4. Les pionniers du retour et la révolution de l’ancien.

4.1 Wanda Landowska.

Les travaux de la pianiste et claveciniste Wanda Landowska (1879-1959), représentent sans doute les premiers indices d’une véritable action en faveur du renouvellement de la pratique du répertoire ancien, et plus précisément du rapport entretenu avec la musique du passé. Vers 1900, Landowska, pianiste confirmée issue de l’école virtuose du romantisme et du post-romantisme, affiche son admiration sans borne pour la musique ancienne. Elle se consacre à cette musique, surtout celle du baroque, dont une partie importante du répertoire est dédiée à l’instrument le plus perfectionné de cette époque : le clavecin.

En 1903, Landowska donne son premier concert en tant que claveciniste. Son engouement pour le répertoire ancien va la pousser toujours plus loin dans le choix de ses programmes (consacrés d’abord à Bach et Rameau ) et même dans ses choix instrumentaux. Insatisfaite des qualités des clavecins anciens en mauvais état, elle commande, en 1914, à Pleyel, la fabrication d’un clavecin spécifique doté de quelques modifications, qu’elle-même a conçues selon sa propre perception du timbre et de la sonorité. Landowska se lance dans la musique ancienne, en tant que concertiste, sensibilisant le public au répertoire baroque, interprété sur l’instrument d’origine. D’un autre côté, elle va vouer une grande partie de son activité à la pédagogie et à l’enseignement, pour transmettre son savoir et ses convictions. En tant que professeur à l’école Alfred Cortot, inaugurée à Paris en 1927, Landowska forme des nombreux élèves, qui vont continuer sa démarche en faveur de la renaissance de la musique ancienne, notamment Ralph Kirkpatrik, Isabelle Nef et Aimée Van de Wiele. Elle fonde une école de musique ancienne à Saint Leu la Forêt et, en 1940, après son départ pour l’Amérique, dû à la guerre, elle fonde un autre pôle de musique ancienne à Lakeville, pour suivre, avec beaucoup d’enthousiasme, sa voie par l’enseignement, les concerts et les enregistrements.

Ill. n° 12 : Landowska jouant le clavecin dans l’atelier de Rodin.
Ill. n° 12 : Landowska jouant le clavecin dans l’atelier de Rodin. 0 Rodin et son temps, Nederland, Time-Life International, Le Mondes Des Arts, 1972, p. 153. 0

À côté de ses activités de pédagogue et de concertiste, Landowska a écrit différents ouvrages consacrés à la musique ancienne : Sur l’interprétation des œuvres de clavecin de J.S.Bach, Paris, Mercure de France,1905 ; Musique ancienne, Paris, Ivrea, 1909 ; Chopin et l’ancienne musique française, en 1931 ; Sur les variations Goldberg de J.S.Bach, en 1933.

Elle est sans aucun doute, l’une des figures les plus importantes participant à son époque à l’émancipation de la musique ancienne et à la renaissance de ses instruments, notamment le clavecin. Elle a même donné l’idée à quelques compositeurs du début du siècle d’écrire des œuvres (qui lui furent dédiées), comme le Concerto pour clavecin de Manuel de Falla, ou le Concert champêtre de Francis Poulenc .

La position de Landowska était lucide à bien des égards : elle commença par contester le caractère du regard porté sur la musique du passé, considérée par certains comme musique d’ameublement ou musique démodée. Elle s’opposa aussi à l’attitude romantique, selon elle anodine et vidant de sa substance l’interprétation des œuvres du passé. Sa réflexion, fondée sur une étude approfondie des manuscrits, de la documentation et des modes de jeu propres aux instruments anciens, est à l’origine d’une véritable modification de la façon de considérer cette musique.

L’importance de son ouvrage, Musique ancienne, paru en 1909, tient au fait qu’il représente, en quelque sorte, une étude sociologique et musicologique du rapport avec la musique du passé. Dans ce livre, Landowska aborde avec beaucoup d’audace les idées reçues erronées quant à l’exécution des œuvres anciennes. Elle remet en question toute la tradition d’interprétation de ces œuvres et elle pose de nouveaux principes, qui vont engager un changement majeur dans le rapport avec le répertoire ancien.

Landowska traite avec beaucoup de conviction des notions esthétiques, stylistiques, historiques et même éthiques, à propos de l’art en général et de l’interprétation musicale en particulier. Elle va jusqu’au traitement de détails tels que le rythme, le tempo, le timbre, les ornements, dans la recherche d’une interprétation qui soit la plus fidèle, la plus exacte et la plus proche possible de l’esprit de l’époque. Sa démarche pionnière nous semble essentielle : avec Landowska, nous sommes en présence de l’un des rares musiciens, dans la première partie du XXe siècle, qui traitent de façon « spécialisée » la question du rapport avec la musique ancienne, sur le plan théorique et sur le plan pratique. Et même si elle n’a pas proposé une interprétation parfaitement authentique, selon l’idéologie du mouvement baroque (notamment au regard son instrument personnalisé), elle eut tout de même le mérite d’ouvrir la porte à une nouvelle approche interprétative. Grâce à elle, pour la première fois dans l’histoire de l’interprétation de la musique du passé, de nouveaux critères apparaissent : le respect des intentions du compositeur, le retour aux origines, au contexte historique, la recherche du timbre exact. Ces questions, certes, n’occupaient guère les esprits auparavant ! Le propos de Landowska a introduit ce que nous pouvons appeler la « spécialisation » dans le domaine de la musique ancienne, phénomène propre au XXe siècle.

Notes
3.

0 Rodin et son temps, Nederland, Time-Life International, Le Mondes Des Arts, 1972, p. 153.