2.2 Le rapport avec le temps

« Moment présent, moment passé, rupture ou continuité. »

Nous souhaitons nous arrêter sur une pensée qui nous semble rejoindre notre recherche autour de « l’idée du retour ».

Cette pensée prend tout d’abord une forme d’interrogation : quel est le rapport entre le présent et le passé ? Est-ce un rapport de continuité ou bien de rupture? Où situons-nous par rapport à ces deux notions dans le domaine de l’interprétation musicale?

Il nous a semblé légitime de croire que toute réflexion concernant le passé, doit prendre, comme un point de départ, le moment présent, ce qui rejoint les paroles de Marc Bloch : « Pour comprendre le passé, il faut s’intéresser au présent. ». Dans le domaine de l’art en général, et celui de la musique en particulier, le passé et le présent semblent se compléter afin de démontrer les différentes phases d’évolutions à travers l’histoire. L’étude du présent, n’est absolument pas suffisante, sans avoir recours à l’étude du passé. Ainsi, le passé fournit des explications et des réponses à différentes questions inhérentes à l’actualité. Mais si nous posons la question dans le sens inverse : est-ce possible de lire le passé musical selon le regard du présent ?

Dans le domaine de l’interprétation, l’étude de l’histoire a le rôle d’éclaircire et de dévoiler certains aspects concernant les œuvres abordées. Cette étude a comme finalité de créer une idée transmissible et parlante de l’œuvre. Si l’étude s’arrête sur la dimension historique de l’œuvre, le travail de l’interprète sera celui de l’historien. Les deux ne sont pas compatibles par définition. L’étude du musicien est sensée trouver les correspondances existant entre sa propre réalité, et la réalité de l’œuvre. Mais l’exécution de cette œuvre, sa renaissance, se fait obligatoirement au présent, elle est attachée à ses données et à sa sensibilité.

La vision du Baroque pour un homme du XXe siècle est probablement différente de celle d’un autre appartenant au XIXe siècle. Pourtant, cette époque est seule et unique par rapport à sa réalité historique. Nous comprenons donc, que le présent intervient dans notre rapport au passé. Et si ce passé se transmet avec autant de nuances à travers le déroulement de l’histoire, c’est qu’il est réellement vivant grâce aux lectures actuelles qui le rendent parlant. Donc, le rapport entre passé et présent semble, à notre sens, très complémentaire.

Par ailleurs, il nous semble que le recule prit naturellement entre l’homme et son passé, permet à son regard de gagner en clarté. Le moment présent donne alors cette possibilité de voir l’œuvre du passé comme un tableau, de le savourer avec une sorte du détachement nécessaire pour le comprendre.

Il est impossible de cerner tous les composants d’une œuvre artistique. Chercher à expliquer le comment et le pourquoi du processus de la création d’une œuvre, peut se faire effectivement à travers une étude analytique. Cette étude donne, certes, des réponses concrètes sur certains aspects. Mais à partir du moment où nous abordons l’interprétation musicale, nous nous retrouvons face à un ensemble d’éléments nécessitant d’aller au-delà du concret. Et là aussi le moment présent intervient, pour dessiner, selon la sensibilité, la réception, la structure mentale et psychologique de l’être actuel, des reliefs qu’une étude strictement rationnelle ne peut pas relever.

Le passé ne peut exister qu’à travers le présent, car c’est le présent qui ressuscite le passé. Ainsi, le présent n’aurait pas existé sans ce long cheminement à travers le passé.

Ayant exposé cette pensée très personnelle, nous nous permettons de s’interroger dès à présent sur la nature de l’idée que le mouvement baroquiste adopte, concernant liens existant entre le passé et le présent. Sous quel angle se situe leur recherche ? Est ce dans le sens de la complémentarité entre les deux ou bien à travers un rapport conflictuel où les frontières entre présent et passé sont bien définies ? C’est à partir de ces interrogations que nous allons développer notre étude dans ce chapitre et le chapitre suivant.