B. L’Égypte

Les pages que Michel Butor consacre à l'Égypte, dans la dernière partie du Génie de lieu, réfèrent à ce qui fut son premier séjour à l’étranger, et l'évoquent à partir de trois sites : la petite ville de Minieh où il fut envoyé pour enseigner le français, Le Caire qui l’a fasciné, et les ruines de Louqsor.

Émerveillé depuis l’enfance par les pharaons, aimant beaucoup se perdre dans les salles égyptiennes du Louvre, il fut ravi quand l'occasion lui fut donnée de connaître cette civilisation sur place, en même temps qu'il découvrait un lieu qui lui permettait de méditer à la manière du Saint-Antoine de Flaubert – « un lieu où je puisse méditer, réfléchir sur la ville de Paris, Je me suis donc retrouvé à Minieh, une petite ville de la vallée du Nil »274 – au sein de ce Delta qu'il assimile au ventre maternel d'une nouvelle naissance :

‘L’Egypte a été pour moi comme une seconde patrie, et c’est presque une seconde naissance qui a eu lieu pour moi dans ce ventre allongé suçant par sa bouche delta la Méditerranée et ses passages de civilisations, thésaurisant celles-ci et les amalgamant dans sa lente fermentation. 275

C'est ce delta qui va marquer sa vie (son œuvre) et la transformer en voyage, ou mieux encore, comme il le dit, en « transhumanisme 276». Depuis ce séjour, il porte toujours en lui un « noyau égyptien » qui l’ancre profondément dans une terre dont la géographie et la diversité culturelle l’ont subjugué. Car ce n’est plus seulement la splendeur mythique de l’Egypte ancienne qui le requiert désormais ; c’est une attirance magnétique vers « toutes les cultures qui, par la suite, ont marqué l’endroit – périodes d’hellénisation, de romanisation, de christianisation, avec les Coptes qui ont développé une civilisation très originale, et puis l’Islam dont la civilisation médiévale, au Caire en particulier, fut extraordinairement riche »277. Son séjour fera du jeune enseignant qu'il était un écrivain, et peut-être est-ce pourquoi il n'a cessé de nourrir le sentiment que quelque chose l’attend toujours dans ce pays – « ne serait-ce que mon propre fantôme cherchant ses chemins de survie » 278 .

Notes
274.

« Renversement. Entretien de Michel Butor avec Jean-Christophe Aeschlimann », in Butor aux quatre vents. Op. cit., p. 192.

275.

BUTOR, Michel. Le Génie du lieu. Paris : Crasset, 1958. P. 110.

276.

HELBO, André. Michel Butor, vers une littérature du signe. Op. cit., p.15.

277.

« Renversement. Entretien de Michel Butor avec Jean-Christophe Aescblimann », in Michel Butor aux quatre vents. Op. cit., p. 195.

278.

BUTOR, Michel. Michel Butor par Michel Butor. Présentation et anthologie. Paris : Seghers, (Coll. Poètes d’aujourd’hui). 2003. P. 50.