Relecture de la Bible

Jacques Revel a été au catéchisme dans son enfance et a même appris des versions abrégées de la Bible. Il est donc légitimement surpris de l’explication que lui donne l’ecclésiastique de l’Ancienne Cathédrale au sujet des personnages figurant sur le vitrail de Caïn : il « me les faisait apparaître sous un tout nouveau jour » (P. 94). Lui qui croyait bien connaître le texte biblique doit se le procurer pour vérifier un passage de la Genèse qui lui semble étrange. Il l’achète à la libraire Baron’s, au sortir de chez Matthews and Son, alors qu’il est encore tout imprégné de l’odeur des bûchers du « Guy Fawk’s Day » – qui ne sont pas sans rappeler ceux auxquels fut condamné Wiliam Tyndale, « père » de la version anglaise de la Bible233.

Or cette relecture sous l’éclairage de l’interprétation du prêtre de l’Ancienne Cathédrale, le laisse perplexe :

‘Les explications qu’il me donnait, loin de dissiper l’étrangeté, ne faisaient que la préciser et l’approfondir. Quelle ambiguïté dans la disposition que ces verriers d’antan avaient donnée à leurs sujets, comme s’ils avaient voulu montrer, à travers l’illustration même de la lecture officielle de la Bible, qu’eux y découvraient autre chose (P. 99).’

Il découvre ainsi peu à peu que la relecture n’a d’autre but que de développer une signification plurielle. Livre ouvert qui attend toujours d’autres explications… Les inscriptions de l’Ancienne Cathédrale en sont une parmi d’autres, car la Bible est aussi Babel, et sa relecture ne se finit jamais.

Michel Butor fait de même dans Répertoire V, lorsqu’il étudie L’Apocalypse de Dürer. Sous le titre « La Jérusalem céleste », il propose une nouvelle explication du passage où une grande troupe d’oiseaux vole dans le ciel au-dessus de la ville dont les portes sont gardées par les Anges. L’exégèse traditionnelle identifie la cité comme une représentation de la Jérusalem céleste. Butor, lui, s'appuie sur la figure des oiseaux pour y voir plutôt « la grande Babylone transformée » :

‘Cette ville splendide à l’intérieur de laquelle nous étions enfermés avec l’apôtre dans la planche du pseudo-martyre, nous avons réussi non seulement à en sortir, mais à la sortir d’elle-même, et c’est elle que nous voyons se métamorphoser en cité bienheureuse 234.’

On comprend dès lors que, si la relecture donne la possibilité de trouver un autre sens au texte déjà écrit, celle de la ville considérée comme texte peut provoquer la même ouverture, et que n’importe quelle œuvre peut être considérée comme un livre saint. Le mardi 5 août, dans l’Ancienne Cathédrale, Revel, regardant l’image du fratricide et tournant autour des piliers, tient le guide de Bleston à la main comme « une livre de messe » :

‘J’ai ouvert le guide de Bleston, j’y ai relu la description du Vitrail ; à travers ces lignes imprimées, par leur insuffisance justement, par le sentiment qu’il y avait entre ce texte et l’entretien ancien en novembre, j’ai réussi à reconstituer celui-ci avec une assez grande précision (P. 259).’

L’auteur de L’Emploi du temps confirme ainsi que « Tout évangile qu’on prend pour l’évangile est un apocryphe, foyer d’un massacre235 » ; et il exprime la nécessité de « violer ce cercueil scellé délétère, de décoller ces pages agglutinées, d’accrocher ce cadavre, déchirer, remettre en pièces méthodiquement ce caillot, d’y faire circuler à nouveau son air natal, de le profaner pieusement 236». C’est en ce sens que tout doit, selon l’expression de Michel Butor, être « mobile ».

Mais il n’y a pas que la Bible à soumettre à ce travail de relecture infinie. Et c’est ici qu’apparaît l'autre ouvrage capital : Le Meurtre de Bleston.

Notes
233.

La relation entre la Bible et les bûchers de Bleston fait en effet penser à Wiliam Tyndale, le père de la Bible anglaise, condamné au bûcher par Charles Quint. Sa traduction, publiée en 1525, fut la première version anglaise du Nouveau Testament. Il avait établi son atelier d’imprimerie en Allemagne, hors atteinte des autorités anglaises. Par la suite, jugé et condamné, il fut, en 1536, publiquement étranglé et brûlé. Mais déjà de nombreux exemplaires de sa traduction avaient été transportés clandestinement en Angleterre.

234.

BUTOR, Michel. Répertoire V. Op. cit., p.97.

235.

BUTOR, Michel. Répertoire II. Op. cit., p. 240.

236.

Ibid.