Le labyrinthe

Placer la ville de L’Emploi du temps sous le signe du labyrinthe renvoie tout d’abord à un aspect extérieur qui intéresse l’architecture et l’organisation urbaine et qui concourt à égarer le voyageur. Marchant droit devant lui, trop sûr que ses forces s’épuiseront, Jacques Revel en vient à penser qu’il n’existe aucune sortie permettant de quitter Bleston :

‘[…] car dès ce jour j’avais compris que Bleston, ce n’est pas une cité bien limitée par une ceinture de fortifications ou d’avenues, se détachant ferme sur le fond des champs, mais que, telle une lampe dans la brume, c’est le centre d’un halo, dont les franges diffuses se marient à celles d’autres villes (P. 43).’

C’est par cet aspect qu’il est contaminé : « sa volonté est droguée », au point que, tourmenté par la hantise d'une incapacité à vivre les derniers mois de son séjour, il éprouve le besoin d’aller chercher à l’extérieur le secours : « d’autres édifices, d’autres horizons, d’autres sols » (P. 44). En lui transmettant sa maladie, la ville a effacé de lui son humanité, et c’est pourquoi il attend si impatiemment son retour afin d’être « délivré » et de retrouver sa « forme humaine » (P. 149).

La ville devient ainsi le lieu d’un combat où le héros affronte un véritable monstre. Elle se caractérise par des configurations spatiales où les correspondances traditionnelles entre l’espace, la culture et les structures sociales ne s’exercent plus. Les routes désertes sont barrées, l’homme est enfermé dans des maisons identiques : « J’ai repris la route en sens inverse, entre les deux abordeurs de maisons semblables et symétriques » (E. T. P. 42). Ces maisons sont à moitié détruites, l’odeur de l’eau sale, mousseuse et noire se confond avec la sueur trouble qui diffuse elle aussi l’odeur de la ville.

Car c’est aussi l’atmosphère de Bleston, et notamment son climat, qui suscite le malaise. La pluie apparaît dès le début du séjour, lorsque, seul dans le train, Revel remarque le coin de compartiment « près de la vitre noire couverte à l’extérieur de gouttes de pluie » (P.9) :

‘Dehors, c’étaient des vapeurs brunes, des piliers de fonte passant, ralentissant, et des lampes entre eux, aux réflecteurs de tôle émaillée, datant sans doute de ces années où l’on s’éclairait au pétrole, puis à intervalles réguliers, cette inscription blanche sur de longs rectangles rouges : (Bleston Hamilton Station). (E. T.P.9).’

L’amertume et l’acidité de l’atmosphère lui donnent le sentiment qu’il est un homme condamné : « Cet air auquel j’étais condamné pour tout un an, je l’ai interrogé par mes narines et ma langue, et j’ai bien senti qu’il contenait ces vapeurs sournoises qui depuis sept mois m’asphyxient, qui avaient à me plonger dans le terrible engourdissement dont je viens de me réveiller » (P.11).

Dominé par la peur d’être pris dans un labyrinthe extérieur auquel il essaye d’échapper, Jacques Revel se replie dans une intériorité protectrice. Il entre par l’écriture dans un autre labyrinthe, intérieur celui-là, et cherche une issue dans les légendes mythologiques. L’enjeu est de construire (écrire) son propre mythe, celui de l’humanité et celui de la cité des hommes, mais aussi de se reconquérir lui-même à travers d’autres figures : Œdipe, Thésée, ou le couple fraternel qui caractérise la faute humaine et l’errance : Abel et Caïn.

Bleston est semblable à toute autre ville moderne : à l’image de la production de notre époque, elle est belle mais elle est aussi une cité monstrueuse où l’enchevêtrement des chemins mène l’homme à tourner en rond, à errer sans fin dans un circuit de labyrinthe. Elle oppose à Jacques Revel un réseau complexe dont il lui faut relever le défi.