4.2. Les romantiques et la redécouverte du trésor ancien.

Le malaise que l’homme romantique a profondément ressenti face aux contraintes sociales et aux règles anciennes, organisant la société selon les valeurs bourgeoises du XVIIIe siècle, n’a fait que nourrir sa recherche d’une forme de détachement vis à vis de toute sorte de hiérarchie, son espérance d’un monde dans lequel l’« individu » trouve sa place et joue son rôle suprême. Ce malaise, qu’on a pu nommer « le mal du siècle », est dû à un profond sentiment d’injustice, à la prise de conscience de l’état cloisonné d’un monde qui souffre du poids de la Raison, et de la domination d’un ordre rigide poussant poètes, philosophes et artistes à la révolte.

La libération était le fond de la recherche romantique : la libération vis à vis d’un ordre social, politique, philosophique qui contraignait fortement les esprits. À partir de la fin du XVIIIe siècle, le « Sturm und Drang », les idées de Johann Gottfried Herder ( 1744-1803), de Johann Georg Hamann (1730-1788) et de Friedrich Schiller (1759-1805), portent les prémices du romantisme. Plus tard, dans la première décennie du XIXe siècle, les fondements esthétiques et philosophiques du mouvement romantique sont fixés. Il s’agit d’un véritable bouleversement des principes de la pensée du siècle des Lumières ; E.T.Hoffmann (1776-1822), Wilhelm Heinrich Wackenroder (1773-1798), Jean-Paul Richter (1763-1825), vont exposer la nouvelle pensée du XIXe siècle : contre le dogme de la Raison, les romantiques vont à la recherche de l’irrationnel, du fantastique, du sentiment, dans une quête de la valorisation du « moi », de la libération de l’individu dans un idéal d’égalité – que Beethoven avait été l’un des premiers à formuler – de passion de la nature, mais aussi de refuge dans l’obscur accompagné de la tentation de toucher à l’infini, à l’ineffable.

La musique était sans aucun doute un véhicule essentiel de la philosophie romantique : de façon désormais subjective et très personnelle, le compositeur romantique libère le thème musical de son aspect fonctionnel pour le transformer en une idée, en une matière à travers laquelle il exprime les tréfonds de son âme, de ses propres interrogations, ce qui favorise la libération de la forme et sa modulation selon cette idée. La symétrie et l’homogénéité caractérisant la pensée musicale du XVIIIe siècle, cède la place à des attitudes de plus en plus diverses. Même le rapport avec le public, prend une autre tournure ; le compositeur romantique ne répond plus seulement aux commandes de tel ou tel personnage, mais il s’adresse directement au public, et dans le sens le plus large du terme, à toute l’« humanité ».

La musique du passé semble faire partie de la quête romantique à travers un désir insistant d’exploration des terrains inédits, lointains. La recherche du fantastique, de la pureté de la pensé, trouvait des fortes correspondances avec les musiques des siècles révolus. Le rapport que les romantiques ont tissé avec la musique du passé, était à l’image de la complexité, voire du paradoxe qui caractérisait leur mouvement.

Il serait illusoire de chercher à développer les aspects caractéristiques du romantisme musical de façon approfondie au sein de notre recherche. Or, signaler quelque-uns, pourrait nous être utile pour comprendre la nature du rapport romantique avec le passé, et pour saisir les raisons multiples et profondes qui ont constitué l’intérêt grandissant pour les œuvres anciennes au cours du XIXe siècle.