Chapitre III : La ville lue / La ville écrite

Même si la lecture et l’écriture sont liées, dans L’Emploi du temps, la première semble précéder la seconde jusqu’au moment où elles s’entrecroisent. En effet, la lecture n’est pas un simple acte de réception, mais une activité d’appropriation : dès son arrivée, Jacques Revel se met à lire Bleston selon des directions qui ne cessent de se multiplier. Dans Répertoire V, Michel Butor signale d’ailleurs que « la ville peut être considérée comme une œuvre littéraire 208». Ainsi, depuis la première inscription « Bleston Hamilton Station » (P. 9) et malgré les difficultés qui se présentent à lui, Jacques Revel affronte la ville en la lisant.

Cette lecture commence par les textes de la ville, inscrits, imprimés, parlés ou muets, mais elle s’étend vite pour y adjoindre les textes sur la ville. Tous ont pour but d’explorer une mémoire : il ne s’agit donc pas uniquement d’une lecture historique et mythique (de l’Ancienne Cathédrale, du Musée et de la Nouvelle Cathédrale), car elle s’applique à tout ce qui existe dans la cité. Michel Butor précise d’ailleurs bien que le texte d’une ville inclut « l’immense masse d’inscriptions qui la découvre 209  », représentant en l’occurrence non pas seulement les gens que croise Jacques Revel et qui parlent entre eux, mais aussi « les plaques sur les immeubles, les pancartes à l’entrée des stations de métro, aux arrêts des bus 210». Seules ces inscriptions lui permettent de connaître son chemin et de se diriger ; tant qu’il reste incapable de les déchiffrer, il est perdu :

‘[…] les inscriptions restent lettres mortes, où les lignes ne font apparaître aucune image, où les rues demeurent la notion la plus vague de "rues de Bleston", sans rien qui puisse les particulariser (P. 134).’

C’est d’ailleurs cet égarement urbain qui l’incite à chercher des textes sur la ville : plans, guides, journal, schéma des lignes des bus, le roman Le Meurtre de Bleston mais aussi la Bible. Ils l’invitent tous, chacun à sa manière, à déchiffrer les signes d’un avenir pour l’écriture, et donc du dialogue des cultures. Car lire la ville c’est dialoguer avec elle, la découvrir pour la comprendre. Michel Butor nous dit qu’à son arrivée dans une ville, il est toujours « accompagné, accueilli, poursuivi par des textes 211» qui l’aident à se diriger au milieu de la masse des inscriptions :

‘[…] souvent grâce à des plans, des cartes, des tableaux, me permettre de participer à cette circulation, de me diriger de repère en repère : je saurai alors que tel nom signifie tel quartier, et quel est son genre, quelles sont ses ressources, ses balises, points remarquables 212.’

Mais la lecture de la ville tombe dans l’oubli si on ne l’associe pas à l’écriture : « Tout lecteur non seulement constitue à partir de signes proposés une représentation, mais entreprend de récrire ce qu’il lit 213». Dans l’Emploi du temps, l’acte de « lecture-écriture » de Jacques Revel consiste donc aussi en une reconstruction. Ne se contentant pas de la lecture qu’on lui offre, il se lance dans une "relecture-écriture", pour construire sa propre théorie des textes qu’il découvre. Ainsi, la relation entre la lecture et l’écriture conduit étroitement au plan des signes.

Notes
208.

BUTOR, Michel. Répertoire V. Op. cit., p. 36.

209.

Ibid., p. 34

210.

Ibid.

211.

Ibid., p.33.

212.

Ibid, P. 34.

213.

BUTOR, Michel. Répertoire II. Op. cit., p. 240.