2.3.3 L’arrivée du piano.

Au début de XIXe siècle, l’instrument commence à subir plus de transformations, destinées à gagner de plus grandes capacités sonores et techniques. Il devient beaucoup plus solide grâce à une charpente renforcée d’acier pour équilibrer les tensions. La table d’harmonie est plus épaisse, les cordes gagnent en diamètre et le fait d’utiliser deux, trois ou parfois quatre cordes par note va permettre d’homogénéiser la sonorité. Les marteaux deviennent plus lourds, pour obtenir un son fort et tenu. On remplace le cuir qui couvrait les marteaux par du feutre, en essayant de créer une sonorité plus belle, plus variée et plus brillante.

René Caussé explique : « … La dimension et le poids des marteaux qui viennent frapper les cordes se révèle décisif. Inversement aux marteaux du piano de Cristofori, légers et presque tous identiques, ceux des pianos actuels, beaucoup plus lourds, ont une taille et un poids qui décroissent au fur et à mesure qu’on va du grave vers l’aigu. Cette caractéristique permet d’obtenir une sonorité et une puissance satisfaisante, tout en préservant la souplesse de toucher nécessaire au jeu de l’interprète. »4 6

Tous les pianos actuels sont dotés de la mécanique du double échappement. Ce sont les travaux de l’anglais John Broadwood puis du français Sébastien Erard ( il dédia l’un de ses pianos à Beethoven en 1803) qui ont installé ce principe dans la facture du piano, amélioré plus tard par Herz, en 1840. Ce principe va aider l’interprète à avoir beaucoup plus de souplesse et de légèreté de jeu. Le double échappement permet de rendre la mécanique très rapide pour les notes répétées et les trilles. Le premier échappement lance le marteau contre la corde, tandis que le second échappement le maintient très près de celle-ci ; il suffit de relever la touche de deux millimètres pour que le premier échappement soit apte à relancer le marteau. Le double échappement permet à une note d’être répétée, même si la touche n’est pas encore revenue à sa position première.

Ignace Pleyel introduit à son tour de grandes innovations concernant la sonorité en adoptant le système du croisement des cordes, qui permet à l’instrument une plus grande puissance sonore, par l’emploi de cordes plus longues. Vers 1844, Boisselot invente la pédale tonale dite sostenuto, améliorée par Steinway en 1874 et utilisée pour la première fois avec les trois pièces op.11 d’Arnold Schönberg en 1909.

Le passage entre les deux instruments paraît tout à fait naturel. Nous pouvons dire que le piano moderne n’est qu’une version améliorée du pianoforte. Le mécanisme est presque le même, les ajouts visant une plus grande ampleur sonore et des possibilités techniques plus importantes ont pu générer un radical changement du rapport à l’instrument. Depuis, la facture du piano n’a connu du progrès que concernant des « détails », sans introduire de changement fondamental. On cherche seulement une plus grande souplesse combinée à une qualité sonore encore meilleure.

Il existe deux types de piano : des pianos droits, que nous appelons  pianos d’étude et les pianos de concerts ou les pianos à queue qui peuvent atteindre une dimension de 2,90 pour les plus grands.

Le clavier du piano actuel s’étend sur sept octaves de la1 à la6 . Les notes graves n’ont qu’une corde par note, les notes intermédiaires en ont deux, et les notes aiguës ont en général trois cordes, parfois quatre. Les pianos peuvent être équipés de deux ou trois pédales, chaque pédale ayant une fonction distincte par rapport à la sonorité recherchée. À droite, la pédale « forte » sert à prolonger le son, à gauche la pédale « una corda » déplace l’ensemble des marteaux pour que chacune frappe que la première corde, ce qui rend le son moins puissant et plus moelleux. La pédale du milieu sert, sur certains pianos, à tenir certaines notes déjà appuyées, et sur d’autres pianos, joue le rôle d’ une sourdine (surtout sur les pianos droits).

