et de son initiative. On relevait les postes. C’était 7 h ½. Près des canons ou des batteries, les artilleurs ont construit de petits abris de planche où quelques-uns sont allongés sur de la paille à l’abri de la pluie qui tombe toujours très fort. « Nous attendons les Prussiens à la [un mot illisible], dit l’un d’eux ». Nous cherchons avec les sentinelles à apercevoir les cavaliers Prussiens. Il paraît qu’il y en avait réellement 6 ou 700 à Kœnesoffen. Il paraît qu’on a tué un près de la porte Nationale. Il était au cimetière Ste Hélène. La sentinelle a tiré de sur les rempart, à peu près à 700 mètres. Le Uhlan a eu deux balles dans la poitrine. Son cheval blessé est parti chercher un refuge près des murs.

Le chemin de ronde est boueux et difficile. Je me figure la fatigue de nos ennemis qui marchent à travers champs. Un sergent commande une corvée à quelques hommes : allez, et revenez vite, ce n’est pas loin, à peu près 6 kilom. Ils s’éloignent en chantant.

Voici la situation : le chemin de fer de Mulhouse est aussi coupé, nous voici maintenant complètement isolé. Il a dû être coupé à 5 heures [plusieurs mots illisibles] que nous sommes allés accompagner au cimetière la dépouille de Mr Leroy nous avons entendu plusieurs fois le sifflet des locomotives.

Un nouveau ministère. Les honnêtes gens se sont retirés. on se bat peut-être à Paris. ce serait folie. Terminez les affaires commencées, puis nous régleront nos comptes. 

Vendredi 10 heures du soir.

Nous avons été visité ce matin et longuement les fortifications que nous avions vue hier soir à la nuit. Il y a eu quelques coups de feu tirés par les sentinelles sur les Uhlans. Un bataillon du 87eme est sorti en reconnaissance. Ils ont tiré une centaine de balles, je ne sais si toutes ont porté juste.

Ils ont bien vu que nous sommes complètement isolés, pas de nouilles. les Prussiens nous cernent et cherchent à nous couper les vivres. Ils ont enlevé 400 moutons qui allaient entrer en ville. Ils paraient [sic.] qu’ils se retranchent dans les montagnes au-delà de Schiltingheim. D’autres disent qu’ils y construisent des batteries pour commencer le siège. Je n’y crois pas, c’est à 8 kilom.

on abat tous les arbres dans les campagnes.

Le [un mot illisible] est enterré ou va l’être.

Samedi soir.

Dans ma promenade aux remparts j’ai parfaitement vu les dragons prussiens. Pendant que nous étions à la Fernkmatt, on a tiré quelques coups de feu des ouvrages avancés sur une briquetterie où des ennemis se cachaient.

à 9 heures la canonnade a commencé. on a fait feu sur un régiment prussien qui voulait profiter de l’ouverture de la porte de Pierre pour entrer en ville. on a envoyé des obus et des boites à mitraille dans le cimetière Ste Hélène.

La fusillade a été nourrie de part et d’autre et s’est succédée sans interruption pendant une demi-heure.

(Le Général Moreno à la Commission départementale)

Un alsacien, ancien soldat, travaillait son champs. Un cavalier Prussien lui ordonne de tenir son cheval et son sabre pendant qu’il va satisfaire un besoin. Notre homme obéit. Il voit que les pistolets étaient dans les poches, le sabre a côté de la selle. Il saute sur le cheval et en avant il file sur Strasbourg avec le cheval. lui a été bien payé. Il a promis d’en ramener ainsi le plus souvent qu’il pouvait.

Toujours par de nouvelles de l’armée, de la famille, de Paris.

Nous étions à prendre notre café au [un mot illisible] quand la canonnade a commencé. J’ai ressenti bien moins d’émotion que samedi dernier, le jour de la défaite de Freschwiller. On s’habitue à tout. Je suis allé à la porte de Pierre. Le canon fait un grand bruit. Il ronfle dur. Un blessé arrive, c’est un artilleur qui a le bras gauche fracturé. Il est très excité, ne veut pas être pansé, désire retourner au feu.

