2. Les instruments à clavier et à cordes à l’époque baroque.

Nous n’envisageons pas ici d’étudier d’une façon approfondie et détaillée les facultés mécaniques des instruments des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce sujet pourrait faire l’objet d’une étude complète que nous ne saurions inclure dans notre travail. Cependant, aborder le mécanisme des instruments anciens, puis celui de l’instrument actuel peut nous être utile afin de repérer les différences et les points communs existant entre ces instruments sur le plan mécanique et par rapport au répertoire qui leur a été destiné, et d’envisager les raisons qui ont causé les changements et favorisé le remplacement d’un instrument par un autre.

On sait que les instruments anciens à clavier et à cordes utilisés au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, peuvent être pourvus de deux types de mécaniques ; le principe du premier type consiste à frapper les cordes, tandis que le deuxième consiste à les pincer.

Le clavicorde, le pianoforte : instruments à cordes frappées répandus entre le XVe et le XVIIIe siècles, plutôt en Angleterre et en Allemagne pour le premier et un peu partout en Europe pour le pianoforte dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’origine de ce principe est probablement issu d’un instrument très ancien qui s’appelle le tympanon, instrument à cordes métalliques frappées avec des maillets.

Ill. n°1 : Tableau de XV
Ill. n°1 : Tableau de XVe siècle, représentant une jeune fille avec un Tympanon. www.instrumentsmedievaux.org .

L’épinette, le virginal3 et le clavecin : instruments à cordes pincées. Le virginal était surtout répandu aux Pays-Bas et Angleterre, tandis que l’épinette était plus pratiquée en France, en Italie, et en Allemagne entre le XVe et le XVIIIe siècles. Le clavecin prit le dessus sur l’épinette grâce au développement de sa facture et grâce à sa perfection qui atteignit son apogée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les instruments à cordes pincées sont probablement issus du psaltérion : ( du grec : psallo, pincer une corde), instrument aux cordes de boyaux, pincées avec les doigts ou avec un plectre.

Ill. n°2 : Épinette en aile d’oiseau, Richard (Michel I ), Paris, 1690, France.
Ill. n°2 : Épinette en aile d’oiseau, Richard (Michel I ), Paris, 1690, France. www.citedelamusique.fr .
Ill. n°3 : Virginal à la quinte, Ruckers (Hans I), Anvers, Belgique, 1583.
Ill. n°3 : Virginal à la quinte, Ruckers (Hans I), Anvers, Belgique, 1583. www.citedelamusique.fr .

Il est probable que des instruments à cordes frappées, antérieurs au clavicorde, aient précédé ceux à cordes pincées. Et il semble que chaque instrument ait été considéré et estimé pour des rôles relativement différents.

Prenons l’exemple des deux grands instruments de la première moitié du XVIIIe siècle, le clavicorde et le clavecin. Selon les remarques de Carl Philipp Emanuel Bach et celles de son père J.S. Bach, le clavicorde est un excellent outil pour débuter l’apprentissage d’un instrument à clavier, pour s’exercer et pour jouer des œuvres en solo. L’instrument, possédant une sonorité assez agréable et permettant des variations de nuances, offre de grands avantages sur le plan expressif.

En revanche, l’emploi du clavecin était préférable pour exécuter des oeuvres exigeant une grande virtuosité, pour l’accompagnement des voix et des autres instruments, ou bien comme basse continue dans les ensembles.

Les compositeurs de l’époque avaient tout à fait conscience de cette différence, surtout en Allemagne où la pratique simultanée de différents instruments de clavier à cordes fut particulièrement répandue. Carl Philipp Emanuel Bach marque bien cette distinction en attribuant à chaque instrument un rôle propre au genre de la musique interprétée : « Les deux instruments à clavier les plus connus sont : le clavecin et le clavicorde. Le premier pour les musiques fortes (zu starken musiken), l’autre pour jouer solo… »6

Ou encore : « Cette invention mise à part, le clavicorde et le pianoforte, ont beaucoup d’avantages sur le clavecin et l’orgue à cause des possibilités nombreuses de produire petit à petit la puissance et la faiblesse. »7

Dans son ouvrage Musique ancienne, Wanda Landowska, fait référence au Dictionnaire des sciences du dix-huitième siècle : « On présume que le clavicorde est un peu moins ancien que l’épinette. Cet instrument a le son très doux, il sert à accompagner les petites voix mais ne doit pas être réuni avec d’autres instruments dans un concert ; il n’a pas assez de force pour se faire entendre. »8

Le clavicorde, qui était fortement prisé en Allemagne et dans les pays nordiques, avait tout de même une influence et une présence plus limitée que son contemporain le clavecin. Les raisons en sont nombreuses mais il nous semble que la plus pertinente tient au fait que le clavicorde n’a pas pu atteindre le même degré de perfection que le clavecin. Les modestes facultés mécaniques du clavicorde, sa sonorité feutrée et fragile, ne correspondaient pas vraiment au goût de l’époque, partout en Europe. C’est ce qui explique, peut-être, qu’une véritable école de clavicorde n’ait jamais vraiment existé, pas plus que de réels « clavicordistes ».

D’autre part, la diffusion de cet instrument en Europe, par comparaison avec celle du clavecin, reste bien restreinte et s’accompagne d’une relative méconnaissance dans certains pays comme la France ou l’Italie. Il semble que l’abondance du répertoire destiné au clavecin, par rapport à celui du clavicorde, traduise l’intérêt que l’on portait au premier, lequel ne cessa pas de croître entre le XVIe et XVIIIe siècle. Le clavicorde recule face au succès flamboyant de son contemporain qui, lui, se présente, comme l’Instrument baroque à clavier à cordes par excellence.

Cependant, la disparition du clavicorde ne fut pas totale, car il contenait le germe d’un autre instrument, le pianoforte de Bartolomeo Crisftofori qui, à son tour, devait écarter le clavecin plus tard, pour occuper la place la plus importante sur la scène musicale.

Notes
3.

L’épinette est la forme la plus réduite des instruments à clavier à cordes pincées, son clavier est placé sur le grand côté de l’instrument. Elle a souvent une seule corde par note, et les cordes sont tendues de biais ou perpendiculairement par rapport aux touches. Cet instrument a précédé le clavecin et sa sonorité est bien limitée en volume.

Le virginal, d’origine anglaise, parut au XVe siècle. Il posséde une boîte de forme rectangulaire avec un clavier situé sur le côté. Avant l’apparition du passage du pouce, on jouait cet instrument avec trois doigts seulement.

6.

Cité in : LANDOWSKA, Wanda, Musique ancienne, Paris, Ivrea, 1996, Première édition, Mercure de France, 1909, p. 56.

7.

BACH, Carl, Philipp, Emanuel, Éssai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, Paris, éditions CNRS, Tome II, 2002, Chapitre29, p. 194.

8.

LANDOWSKA, Wanda, op. cit., p. 178.