2.2.2 Retour et restauration.

Il n’est pas étonnant que le clavecin occupe une grande place dans le domaine des recherches destinées à faire revivre les instruments anciens. Vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les travaux de restauration et de fabrication de clavecins se montrent nombreuses, suite au regain d’intérêt pour les instruments anciens et au souci de retrouver, à travers ces restitutions, la sonorité et le timbre bien particulier de ces instruments. Par ailleurs, au cours du XIXe siècle, de nombreux musiciens sont restés attachés au clavecin, poussés par une sorte de sensibilité particulière à cet instrument et à son répertoire. Nous pouvons citer, comme exemples : Moscheles, qui donna plusieurs concerts pour clavecin en 1837, Thomas Tellefsen (dont le père faisait partie de la lignée des élèves de Bach), qui donna à Paris vers 1850 des concerts sur un clavecin historique. En 1896, Arnold Dolmetsch, fabriqua son premier clavecin ; le célèbre green harpsichord, qui accompagna les récitatifs du Don Giovanni de Mozart à Covent Garden, en 1897. Dès le milieu du XIXe siècle, l’intérêt pour cet instrument n’a fait que croître. Des musiciens de tous horizons montrèrent une fascination certaine à l’égard de l’instrument et devinrent adeptes du clavecin, en essayant de l’introduire dans des concerts publics et au sein des grands établissements d’enseignement de la musique comme la Schola Cantorum à Paris par exemple.

Le pianiste Louis Diémer (1834-1919) fut l’un des premiers pianistes à souligner dans ses conférences et ses concerts l’importance du clavecin. Ainsi, le baryton Emil Alexandre Taskin, demanda à Chouquet, le conservateur des instruments de musique au conservatoire, de lui restaurer un instrument fabriqué par son ancêtre Pascal Taskin. Cet instrument fut prêté à Diémer pour une série de concerts à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris en 1889.

La firme Erard et la maison Pleyel-Wolff-Lyon s’intéressaient particulièrement à cet instrument. Elles exposèrent à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889, chacune, sa conception du clavecin : « Les clavecins de Louis Tomasini et de la frime Erard avaient été conçus dans une logique de copie qui se rapproche beaucoup de celle que nous avons maintenant. Quelques facteurs isolés, tel que Louis Danti, non présents à l’Exposition, construiront à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, dans ce même esprit, quelques instruments inspirés par des originaux. La maison Pleyel-Wolff-Lyon, dirigé par Gustave Lyon depuis 1887, avait construit en 1889 trois clavecins et en montrait un à l’Exposition. La démarche était différente par rapport aux facteurs précédents car l’instrument présentait des innovations importantes. »3 0

Au début du XXe siècle, Wanda Landowska, la pianiste lisztienne, montre une passion toute particulière pour le répertoire clavecinistique. Cette passion qui commença à éclore vers 1903, a conduit la pianiste-claveciniste à faire renaître un clavecin selon sa propre conception. Suite à différents concerts pour piano dans lesquels elle avait introduit quelques pièces jouées sur des clavecins français fabriqués récemment, elle se montra insatisfaite de la qualité de ces instruments et commanda à Pleyel un clavecin conçu pour elle, un instrument qui allie la subtilité et la finesse des cordes pincées avec la puissance des pianos modernes.

‘« Les reconstitutions modernes réalisées vers 1900 par Erard et Pleyel n’étaient pas celles dont je rêvais. Au début, il fallut pourtant m’en accommoder pour ce qu’elles étaient. Les instruments construits par Arnold Dolmetsch m’étaient inconnus car, entre 1902 et 1909, ce dernier était en Amérique. »3 1

Landowska manquait surtout dans ces instruments d’un jeu grave dit de 16’. Elle obtient donc de Pleyel, en 1912, son clavecin rêvé, doté, décrivons-le de : « Deux claviers de cinq octaves (FF-f3), faisant parler quatre rang de corde, 16', 8', 8' et 4', avec plectre de cuir […]. On peut jouer les cordes de huit pieds sur le clavier supérieur en utilisant deux jeux de sautereaux en alternance, le premier pinçait en position normale, le second, pinçait de plus près le sillet, donnant ainsi un son nasal et de pédales permettant de changer de registration pendant le jeu […]. Il existait aussi un autre jeu, appelé sourdine et qui approchait des pièces de cuire contre les cordes de 8' du clavier spérieur, donnant là un effet de pizzicato[…].Dans le clavecin Pleyel les cinq jeu de sauteraux et la sourdine pouvaient être actionnés séparément à l’aide de six pédale. Une séptième accouplait les deux claviers permettant aux quatre jeux de cordes d’être commandés à partir du clavier inferieur. L’avantage des pédale est qu’elles peuvent être utilisées pour changer de registration pendant que l’on joue. Cet imposant modèle, aristocratique dans sa conception, sa réalisation et sa sonorité, a fait l’objet de critiques plus ou moins fondées passé la seconde guerre mondiale, à la mesure de l’évolution des connaissances historiques et du goût musical. Matériaux, disposition et actionnement des jeux furent âprement disputés.»3 2

