A. Les symboles de L’Ancienne Cathédrale

« L’Ancienne Cathédrale de Bleston est célèbre pour son grand vitrail, dit le Vitrail du Meurtrier…». Ainsi commence le roman policier de J.-C. Hamilton, Le Meurtre de Bleston que Jacques Revel acquiert un jour, intrigué par l’ambiguïté de son titre. Guidé d'abord par le seul désir de se replonger dans la lecture, lui qui n’a pas ouvert un livre depuis qu’il est dans cette ville alors qu’il était« si grand liseur auparavant », il va trouver dans ce roman un outil précieux au service de sa propre quête-enquête sur Bleston :

‘[…] son livre qui peut ne paraître aux heureux habitants d’autres villes qu’un roman policier classique, a été pour moi, par sa relation très précise à Bleston, un auxiliaire si précieux que je puis presque dire qu’une nouvelle époque s’est ouverte dans mon aventure… (P. 72).’

On pressent alors pourquoi la première phrase du roman d’Hamilton, qu’il connaît par cœur, est la dernière de la première partie du L’Emploi du temps : elle est la clé de la visite de l’Ancienne Cathédrale, dont on trouve la narration détaillée dans la deuxième partie de l’œuvre. Cette visite a été précédée d’une première tentative, mais la pluie avait alors empêché Revel de déchiffrer l’édifice de façon précise et féconde. Ce n’est qu’après la lecture du roman qu’une nouvelle phase peut s’ouvrir dans son parcours.

Quand il entre dans la Cathédrale, il rencontre un ecclésiastique grâce auquel il parvient à lire un vitrail, et qui lui apprend, que les blestonins ne parlent pas guère de ce monument portant réputé :

‘Elle est très célèbre en effet ; il est peu d’ouvrage sur notre pays qui n’y fasse quelque allusion, et pourtant, ici même, on en parle fort peu ; vous auriez pu vous promener des mois dans ce vieux quartier qui nous entoure, sans que personne vous engage à l’aller regarder (E.T. PP. 90-97).’

Quand le prêtre apprend l’origine de Jacques, il lui précise que ce vitrail est attribué à des maîtres français, date du milieu du sixième siècle, et que « l’architecture de la fenêtre a été refaite à cette occasion ». Or, c’est dans cette fenêtre que s'inscrit la scène d'un meurtre, au sein d’un grand cercle raccordé aux panneaux par des triangles :

‘Dans les quatre triangles curvilignes qui le raccordent aux autres panneaux et aux bords supérieurs, vous pouvez distinguer des fleurs à six pétales qui sont peut être des flammes… (E.T. PP. 91- 92). ’

Ces triangles symbolisent les trois facettes de la manifestation de la Trinité, présente dans différentes religions et personnifiée dans le Christianisme à travers la figure de Dieu : « Dieu est un, Dieu est trois 171 ». Le cercle, lui, représente le cycle infini de la vie, et correspond à la conception de l’éternel recommencement ou de l’éternel retour. Or, c'est précisément de retour qu'il s'agit ici – à commencer par celui du texte mythique dans le texte moderne, puisque le récit du fratricide de la Genèse permet de découvrir que Bleston peut être aussi la ville de Caïn. Rien d'incongru là-dedans : dans Caïn et l’est d’Eden, Véronique Léonard souligne que l’auteur de L’Emploi du temps a souvent rapproché Caïn de Babylone172, et plusieurs aspects de l'errance de Jacques Revel font écho à celle de Caïn après son meurtre.

Notes
171.

CHAVOT, Pierre, POTIN, Jean. L’ABCDdaire du Christianisme. Paris : Flammarion, 2000. P. 112.

172.

LÉONARD-ROQUES, Véronique. « Caïn et l’est d’Eden », in Le lieu dans le mythe. VION-DURY, Juliette (dir). Limoges : Presses Universitaires de Limoges, 2002. (Coll. Espace Humains). P. 35.