4.2.8 L’interprétation.

L’interprète romantique va s’approprier l’œuvre du passé et l’exécution romantique est toute à l’image de son rapport avec cette œuvre, exprimé à travers la pensée romantique. Les exécutions romantiques, loin d’être soucieuses des traditions de jeu de l’époque, s’attachent plutôt à la valeur mystique et spirituelle de l’œuvre du passé, et démontrant à cet égard une véritable passion. « Ce XIXe siècle est donc un siècle où l’interprétation, avec ce qu’elle comporte de liberté et même d’infidélité, est pleinement assumée. Jusque tard dans le siècle, certains puristes de l’édition, certains chefs renommés (Kretzschmar, plus tard Bruno Walter) assument cette liberté. »5 4

Les interprètes romantiques sont allés jusqu’à modifier les partitions, en y introduisant des ajouts, des corrections ! L’exactitude historique n’était pas au centre de leur préoccupation, ce qui importait était de jouer l’œuvre, de la connaître, de se l’approprier. « Ce siècle est donc très loin de notre propre notion de l’Urtext, du texte original dépouillé des rajouts et révisions ultérieures et de la conscience que nous avons de l’impossibilité de l’accès à la source même. »5 5

Nous nous permettrons de dire que c’est, peut-être, grâce à cette attitude romantique à l’égard de l’œuvre d’autrefois que cette dernière a pu pénétrer aisément les programmes de concerts, être jouée abondamment et sans scrupule à côté des œuvres nouvelles, ce qui a permis, finalement, la véritable renaissance du répertoire ancien. Et si nous employons le terme de «  répertoire ancien » pour désigner la musique baroque, la musique de Renaissance, etc., il nous faut redire que les romantiques n’ont, quant à eux, jamais regardé ce répertoire comme spécifiquement ancien, mais bien au contraire, comme une actualité.

Quelques grands compositeurs-interprètes, tels Chopin ou Liszt, eurent le grand mérite de faire vivre une nouvelle tradition d’interprétation des œuvres du passé, surtout celles de J.S. Bach. Le 15 décembre 1833, Liszt, Chopin et Hiller donnèrent au piano, pour la première fois le Concerto pour trois claviers de Bach en concert, événement qui marqua le public et eut certainement des répercussions sur l’importance prise par l’œuvre du passé dans la vie musicale du XIXe siècle.

Le violoniste virtuose Joachim, dédicataire du concerto pour violon de Brahms, donna à son tour différents concerts en interprétant, avec un grand succès les Partitas et les Sonates de Bach. La vogue des « concerts historiques », jusqu’alors donnés sur des instruments romantiques, va prendre de l’ampleur partout en Europe. De plus en plus, des ensembles et des chœurs commencent à se former, consacrant leur travail à la diffusion et à l’interprétation de la musique du passé. Cette renaissance du répertoire ancien à travers les concerts va toucher la France et Bruxelles sous l’influence de Fétis, l’Autriche et l’Allemagne lors de concerts dirigés par Brahms, Proske et Haberl. Avant même la représentation de la Passion selon Saint Matthieu en 1829, le premier concert de ce genre était donné à Paris, en 1825, sous la direction de Choron et Fétis, manifestation de l’importance grandissante du répertoire ancien.

L’usage des instruments anciens reste jusque vers 1870 très limité. Pourtant, il y eut tout de même de grands interprètes pour chercher déjà dans ce sens, tels le pianiste Ignaz Moscheles, qui programmait, dès 1838, des concerts d’œuvres de Bach et Scarlatti jouées sur clavecin du XVIIIesiècle.

‘« À l’exception notable d’Ignaz Moscheles, rares furent les musiciens des années 1820 et 1830 qui manifestèrent un quelconque intérêt pour le son des clavecins anciens ou des orgues baroques. Ce qu’ils voyaient en Bach, ce qu’ils voulaient voir en lui, c’était l’accomplissement d’un absolu. »5 6

Plus tard, vers la fin du XIXe siècle, grâce à l’investissement des conservatoires et de différents établissements religieux, les concerts à caractère historique deviennent plus courants, comme celui de la Société des instruments anciens de Diémer qui donne en 1896 « treize fragments des Boréades de Rameau où clavecin (Diémer), vielle (Gillet), viole d’amour (Van Waefelghem) et viole de gambe (Delsart) accompagnent la voix.. »5 7, ou celui du chœur du Conservatoire d’Amsterdam qui, en 1891, qui effectue une tournée en Europe avec un programme consacré à la musique néerlandaise du XVIe et de XVIIe siècle.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le destin de la musique du passé est plus clair. Elle est omniprésente, elle suscite de plus en plus l’intérêt. Les recherches musicologiques vont toujours plus loin dans l’exploration des détails concernant les instruments d’époque et les traditions de la pratique instrumentale des siècles précédents. Avec le début du XXe siècle, la musique du passé va devenir un champ de spécialisation et elle va occuper une position très importante au sein des débats et des courants musicaux durant tout le siècle.

Notes
5.

4 LETERRIER, Sophie-Anne, op. cit., p. 87.

5.

5 LETERRIER, Sophie-Anne, op. cit., p. 88.

5.

6 ROSEN, Charles, La génération romantique, op. cit.,p. 27.

5.

7 PISTONE, Danièle, « Rameau à Paris au XIXe siècle », op. cit., p. 138.