La naissance du piano à l’ère industrielle a joué un rôle décisif en sa faveur. L’instrument fut fabriqué abondamment et les grands facteurs, en Europe et ailleurs, fondèrent leur propre industrie de fabrication. Donnons l’exemple en France de Pleyelet Gaveau en 1847, de Bechtein à Berlin en 1853, Bösendorfer à Vienne en 1828, Steinwey à Brunswick en 1835 (qui se renomme Steinway en 1853 à New-York). Chaque fabriquant essaye de donner à sa marque une particularité qui répond à une certaine esthétique et aux demandes de la clientèle. Dans la vie musicale l’arrivée du piano introduit de nombreuses transformations : les grands virtuoses, comme Jan Josef Dussek (1738-1818), Jean-Baptiste Cramer (1771-1858) ou Ignaz Moscheles (1794-1870), sont obligés de modifier considérablement leur jeu en cherchant des solutions techniques nouvelles répondant aux nouvelles possibilités que le piano moderne propose. L’écriture pianistique s’élargit considérablement par rapport à celle du pianoforte : grands accords, accords répétés, glissandi, doubles-trilles, etc. Le nouvel instrument donne aux compositeurs de larges possibilités d’expérimentation de ses dimensions sonores et techniques.

Avec ses sonates et ses concertos pour piano, Beethoven fut comme nous l’avons déjà écrit, le premier à explorer ces possibilités. Après lui, pendant la période romantique, l’intérêt pour cet instrument complet ne cessa d’augmenter. Les compositeurs se servirent du piano pour refléter un état d’esprit, des idées et des émotions liées à la pensée romantique, puis post-romantique. Des compositeurs-pianistes ont consacré une grande partie de leurs compositions à la gloire du piano : Franz Schubert, Robert Schumann ou Johannes Brahms. Chopin a joué aussi un rôle primordial dans le développement de la technique pianistique à travers ses différentes œuvres, comme les Nocturnes, les Mazurkas, les Préludes,les Ballades, etc. Franz Liszt occupe quant à lui une place prépondérante dans l’histoire du piano. C’est grâce à lui que la notion de la virtuosité arrive à son point culminant. Il est l’inventeur du « grand piano » avec ses Études d’exécution transcendantes, ses Rapsodies et sa fameuse Sonate en si mineur.

Désormais, le récital solo se développe, particularité de la vie musicale de l’époque, car la chose n’était pas courante au temps du clavecin et du pianoforte. C’est Franz Liszt qui a imposé l’image du pianiste virtuose à travers le récital solo.

Le piano devient le seul instrument à clavier à cordes à partir de la moitié du XIXesiècle et il devient même l’instrument le mieux capable de mettre en relief la particularité et la modernité du style romantique autant dans la recherche expressive et émotionnelle que dans la recherche technique et virtuose. Depuis, le piano est l’instrument omniprésent partout et en toutes circonstances. Instrument solo, accompagnateur, faisant partie de l’orchestre, il joue un rôle extrêmement important dans la vie musicale et dans la vie quotidienne. Différentes écoles internationales ont adopté chacune sa propre manière d’aborder la technique pianistique. Quelques pianistes créent des méthodes précises pour pouvoir acquérir la plus grande habileté sur cet instrument exigeant, depuis Muzio Clementi, Carl Czerny, jusqu’à Chopin, Liszt, Alfred Cortot et d’autres, visant toujours une grande maîtrise technique au service d’une interprétation émouvante et convaincante.

Pianistes et compositeurs cherchent toujours à explorer toutes les variations sonores, techniques et expressives que le piano peut offrir, à travers un répertoire moderne, dans lequel on introduit de nouvelles idées et une nouvelle approche du son et du toucher. Les exemples sont nombreux : Études de Ligeti, Klavierstücke de Stockhausen, Six encores de Berio, Sonates de Boulez et les piéces de George Crumb.

Notes
4.

6 CAUSSÉ, René, « Morphologie et acoustique du piano », Résonnance, n°5, sept. 1993, p. 3.