B. La relecture

Pour pouvoir atteindre le sens complet de la ville, Jacques Revel n’a qu’une solution : ne jamais cesser d’en lire le texte231. C’est pour cette raison qu’il ne se contente jamais d’une seule explication, mais se livre à des relectures qui en modifient chaque fois la signification. Ce changement infini renvoie à une conception de la littérature comme lieu de contact avec l’altérité : reconstitution opérée à partir de textes qui existent déjà mais qui demandent des fouilles. Ces fouilles ne concernent pas uniquement les images, les monuments, les sites des civilisations du passé et les mythes, mais également tel ou tel livre abrité dans les bibliothèques, et qui constitue un véritable monument littéraire par son dynamisme créatif. Parmi ces textes, L’Emploi du temps tire un parti important de la Bible. Michel Butor, dans Répertoire III, souligne en effet que toute la civilisation occidentale moderne se constitue à partir du christianisme. Quels que soient les convictions ou les doutes auxquels l’homme occidental est arrivé : «tous les faits, toutes les connaissances se disposent d’abord par rapport à un schéma historique […] mais dans lequel jouent de grandes oppositions comme celles entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre le monde antique gréco-romain et judéo-chrétien, entre la romanité païenne puis chrétienne et le reste de l’univers »232.

L'autre texte de référence est évidemment Le Meurtre de Bleston, que, comme la Bible, il a toujours besoin de relire. L'un et l'autre ne se contentent pas d'alimenter son journal : ils poussent à une relecture, puisque c'est ce qu'implique le texte de ce dernier : Jacques Revel écrit dans l’intention de relire ce qu’il a écrit pour rendre l’épisode « présent » (P. 75). Et cela dure jusqu'au dernier jour, où il dit avoir eu tout de même le temps de finir de « lire les phrases que j’avais tracées à la fin de juillet et au début d’août » (P. 393).

Notes
231.

Dans Répertoire V, Michel Butor a écrit sous le titre « la ville comme texte » un essai où il montre comment une ville peut-être un genre littéraire qui se laisse aisément comparer au roman.

232.

BUTOR, Michel. Répertoire III. Op. cit., p. 23.