à 8 h. ½ le Brogilhe a repris son aspect accentué. Des promeneurs, de nombreux groupes, J’oubliais : on nous a supprimé un plat à la pension. La cloche.

à 10 h. ½ la canonnade recommence, elle est très forte. Ce sont les Prussiens qui envoient des obus et des bombes incendiaires. On leur répond vivement. Les [un mot illisible] d’obus viennent sur la gare et arrivent sur les toits de quelques maisons voisines. Un violent incendie s’allume dans les environs de la Rotonde. Tout le ciel paraît en feu. Dimanche à 5 j. ½ la canonnade m’éveille, je vais de suite aux remparts.

détails sur les coups tirés hier contre les 300 cavaliers.

après le café, nous allons à la Porte de Pierre - les dégâts, détails donnés par le maréchal des logis.

nous allons au Steimenberg, 2 h. après une femme y perd ses mollets, un homme blessé éclat de bombe.

parlementaire des Prussiens pour enterrer les morts. Capitaine de phare, le feu recommence avec clairon.

arrivée du général Barral, déguisement, capture de Prussiens par le douanier.

soirée tranquille, éclairage des rues.

à 3 h. réveillé par un terrible coups de canon. J’ai cru que c’était dans la rue. Tout le monde se met aux fenêtres. les voisins en chemise engagent des conversations, les petites lanternes brûlent toujours et éclairent [un mot illisible] la rue. tout rentre dans le calme.

à 6 h. les cloches sonnent à toute volée.

Lundi, 4 heures.

Ce latin nous sommes allés au [un mot illisible]. C’était triste. la garde nationale sédentaire formait la haie, les uns en chapeau noir, d’autres en casquette ou chapeau de paille, les uns en blouse, d’autres en redingote. Ils avaient l’air martial et portaient bien leurs fusils. Le prêtre officiait en chasuble noire.

Cette détonation si forte qui a réveillé tout Strasbourg provenait du point de la Robertsau (2 kilomètres) que les Badois venaient de faire sauter. Nos troupes hier étaient allées couper le pont en fil de fer qui est sur l’Ill. Quelques coups de hache dans les 4 gros faisceaux qui le soutenaient, et le pont s’était abîmé dans la rivière.

Mon ami Lereboullet qui était secrétaire de l’Internationale et était allé à Haguenau a pu échapper aux Prussiens. Il paraît que les gentillesses de ces messieurs diminuent. Ils exercent des contributions épouvantables sur nos campagnes. Ils ont imposé de nouveau Haguenau pour 600 mille francs. Chaque général, chaque troupe qui passe lève un nouvel impôt. Il faut que celui-ci soit acquitté dans les 24 heures. Ils font des proclamations tous les jours, appellent les alsaciens leurs frères et les avertissent que seront fusillés immédiatement tous ceux qui auront pris cher à un soldat prussien, ou donné un faux renseignement, ou averti les soldats de Napoléon III, etc… Il y a plus de 30 motifs pour être tué.

10 h ½

Dans la reconnaissance de hier, nous avons eu un homme tué.

Je lis dans l’Impartial du Rhin, une dépêche de Chevreau du 12 annonçant que les Prussiens se massent autour de Strasbourg. Comment voulez-vous que nos affaire ne marchent pas mal quand un ministre de l’Intérieur est si mal renseigné.

La canonnade a recommencé dans la journée à 4 h et le soir très vivement à 1 heure. elle a duré jusqu’à 8 h. ½ nous avons eu quelques blessés. on a délogé l’artillerie [un mot illisible] qui cherchait à s’établir du côté de la montagne verte.

