2.1 Le clavicorde.

Il existe une idée erronée considérant le clavicorde comme l’instrument qui donna naissance au clavecin, à cause de son antériorité. Pourtant les deux mécaniques sont tout à fait différentes et la date de l’apparition de chacun, semble méconnue ou, au moins, imprécise. En réalité le clavicorde n’a jamais donné naissance au clavecin, les deux origines sont totalement différentes.

Le clavicorde est donc un instrument à cordes frappées, doté d’une sonorité tendre et très intime. Cet instrument semble avoir eu beaucoup d’importance et beaucoup de succès, comme nous l’avons signalé plus haut, d’une part en tant qu’instrument destiné à l’enseignement, d’autre part, en tant qu’instrument solo, grâce à ses grandes qualités expressives. Et même si, pour restituer les œuvres anciennes, nous faisons aujourd’hui le plus souvent recours au clavecin, il ne faut pas oublier que la présence du clavicorde était loin d’être négligeable sur la scène musicale et dans la pratique des œuvres pour clavier, dans une période qui s’étend entre le XVe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle.

Si nous examinons d’une façon globale, le répertoire pour instruments à clavier, au XVIIe et XVIIIe siècles, nous remarquons que ce répertoire contient des œuvres destinées à l’épinette, au clavecin, au clavicorde et ensuite au pianoforte : ce sont les instruments pratiqués à l’époque à côté de l’orgue bien évidemment. On comprend alors que ces instruments ont partagé des rôles différents. Mais contrairement à l’épinette que l’emploi se réduit au fur et à mesure après l’essor du clavecin, le clavicorde, lui, reste présent et employé par les compositeurs et les musiciens. Sa pratique était parallèle à celle du clavecin, même si elle était moins importante.

Dans son ouvrage The Interpretation of the Music of the Seventeenth and Eighteenth Centuries, [L’interprétation de la musique du XVII e et du XVIII e siècles],Arnold Dolmetsch décrit le clavicorde comme un instrument plutôt simple, avec une sonorité très agréable. Il permet de produire des nuances et de refléter des émotions comme peu d’instruments étaient capables de le faire à l’époque :

‘« Le clavicorde est un instrument d’une grande simplicité. Il n'a aucuns leviers, aucuns marteaux, aucuns arrêts, aucunes pédales : en fait, aucune aide mécanique à la variété de tonalité ; et à propos de la tonalité, il y’en a si peu, qu'il se compare mieux en terme de couleur et de puissance, au ronflement des abeilles qu'au plus sensible parmi des instruments. Mais il possède une âme, ou semble plutôt avoir un, parce que sous les doigts d'un certain instrumentiste doué, il reflète chaque nuance du sentiment du joueur comme un fidèle miroir. »9

Le clavicorde descend de façon lointaine d’un instrument très ancien remontant à l’antiquité qui s’appelle le monocorde, inventé semble-t-il par Pythagore au VIe siècle avant J.C : instrument composé d’une corde unique. Au Moyen Âge, le monocorde se transforma au polycorde, qui, en le perfectionnant, donna plus tard, naissance au clavicorde.

Les premiers témoignages iconographiques du clavicorde datent probablement du XVe siècle. Il s’agit alors de vitraux, de tableaux, de sculptures ou de différents manuscrits. Les estimations historiques placent la naissance du clavicorde à partir du XIIe siècle, bien que cela reste encore incertain.

« Dès 1325, et dans le Musica Speculativa de Johannes De Muris, on trouve sous le nom de « monecordeum » un instrument qui semble être le premier clavicorde. »1 0

La première description de cet instrument date de 1440, dans le manuscrit d’Henri Arnaut De Zwolle, astronome et médecin au service du Duc de Bourgogne à Dijon au cours du XVe et XVIe siècles. Les travaux de l’italien Lorenzo De Pavia, vers la fin du XVe ont fourni également des descriptions précises de la facture et de la technique de l’instrument.

Entre le XVe et le XVIle siècles, le clavicorde fut répandu dans toute l’Europe. Or, sa diffusion décrut graduellement en France, en Hollande et en Angleterre. Il garde une certaine popularité en Espagne, mais c’est surtout dans les pays nordiques : l’Allemagne, la Scandinavie où il fut construit et fortement apprécié. Dans des pays comme la France, l’Italie et l’Espagne, il semble que musiciens et compositeurs s’en soient plus ou moins désintéressés au XVIIe siècle, alors que sa fabrication était répandue en Italie. Par ailleurs, il fallut attendre 1725 pour créer le « clavicorde libre » comportant des cordes différentes pour chacune des notes, contrairement au « clavicorde lié », produisant plusieurs notes différentes, mais non simultanées au moyen d’une corde unique, ce qui posait différents problèmes techniques concernant les articulations et les phrasés.

Ill. n°4 : Clavicorde lié dit de ″Lepante″, anonyme, Italie, 16e siècle.
Ill. n°4 : Clavicorde lié dit de ″Lepante″, anonyme, Italie, 16e siècle. 1 www.citedelamusique.fr . 1 
Ill. n°5 : Clavicorde libre, Allemagne, Friederich, Christian, Gottfried, 1773.
Ill. n°5 : Clavicorde libre, Allemagne, Friederich, Christian, Gottfried, 1773. 2 www.citedelamusique.fr . 2

Notes
9.

« The clavichord is an instrument of very great simplicity. It has no jacks, no hammers, no stops, no pedals: in fact, no mechanical aid to variety of tone; and of tone so little that it compares better for color and power, to the humming of bees than to the most delicate among instruments. But it possesses a soul, or rather seems to have one, for under the fingers of some gifted player it reflects every shade of the player’s feeling as a faithful mirror. ». Dolmetsch, Arnold, The interpretation of the music of the Seventeenth and Eighteenth Centuries, London, Novello and Co., 1915, p. 433. Traduction : Samaa Sulaiman.

1.

0 MICHEL F., LESURE F. & FEDOROV V., Encyclopédie de la musique, Paris, Fasquelle, Tome II, 1958, p. 558.