Deuxième Partie
Babel dans L’Emploi du temps

Chapitre I : Babel / Bleston

En abordant l’étude de la ville dans L’Emploi du temps, il nous est impossible de faire l’impasse sur la cité de référence qu'est Babel (ou Babylone). Car Bleston offre comme elle deux visages : celui de la malédiction et celui de la bénédiction. Elle possède un double pouvoir : une force attirante, promesse de bénédiction ; une force répulsive, synonyme de malédiction – et L’Emploi du temps fonctionne ainsi selon deux hypothèses différentes. Plusieurs éléments du texte mettent en relief cette complexité babélienne. D’une part se développe la croyance que le monde ne possède plus aucun sens et que cette perte de sens renvoie à un labyrinthe ; d’autre part, le salut par la culture naît précisément de cette situation babélienne.

Deux postulats idéologiques nous renvoient donc à la lecture de Bleston/ Babel, selon une dichotomie qui fait écho à Bleston elle-même, divisée en deux parties.

Cette divergence d’interprétations est suggérée dès la première phrase du texte : « Les lueurs se sont multipliées ». Nous pouvons dire également que les langues se sont multipliées, mais aussi les villes, et comme nous l’avons déjà signalé dans la première partie, au lieu de construire une seule ville, l’humanité en a construit plusieurs. En ce sens, les lueurs se multiplient pour signifier d'emblée les multiples connexions et les connotations de la ville, voire du mythe.

Et elles signalent ainsi la mort du sens unique du texte : Bleston peut être lue comme la conçoivent jusqu’à nos jours les poètes et les romanciers, selon la logique de l’après Babel, celle de la malédiction ; mais nous pouvons suivre au contraire une tout autre lecture, qui renonce au regret de la langue unique pour célébrer la pluralité des langues.

Il s’agit donc de s’interroger sur les structures et les fonctionnements qui conditionnent la possibilité de cette seconde lecture. En fait, puisque, à l’instar du texte de Babel, L’Emploi du temps constitue un réseau de significations, d’allusions et de questions relatives à la langue, à l’espace et à la construction, nous allons montrer, dans un premier chapitre, comment Bleston symbolise ou illustre une Babel moderne, une ville labyrinthe ; comment l’individu, pour déterminer sa propre direction, entre en relation avec le lieu ; comment ce rapport fonctionne selon deux sortes de mouvements contraires, l’un d’extériorité (plan de la ville), l’autre qui s’inverse pour atteindre le personnage à l’intérieur. Et nous verrons comment ces deux mouvements se rencontrent dans le carrefour de l’appartenance, de l’identité.