Le nom de la ville

C’est un autre trait partagé avec Babel : Bleston est aussi abordée par le truchement de ses multiples facettes, et c’est à partir de l’étymologie de son nom que nous pouvons retrouver deux significations qui renvoient à la double dimension de son visage. Car deux étymologies s’opposent. Il y a d’abord celle qui provient de l’imagination des habitants de la ville, « Bells Town » :

‘Or il y avait depuis longtemps une grande lézarde dans la tour qui se trouve au-dessus de nous, ce qui était fort grave pour les habitants de Bleston que cela interdisait de faire sonner les célèbres cloches qu’ils considèrent depuis des siècles comme l’essence même de leur cité, au point qu’ils les ont mises dans ses armoires, et qu’ils s’imaginent que son nom même vient d’elle, Bleston, Bells Town (P.P.101-102).’

Par la référence qu’elle fait à l’anglais, cette première étymologie présente Bleston comme une ville positive, ville de bénédiction : « Blessed town ». Mais il y en a une autre, issue de l’histoire et des fouilles archéologiques, qui apparente au contraire la ville à la malédiction, car elle y devient, langue latine aidant, la cité de la guerre : « En réalité il y avait, à l’emplacement où nous sommes, un temple de la guerre romain, préromain peut-être (on a fait quelques fouilles sous la crypte au moment de l’installation du chauffage), et comme certains textes du haut moyen - âge donnentl’orthographe « Bellista », on pense qu’il faut chercher son orthographe dans « Belli Civitas » (la cité de la guerre) (P.102)

Écho, là encore, du texte biblique, où la guerre existait entre les hommes du Déluge et ceux de Babel : « nous y montons et nous (lui) ferons la guerre158 ». Mais c’est aussi entre Bleston et Jacques Revel, qu’il s’agit de guerre : les deux étymologies appellent à une confrontation entre le protagoniste et la ville aux deux visages, dont la multiplicité de sens vient sans doute du refus de la clôturer dans une représentation unique.

Mais nous allons voir que ce qui paraît ambivalent et opposé se révèle en fait complémentaire. Car connaître la vérité de Bleston suppose une lecture aussi rigoureuse que celle de Babel, une lecture capable d’embrasser les aspects historiques, sociaux, moraux, symboliques, de même que le patrimoine architectural de la cité. En effet le fil conducteur de L’Emploi du temps est celui d’une dualité qui détermine un certain nombre de rapports fondamentaux dans l’histoire de Bleston/Babel moderne : ville monstrueuse, citadelle, labyrinthe, mais aussi riche de son héritage antique qui est « une mine de mystère ». Ces mystères sont propres aux mythes et constituent une façon d’entrecroiser les cultures, les genres et les pratiques. Ils donnent naissance à différentes interprétations. En ce sens, le moindre détail prend une signification importante, même les noms des rues : ils font partie des événements et de la narration et relèvent donc à ce titre du texte de la ville.

Notes
158.

BOURTEZ, Pierre. « La Tour de Babel, Variation 2 », in La Tour de Babel. Op. cit., P. 12