Mais malgré les critiques qui lui ont été destinées, Landowska reste une des premiers pianistes ayant introduit concrètement le clavecin dans le milieu des concerts publics. Elle a consacré une grande partie de sa vie musicale à l’étude de la facture des instruments anciens, de la technique du jeu, elle fut sans doute une pionnière dans ce domaine.

Désormais, la facture des clavecins « modifiés » ou « modernes » pouvait se développer en Europe. Les facteurs reproduirent des clavecins modernisés, loin d’être véritablement étudiés sur un plan historique. Il s’agissait de clavecins fortement influencés par la facture du piano. Les premiers travaux concernant la fabrication des instruments historiques furent véritablement ceux de Dolmetsch ou Schütz.

Il fallut attendre la deuxième moitié du siècle, pour que la question d’une fabrication dite « authentique » des instruments anciens, entre autres le clavecin, soit posée sérieusement. Parmis les travaux considérables de restitutions historiques, citons ceux de William Dowd aux États-Unis, Martin Skowroneck en Allemagne, Patrick Chevalier, Jean Paul Renaud, Laurent Soumagnac en France.

‘« La décennie de 1950-1960 est précisément celle qui impose la facture de clavecin à l’ancienne (copies d’instruments historiques), illustrée par les travaux de l’atelier Hubbard et Dowd à Cambridge, Massachusetts, puis par le livre, désormais classique, de Frank Hubbard. »3 3

Cette démarche sérieuse visant l’authenticité des instruments, allait de pair avec une remise en cause croissante concernant l’interprétation des œuvres anciennes. Cette démarche était guidée par des musiciens et des musicologues qui, en se fondant sur les traités de l’époque et les capacités des instruments, ont cherché à créer une nouvelle approche musicale à travers une interprétation appropriée aux œuvres anciennes. Dans le domaine de la musique de clavier, ce sont surtout les travaux du claveciniste et organiste Gustav Leonhardt qui ont conduit, dans les années cinquante, à des interprétations dites « authentiques », sans oublier également ceux du claveciniste Scott Ross. Depuis, une nouvelle génération adopte le clavecin, copié ou restitué, comme l’instrument approprié à l’interprétation des œuvres du XVIIe et du XVIIIe siècle. En ce qui concerne la composition, de grands compositeurs du XXesiècle, influencés sans doute par cette vague de retour à la musique ancienne et aux instruments d’époque, et par le courant néo-classique, ont écrit pour le clavecin « moderne »: Manuel de Falla (Concerto pour clavecin), Francis Poulenc (Concert champêtre pour clavecin et orchestre), plus tard, György Ligeti (Continuum), ainsi Luciano Berio, Eliott Carter, Maurice Ohana et Iannis Xenakis. Mais, par ailleurs, le clavecin qui avait régné durant plus de deux siècles, devait être détrôné par un autre instrument : le pianoforte, le fameux pianoforte de Cristofori. Avec l’apparition de ce dernier, une page se tourne dans l’histoire du clavecin, dans l’histoire d’un langage et une autre s’ouvre pour annoncer une ère nouvelle.

Ill. n°10 : Clavecin Pleyel, environ 1960, construit selon les critères de Landowska.
Ill. n°10 : Clavecin Pleyel, environ 1960, construit selon les critères de Landowska. 4 www.harpsichord.com . 4
Notes
3.

0 LATCHAM, Michael (éd), Musique ancienne ─ instruments et imagination, Berne, Peter Lang SA, 2006, p. 195.

3.

1 LATCHAM, Michael (éd), Musique ancienne ─ instruments et imagination, op. cit., p. 216.

3.

2 Ibid.,p. 217.

3.

3 LATCHAM, Michael (éd), Musique ancienne ─ instruments et imagination, op. cit., p. 213.