B. Critique dialogique

Quelles sont les caractéristiques de l’œuvre critique de Michel Butor ? Qu’il s’agisse de ses formes, des époques ou des sujets qu’elle traite, elle est toujours marquée par la même passion du métissage et concerne la littérature, la géographie, la linguistique, la musique et l’histoire. C’est en montrant notamment les variations de la notion de frontière que la critique butorienne devient le lieu de rencontre de plusieurs éléments issus des voyages :

‘Le voyage joue un rôle immense d’inspiration critique et il me fait voir de l’autre côté du décor. Franchir les frontières, c’est aussi franchir des douanes mentales. 408

En d’autres termes, en modifiant la notion de frontières, Butor entend abolir ce qui sépare les genres littéraires. Pour lui la frontière ne signifie pas seulement séparation, mais aussi contact. Roman, essai, poésie, peinture et musique ne sont ni séparés ni distincts. Ils constituent plutôt des éléments qui se complètent. Michel Collot a bien montré qu’à la fin du XVIIIe siècle « l’horizon cesse d’être l’endroit où se termine notre vue pour être chargé de valeurs d’extension 409».

Butor veut non seulement faire éclater cette division des genres, mais en faire apparaître ou reconnaître de nouveaux, comme le texte radiophonique, et surtout en inventer d’autres qui permettent de créer une critique littéraire renouvelée, dialoguée, capable d’ouvrir la voie à la modernité littéraire. C'est en ces termes qu'il justifie son recours à la critique :

‘De même que le véritable écrivain est celui qui ne peut supporter que l’on parle si peu ou si mal de tel ou tel aspect de la réalité, qui se sent dans l’obligation d’attirer l’attention sur celui-ci définitivement (…) de même le critique le plus utile ne peut supporter que l’on parle si peu ou si mal de tel livre, de tel tableau, de telle musique, et l’obligation est aussi durement ressentie dans ce domaine que dans tout autre. 410

La fécondité de sa production critique est comparable à celle des autres genres. Et, là encore, il procède le plus souvent par un dialogue à deux voix, qui lui fait étudier les œuvres des autres auteurs pour retourner sur lui-même dans un continuel échange. Il s'attache à faire émerger « une zone frontalière 411» caractérisée par une dynamique du changement, et explique que l’art du critique est un art de catalyse : en ajoutant un mot à une œuvre énorme comme celle de Balzac par exemple, le critique la transforme. L’inspiration selon Butor est toujours une rencontre : en mettant le texte d'un autre à l’intérieur de son propre texte, la critique devient une œuvre ouverte toujours inachevée.

Notes
408.

« Les modifications de Michel Butor », GAUDEMAR De, Antoine. Magazine littéraire, janvier 1983. Repris dans Michel BUTOR, Entretiens. Quarante ans de vie littéraire. Vol. 3 :1979-1996. Op. cit., p. 122.

409.

COLLOT, Michel. L’Horizon fabuleux. Paris : José Corti. 1988. P. 35.

410.

BUTOR, Michel, « Le critique et son public », in Répertoire II. Op. cit., p. 127.

411.

CALLE-GRUBER, Mireille. « Passages de lignes ou Les Improvisations critiques de Michel Butor », in La Création selon Michel Butor. Réseaux-Frontières-Écart Op. cit., p.113.