2.1.2 Intérêt pour le clavicorde,traités.

Au cours du XVIIe siècle, de grands compositeurs se sont intéressés à cet instrument, comme, Buxtehude (1637-1707), Pachelbel (1653-1706), Kuhnau (1660-1722) ou J.S. Bach (1685-1750), dont les Inventions et les Suites françaises, ou encore Le clavier bien tempéré, se cantonnent dans la limite des quatre octaves du clavicorde de cette époque. Bach appréciait énormément le clavicorde et, dans sa biographie sur le grand Cantor, Forkel signalait que ce dernier considérait le clavicorde comme l’instrument le plus susceptible d’exprimer ses sentiments intimes les plus raffinées.

Le véritable épanouissement de cet instrument se produisit au XVIIIe siècle pendant lequel l’amélioration de sa facture toucha à son apogée avec une étendue de cinq octaves. Les nouvelles capacités de l’instrument conduisirent certains compositeurs à considérer le clavicorde comme leur instrument préféré et le plus adapté à l’expression des états d’âmes jusqu’à l’époque du style Sturm und Drang. En Allemagne, compositeurs et interprètes, surtout les berlinois, privilégient alors une musique dont la mélodie déploie des ornements coulés, une écriture progressive et des contrastes de nuances. La voix donne le modèle pour cette recherche de la dimension lyrique ; le clavicorde se prêtait parfaitement à cette recherche, à la différence du clavecin, incapable de dessiner les petits détails expressifs, avec sa sonorité grinçante et son incapacité à produire des nuances. Même si dans son Éssai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, C.P.E.Bach, démontre son grand estime à l’égard du clavecin, il semble que l’instrument idéal, pour lui, était le clavicorde. Ainsi, il recommande aux clavecinistes de s’inspirer du clavicorde pour réaliser une interprétation expressive, en essayant d’imaginer des variations de nuances :

‘« Un bon joueur de clavicorde jouera bien du clavecin, mais l’inverse n’est pas vrai […] Si l’on joue exclusivement du clavecin, on s’habitue à jouer d’une seule couleur, sans faire entendre les différences de toucher que seul un bon joueur de clavicorde peut exprimer au clavecin. »1 3

D’après le Grove Dictionary of Musical Instruments, dans cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, beaucoup de compositeurs furent tentés par la composition d’œuvres destinées à cet instrument :

‘« Les compositeurs les plus notables de la musique de clavicorde indépendamment de C.P.E.Bach incluent Johann Gottfried Müthel, Johann Wilhlem Hässler, Christian Gottlob Neefe, Daniel Gottlob Türk, et Friedrich Wilhlem Rust, dont une des sonates inclut une série d'effets spéciaux à réaliser en grinçant, ou en tapotant sur les instruments à cordes.»1 4

Á quoi l’on peut ajouter au moins, le fameux rondo pour clavicorde Abschied von meinem Silbermann ’schen Clavier, [ Départ de mon Silbermann’Schen clavier ] de C. P. E. Bach, écrit en 1781.

Pour jouer cet instrument, il faut une grande maîtrise et une grande habileté digitales. Comme c’est la pression qui affecte la hauteur des notes, la moindre hésitation causerait une différence de puissance et de hauteur. Il faut que l’interprète soit capable de doser la pression pour qu’elle soit égale après chaque frappe, et il doit donc être sur les notes pendant toute leur durée.

De nombreux musiciens et facteurs et compositeurs ont laissé des ouvrages qui expliquent la meilleure façon de jouer le clavicorde. Un des premiers parmi ces ouvrages est Libra llamado Arte de tañer fantasia, asi para tecla como para vihuela, [ Livre nommé l’Art de jouer avec fantaisie le clavier comme la vihuela], de Tomas De Santa Mariapublié à Valladolid en 1565.

L’auteur y explique la nécessité de pouvoir frapper les touches avec la pulpe des doigts sans l’intervention des ongles ou du bout de doigts. On y parvenait en abaissant le poignet et en tenant les doigts en avant, grâce à quoi les notes sonnent pleinement, doucement et agréablement.

Un autre traité, un peu plus tardif, publié en Italie en 1593, fut Il Transilvano de Girolamo Diruta, dans lequel l’auteur insiste sur l’importance du relâchement complet des mains et des avant-bras, en recommandant une position des mains fléchies de façon naturelle. Plus tard, en 1684, parut un autre traité, celui de Lorenzo Penna, intitulé Primi albori musciali per il principianti della musica figurato, [Première aube musicale pour les débutants de la musique figurée], dans lequel Penna propose différentes solutions pour pouvoir jouer l’instrument en fonction de ses possibilités et desa mécanique .

Mais le traité le plus important et le plus précieux sans aucun doute dans ce domaine fut celui de C.P.E.Bach : Versuch uber die wakre Art, das Clavier zu spielen, (Éssai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier),(1753-1763). Il conseille, comme son prédécesseur Diruta, un grand relâchement des muscles et une position fléchie des doigts. Mais il ajoute quelque chose de très important, l’utilisation du pouce : « L’utilisation du pouce ne donne pas seulement un doigt de plus à la main, elle est aussi la clé vers toutes les sortes de doigtés. Ce doigt important est même encore plus utile par le fait qu’il force les autres à rester plus souples. »1 5

Toutefois, malgré l’importance que témoignent les traités de l’époque et certains œuvres du XVIIe et du XVIIIe siècle, la propagation du clavicorde et de son répertoire reste, comme nous l’avons déjà dit, relativement limitée par rapport à celle du clavecin. Bien évidemment, le clavecin a occupé la plus grande place pour différentes raisons, entre autres, sa perfection mécanique, sa sonorité claire et très lumineuse, sans oublier le fait que le clavecin, doté de plusieurs claviers contrairement au clavicorde, correspondait mieux à l’écriture contrapuntique et polyphonique de l’époque. Le clavicorde incapable de rivaliser avec le clavecin et son école, disparut ainsi presque définitivement. Les toutes dernières traces de l’instrument apparaissent en Scandinavie, au début XIXe siècle avec un clavicorde d’une étendue de six octaves. Sa fabrication fut définitivement abandonnée vers 1830.

Notes
1.

3 BACH, C.P.E., Éssai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, Paris, Editions CNRS, Tome I, 2002, Introduction, § 15, p. 11.

1.

4 « The most notable composers of clavichord music apart from C.P.E.Bach include Johann Gottfried Müthel, Johann Wilhelm Hässler, Christian Gottlob Neefe, Daniel Gottlob Türk, and Friedrich Wilhlem Rust, one of whose sonatas includes a variety of special effects to be achieved by Strumming or Drumming on the strings. ». The new Grove Dictionary of musical instruments, Macmillan Press Limited, 1984, p. 425. Traduction ; Samaa Sulaiman.

1.

5 BACH, C.P.E.Éssai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, Paris, Jean-Claude Lattès, Tome II, 1979, p. 44.