à 10 h le bombardement commence, les boulets et les obus sifflent puis éclatent dans les rues. C’est effrayant. Des gens passent dans ma rue en criant. Le canon français répond on peut leur envoyer de la mitraille. à midi ½ le calme.

mardi

Tachard a manqué être tué. Les dégâts. Je vais à la Cathédrale. Les reconnaissances ([un mot illisible] blessé et trois canons pris). Incendie d’Illkirsch. Vue des tirailleurs de Schiltigheim.

[un mot illisible] du maire sous le bombardement.

Il n’y a plus personne dans [un mot illisible]. Cette affiche est une faute. Tachard veut coucher chez moi.

Mercredi.

Le canon commence le matin quand je vais à l’hôpital. Pendant ma visite, fusillade très nourrie puis 2 blessés amputations de [un mot illisible], la cuisse.

détails sur la reconnaissance de hier (fuyards, canons ramenés, fusils et cartouches [plusieurs mots illisibles] les Turcos et leurs Schashos.

à 4 h. on bombarde le Bon Pasteur, l’établissement de Mlle Fournié, canonnade très vive jusqu’à 6 heures.

Soirée calme. On dit qu’ils ont quitté Altkirsch. Un [un mot illisible] est venu de Colmar. il annonçait une grande victoire.

Lettre d’Alexandre Lacassagne à sa mère. 6 feuillets manuscrits, recto-verso, à l’encre rouge.

« Strasbourg, Jeudi, 3 heures.

Chère mère,

J’ai reçu ta dernière lettre avant hier, elle était partie de Cahors vendredi dernier. Tu vois par là que le retard n’a pas été considérable et que notre situation est bien loin d’être compromise. Hier enfin, les communications télégraphiques et postales ont pu s’effectuer par la ligne de Mulhouse et nous avons pu recevoir des journaux. Figure-toi que nous sommes restés près de trois jours sans nouvelles positives de l’armée et du reste de la France. Notre situation était affreuse, et je ne te cache pas que Samedi elle me paraissait bien pénible. La journée de Dimanche n’a fait qu’augmenter nos craintes : les fuyards arrivaient de tous les côtés. Nous étions perdus, criaient partout les bourgeois timides, et le patriotisme alsacien commençait à tomber bien bas. Quelques-uns avaient parlé de se rendre alors que cet officier prussien était venu faire des sommations. Il paraît que ce n’était pas même un parlementaire, c’était un fou, un écervelé qui, ayant appris sans doute dans les environs l’affaissement moral d’une partie de la population avait conçu le plan hardi d’enlever la ville avec quelques uhlans. On lui a répondu à coups de fusil, et il a perdu deux hommes de son escorte. Toute la journée on avait vu circuler dans les environs des éclaireurs ennemis, des patrouilles qui venaient étudier les lieux et se rendre comte des dispositions que nous avions prises. Un corps prussien ou Wurtembergois s’était établi, paraît-il, dans des forêts voisines à 7 kilomètres, et un détachement considérable était venu à Schiltigheim pour y prendre du pain et des vivres. Schiltigheim est le Larroque-des-arcs de Strasbourg – tu comprends alors que leur voisinage devait s’annoncer. L’officier prussien venu sous les murs de la ville disait que le corps ennemi bivouaqué dans les environs était fort de 40 000 hommes et de 110 bouches à feu.

Ces détails, comme je le disais plus haut, avaient abattu quelques strasbourgeois conservateurs. Notre vieux général Uhrich, qui commande la Place, a montré de suite une grande énergie. il a fait afficher une proclamation qui produit un excellent effet. « Habitats de Strasbourg, dit-il, on a parlé de se rendre. Notre ville a 12 000 soldats, 400 canons, sur les remparts, de fortes munitions… Strasbourg ne se rendra que lorsqu’il n’y aura plus une seule cartouche, un seul biscuit, un seul soldat. Que les bons restent avec nous, que les autres s’éloignent de suite. »

Voilà à peu près le sens de ces paroles énergiques qui ont ramené le calme et la confiance. Aujourd’hui j’entends dire que des ennemis ont été signalés dans les environs, on ne s’en occupe pas. Un poste d’observation est établi sur la plate forme de la cathédrale et communique avec la division par un fil électrique, notre cavalerie fait de temps en temps des reconnaissances, le tiers de la garnison veille sur les remparts, tous les bourgeois sont armés, tout homme valide et en état de porter les armes a reçu un fusil et des munitions, les portes sont ouvertes le matin et la campagne nous envoie d’immenses provisions. J’ai la conviction que nous pouvons longtemps résister.

