Se faire un nom : le baptême

Les hommes de Babel n’ont pas encore de nom, et décident par un effort collectif de mener à bien un projet qui les arrache de l’anonymat, leur permette d'affirmer une présence qui aille au-delà de leur mort, et donc d'entrer dans l’Histoire. Car être nommé, c’est recevoir une identité. C’est la parole – et la parole humaine – qui donne forme distincte et identité aux choses et aux hommes : Butor lui-même rappelle que, après avoir créé les animaux, Dieu a attribué à l’homme le pouvoir de les nommer : « Dans la Bible on nous dit qu’Adam, lorsqu’il s’est éveillé au paradis terrestre, a donné leurs noms aux choses 96» :

‘L’Éternel Dieu forma de la terre tous les animaux des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir vers l’homme, pour voir comment il les appellerait, et afin que tout être vivant porte le nom qui lui donnerait l’homme. 97

C'est donc par l'appellation que toute chose et tout être commencent. Ce qui fut vrai pour la première femme 98 l'est tout autant, souligne Butor, pour les mots de la science :

‘Dès que le savant se trouve devant une notion nouvelle, il est obligé de lui trouver un nom. Il est évidement obligé d’utiliser des mots qui sont déjà employés ailleurs, de les déplacer d’un domaine dans un autre. 99

Ce mouvement de « métaphore » – qui, en grec moderne, signifie « déplacement », « transport » – coïncide avec l’origine du langage : « On peut même dire que la métaphore est l’origine du langage, parce qu’il y a un signe appliqué à une autre région »100. Et puisque le nom est à la fois signe et réalité qui désigne ceux qui le portent, il peut fort bien changer avec le statut de la personne. La Genèse en offre deux exemples célèbres : celui de la femme, qui, initialement appelée par Adam « Isha », reçoit ensuit de lui le nom d'Ève « parce qu'elle fut la mère de tous les vivants »101, et celui d'Abram que Dieu rebaptise « Abraham » quand il passe avec lui l'alliance qui en fait le « père d'une multitude de peuples »102.

Notes
96.

BUTOR, Michel. « Le Baptême », in L’Utilité poétique. Op. cit., p. 73.

97.

Genès, II, 19.

98.

« On l’appellera femme », Ibid., II, 23.

99.

BUTOR, Michel. « Le Baptême », in L’Utilité poétique. Op. cit., p. 73.

100.

Ibid.

101.

Genèse, 3, 20.

102.

Ibid., 17, 4-5.