Le numéro sept et l’écriture

Chiffres et nombres se multiplient dans le récit de Jacques Revel : dates, horaires, adresses. Mais le chiffre sept prédomine. C’est dans le septième arrondissement, celui du centre de Bleston, que Jacques Revel s’installe finalement : un des secteurs « les plus familiers » car c’est là où il vit, où il travaille, et où se trouvent la place de l’Hôtel-de-Ville, le Musée, la Nouvelle Cathédrale, le domicile d’Horace Buck, (P. 134). Son nouvel appartement est situé au septième étage de l'immeuble :

‘J’ai compris que j’avais enfin trouvé, que j’allais m’installer, prendre assise et appui, que c’en était fini avec ces randonnées harassantes et désespérantes d’un bout à l’autre de la ville à la recherche d’une case, que c’en était fini ces lectures minutieuses, défiantes, désabusées, des petites annonces de l’Evening News, tous les soirs de semaine… (E.T. PP. 140-141)’

Le chiffre sept, qui vient du latin septem « signifie la perfection, la complétude »238. Il a une signification qui nécessite d’être interprétée, car elle apporte de nouveaux éléments sur le mythe de Babel. Ses constructeurs se sont en effet dispersés alors qu’ils étaient parvenus à l’édification du septième étage de leur tour. En regard, Jacques éprouve un vif bonheur à prendre possession d'un lieu (au septième étage) qui marque pour lui la fin de ses pérégrinations : ce qui malédiction dans le récit de construction devient bénédiction dans celui de l’écriture. A quoi il faut ajouter que Revel ne décide d’écrire qu’après sept mois de séjour à Bleston :

‘ C’est maintenant que commence la véritable recherche ; car tous les événements que j’ai enregistrés jusqu’ici m’étaient revenus souvent en mémoire pendant ces sept mois, clairs, intacts, datés sans méprise possible de ces sept premiers jours bien différenciés qui forment une période bien détachée, un prélude, mon arrivée… (P. 45).’

C’est aussi le septième jour de juin qu’il commence à écrire ses souvenirs, évoquant alors l’étymologie du nom de la ville : « Belli Civitas », dont on a souligné le double apparentement à la bénédiction et à la guerre : « Avant-hier, 7 juin, je transcrivais mes souvenirs d’un dimanche vieux de sept mois […] C’était la première fois que je consacrais l’après-midi d’un samedi à cette recension de mes heures passées poursuivie depuis le début de mai… » (P. 105)

Comment ne pas faire le lien avec les sept étages de la Tour de Babel, tant marquée et surmarquée par ce chiffre mythique (les jardins suspendus de Babylone sont l’une des sept merveilles du monde, Hénok, bâtisseur de la première ville, est appelé le constructeur des sept cités, etc) ? Rappelons aussi que les Sumériens avaient construit sept villes majeures avant le déluge, qui dura sept jours et sept nuits…

Cette insistance sur le chiffre sept se retrouve dans l’Emploi du temps : Bleston est un nom composé de sept lettres – ce qui n'échappe pas à Revel quand il note dans l'évocation de son rêve que« les sept lettres du nom de Bleston devenaient lumineuses » (P. 267). Et c’est aussi au bout de sept mois que Rose change :

‘Rose […] qui a tellement changé depuis sept mois de nourriture et de croissance, sept mois d’études et de rencontres, sept mois de résistance dans cette ville, jusqu’à ce milieu de l’été, et en plus l’aventure de cet amour si soudain, si violent, si direct, de ces fiançailles avec un étranger… » (P. 273)’

Son corps s’est épanoui, sa voix, son accent et sa connaissance de la langue française se sont développés, son visage s’est purifié, ses cheveux se sont fleuris et ses vêtements se sont modifiés.

Au-delà même de l’Emploi du temps, Butor semble accorder à plusieurs reprises une importance particulière au chiffre sept. Dans Répertoire V il propose, par exemple, de dédoubler les temps de la grammaire ancienne en ajoutant trois temps antérieurs ou archétypaux, afin d’obtenir un développement en sept, une semaine chronologique :

‘Imparfait : Soleil,
Aoriste : Lune,
Présent : Mars,
Futur : Mercure,
Futur antérieur : Jupiter, au milieu des temps « actuels »,
Passé antérieur ou plus-que-parfait : Vénus,
Présent antérieur ou parfait : Saturne. 239

Notes
238.

MOREL, Corinne. Dictionnaire des symboles. Mythes et croyances. Op. cit., p. 803.

239.

BUTOR, Michel. Répertoire V. Op. cit., p. 83.