D’ailleurs, je viens de voir les choses par moi-même et c’est à cause de ma sortie hors des portes que j’ai manqué le courrier du jour. Nous sommes allés quelques-uns accompagner au cimetière le corps d’un médecin principal. J’ai été étonné de l’aspect terrible que présente la ville au dehors. Nous sommes dans une véritable île, une oasis si tu préfères. Tous les abords de la ville sont inondés, les fossés sont très profonds, et les pluies torrentielles que nous avons depuis trois jours changent tous les glacis en marais. Il est impossible d’arriver, si ce n’est pas la route qui conduit aux ponts-levis. Il y a double enceinte et entre les deux portes la route doit être minée. Quelle situation relativement bonne quand on pense à notre pauvre Alsace en proie à nos ennemis. Nous sommes tout à fait abandonnés des grands corps d’armée de Mac-Mahon et de Bazaine puisque les Prussiens occupent Haguenau, Brumath et Saverne.Vous ne recevez là-bas que des échos bien affaiblis de cet affreux carnage qui s’appelle la bataille de Freiswiller et de Reischaffen. Il paraît que le champ de bataille a 7 lieues d’étendue. En quelques heures on a tué quarante ou cinquante mille hommes. Malgré l’internationale, et le grand nombre de médecins prussiens, les secours manquent encore aux pauvres blessés. Nos médecins militaires faits prisonniers sont très bien traités et soignent leurs malades. Le général Prussien qui commande à Haguenau a fait demander à Strasbourg des médecins. Il paraît (ô chose horrible, et que les gens qui ont voté le plébiscite l’aient sur leur conscience), il paraît qu’il y a encore des blessés qui ne sont pas pansés. ils ont passé près de quatre jours et cinq nuits sur le champ de bataille, et un de mes amis qui a vu cette horrible scène me disait qu’ils demandaient de suite du pain et de l’eau. Ces détails sont navrant, gardez-les pour vous, ce n’est pas le moment de les faire connaître au public. Il ne s’agit pas en ce moment de marchander ou d’hésiter avec le salut public. Pour moi, j’ai bonne confiance, mais il faut une levée en masse.

Que dit-on à Cahors ? Pourquoi ne m’écrivez-vous pas plus souvent ? Que dit-on surtout dans ces campagnes qui adoraient leur souverain, vantaient ses talents et son amour pour le peuple ? Ah ! que j’avais raison quand je disais à Guilhou de Luzach que le plébiscite était une carte à payer. Le voilà soldat à l’heure qu’il est !

Et ce n’est pas tout ! nos ennemis savent se tirer d’affaire, ils prennent la population (les hommes valides je veux dire) pour les aider à couper les chemins de fer, à faire des fortifications. À Bischwallen, à Freischwillen, tout le monde a été requis pour enterrer les morts. Ils paient très bien les menues consommations, ne font de mal à personne s’ils ne trouvent pas de résistance, mais pour les besoins de cette immense armée, pour ses approvisionnements, ils prélèvent des contributions. Les habitants de Haguenau ont été obligés de payer deux cent mille francs d’impôts. Ils font des bons pour le pain ou les fourrages et disent aux paysans ou fournisseurs d’aller se faire payer à la mairie. En quelques endroits mêmes, ils ont averti qu’ils payeraient à Strasbourg. C’est une tactique bien calculée de leur part, et maintenant plus que jamais ils pensent à l’Alsace et à la Lorraine. »