C. Ville écrite

Dès son arrivée dans l’Écrou, cette chambre bien nommée qu’il ne demande même pas à échanger contre une autre tant il espère la quitter dès le lendemain, Jacques Revel remarque l’absence de tout instrument d’écriture et la présence d’un mur de briques : « dans ce réduit sans table, dont la fenêtre donnait, après une petite cour au sol de mâchefer, sur un mur de briques » (P. 119). « Il n’y avait pas de table ; la fenêtre donnait sur un mur de brique au fond d’une cour » (P. 23).

Ce mur va le poursuivre partout, y compris dans sa nouvelle chambre qui donne sur Dew Street :

‘O beau soir, beau soleil poudroyant dont les éclats moites et comme doucement velus m’atteignent encore, réfléchis par les fenêtres entrouvertes au premier étage des petites maisons de brique assombrie et morose sur le côté de Dew Street (P. 149).’

On a dit l'importance de la brique dans la construction de Babel. On a dit aussi sa présence insistante dans le vitrail de l'Ancienne Cathédrale qui illustrait le pacte passé entre Dieu et Caïn. Or, Jacques Revel aussi a établi un pacte avec la ville237, qu’il remercie d’être si cruelle puisque c’est dans le désir de se venger d’elle qu’il s’est mis à écrire – devenant par là le prince « invulnérable à la manière des fantômes, puisque j’ai obtenu de toi cette proposition de pacte que j’accepte » (P. 346). De même que sur le vitrail Caïn est un maçon qui édifie un mur de brique (P. 93), de même Jacques Revel construit un texte, une tour linguistique et textuelle, mot par mot, afin d’écrire Bleston selon sa vision et son expérience. Son désir de trouver une autre chambre pour commencer ce défi n’est que la métaphore d’un nouveau départ et d’une nouvelle existence : désir de communiquer, par-dessus les barrières linguistiques, par-dessus le mur des briques, afin de soulager la souffrance :

‘Le crépuscule me permet encore d’apercevoir au travers de mes vitres, le mur de briques sur lequel la lune se lève de l’autre côté de Copper Street, ce mur qu’il n’est possible de voir vraiment, en dehors de quelques éclairs, de quelques brefs instants de grâce, qu’en mettant en œuvre toute une immense machinerie afin de démonter ta pesante complexité confuse, Bleston, qui nous englobe et nous sépare, ce mur et moi, ce mur qu’il me faudrait pulvériser pour en extraire tous les germes que j’entend bruire dans ses briques… (P. 363).’

Ainsi, l’écriture, qui peut être aussi le processus de destruction du mur, s’élève peu à peu à l’instar de la Tour. Les hommes de Babel ont formé un projet collectif ; le projet de Jacques Revel est aussi collectif : son œuvre se nourrit de mythes et de personnages. Mais on se heurte dans les deux cas au paradoxe d’une entreprise d’ouverture qui a aussi son revers, puisqu’elle tend à enfermer les hommes, à enfermer Jacques Revel.

Notes
237.

Dans Le Pacte romanesque, Else Jongeneel, développe cette comparaison entre Caïn et Revel.