Chapitre II : La ville dans ses mythes

Dans une ville projetée dans la modernité du vingtième siècle, Jacques Revel essaye de se retrouver pour atteindre le sens de sa propre existence. Au cours de cette recherche, il éprouve le besoin et la nécessité d’avoir des complices, et il part donc à la découverte des lieux de mémoire, car Bleston possède aussi des racines mythiques. Dans l’Emploi du temps leur fonction est soulignée par la relation intime qui s’établit entre les personnages mythiques et le héros lui-même : ce sont les seuls qui, dans la souffrance du présent, peuvent le conduire vers le rêve, le sublime, la lumière et le merveilleux. Jacques Revel, obsédé par ces lieux chargés de références mythologiques, tente de dénouer leurs mystères : plusieurs superpositions se mettent en place, jusqu’à se qu’il se trouve enfermé dans la toile de la ville.

À Bleston, les lieux mémoriels constituent une sorte de compensation entre le visage d’une cité moderne et celui de la ville mythique. Leur description s’organise autour de plusieurs déchiffrements possibles qui déterminent une lecture multiple, variant selon la condition et la vision du lecteur. Car ils sont des « labyrinthes », mais entourés de serrures qui se prêtent à recevoir leurs propres clés :

‘Le lecteur pressé apercevra bien, par des entrouvertures, d’admirables jardins, mais l’épaisseur des murs le rebutera, et il n’aura pas la patience de chercher tout autour de la porte des instruments qui lui permettraient de l’ouvrir. Au contraire, celui chez qui se sera éveillé un véritable désir de pénétrer, y parviendra au bout d’un peu de recherche et de temps 170  . ’

C’est ainsi que le personnage se lance dans une enquête minutieuse, et qu’il aura peu à peu accès aux clés de Bleston, ville moderne habitée par des figures archaïques. Mais un tel cheminement le plonge dans une sorte de mise en abyme, tant l’approche de ces mondes diffère pour chacun d’eux.

Car que peuvent faire les mythes dans une ville qui semble, par sa modernité, vouloir détruire l’Histoire et toutes les racines ? Quel bienfait peuvent-ils apporter dans la vie d’un étranger égaré dans cette ville ? Il semble que l’appel que fait la littérature contemporaine en général aux figures mythiques s’explique par la recherche d’un sens fondateur, et que s’interroger sur la relation de l’individu à la communauté, sur les troubles de l’identité qui en résultent, conduisent nécessairement à la recherche de telles figures. C’est pour se défendre contre Bleston que Jacques Revel y a également recours, jusqu’au point de transformer Bleston en un dispositif de miroirs.

Ces figures sont en effet reprises, et elles se renouvellent au fur et à mesure que le monde s’ouvre à d’autres cultures et en intègre l’apport. Les monuments ne s'offrent pas seulement à lire : ils proposent eux-mêmes une lecture, où le Vitrail de l’Ancienne Cathédrale reprend la légende de Caïn et de ses descendants, où la série des tapisseries du Musée relate la légende de Thésée, où le Théâtre des Nouvelles, le cinéma, et la Nouvelle Cathédrale deviennent les supports de nombreuses autres références mythologiques. C’est à la recherche du sens ou des significations de ces lieux que le héros consacre son travail de déchiffrement, dans l’espoir de comprendre la ville. Cet effort enrichit d’une façon particulière sa conscience. Un autre horizon de valeurs lui apparaît : elles exigent un travail herméneutique infini pour révéler les significations latentes et le devenir des symboles.

Notes
170.

BUTOR, Michel. Répertoire I. Paris : Gallimard, 1960. P.P. 16-17.