4.3 Aspects d’une diffusion européenne.

Ainsi, suite aux réflexions entamées par les grands précurseurs du début du siècle tel Landowska, Dolmetsch et Schweitzer, et grâce au développement de l’aspect pédagogique au sein de cette démarche, une nouvelle filiation commencent à se dessiner. Cet essor doit son organisation à l’investissement des établissements pédagogiques partout en Europe et au-delà. La pratique de la musique ancienne, entre au sein de ces établissements, elle trouve un écho, elle est légitimée et le phénomène devient définitivement sérieux.

En France, durant les premières décennies du XXe siècle, la Schola Cantorum, en concurrence à Paris avec le Conservatoire, continue à donner un élan considérable au « renouveau » de la musique ancienne. Déjà, Entre 1909 et 1919, le groupe de musique ancienne de la Schola, organise différents concerts historiques avec des programmes consacrés à l’opéra : Armide de Lully, Castor et Pollux, Dardanus et Zoroastre de Rameau et L’Orféo de Monteverdi. Elle encourage la naissance d’autres ensembles jouant sur les instruments anciens, notamment l’orchestre de chambre baroque nommé Le Couperin dirigé par Eugène de Bricqueville, et La Société des instruments anciens des Casadesus.

En Allemagne, le retour à la musique ancienne au début du siècle prend un détour décisif. Sous l’influence de l’héritage cécilien et des tendances nationalistes très sensibles à l’époque, les adeptes du retour aux traditions, en rentrant dans les universités allemandes, mènent une « politique » de revitalisation de la musique du passé. Cette politique adoptée avait comme objectif la formation des amateurs par des musiciens et des musicologues extrêmement compétents. L’organisation de ce mouvement en Allemagne, fut conduite de telle manière qu’elle donna naissance à une génération de musiciens véritablement spécialisés. Cela eut pour conséquence la multiplication de concerts de musique ancienne et la découverte d’un répertoire bien antérieur au baroque. La création du Collegium de Wilibald Gurlitt en 1908 à Karlsruhe préluda un grand nombre de formations professionnelles de musique ancienne, à la fin des années 1920 et au début des années 1930.

En 1933, August Wenzinger et Paul Sacher fondent à Bâle, la Schola ContorumBasiliensis, appelée à jouer à son tour un rôle très important dans la diffusion de la musique ancienne et de sa pratique partout en Europe.

À Bruxelles en 1932, Safford Cape fonde son groupe Pro MusicaAntiqua. Ce groupe de professionnels, accomplit, avant la deuxième guerre mondiale, de très nombreuses tournées, et effectue un grand nombre d’enregistrements, constituant une collection de référence pour la musique occidentale, depuis le chant grégorien jusqu’au XVIIIe siècle.

La carrière de Pro Musica Antiqua marque le début de l’influence discographie sur l’ensemble de la démarche, en particulier sur la diffusion d’une nouvelle tradition d’interprétation de la musique ancienne. Depuis, Les ensembles professionnels se sont multipliés, la formation des musiciens spécialistes s’est démocratisée et les frontières européennes ont été franchies. Importée en Amèrique, la nouvelle approche de la musique de passé, a trouvé un terrain favorable à son éclosion et a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. La monté du fascisme et du nazisme en Europe, pousse en effet beaucoup de musiciens et de musicologues à l’émigration. Accueillis en masse dans les universités américaines, ils vont y introduire leur savoir et leur engagement. Le système universitaire américain, qui associe les études musicologiques à la pratique instrumentale, facilite le passage de la théorie à l’exécution. Les musicologues enseignant dans ces universités, deviennent rapidement très influents. Les idées qu’ils professent quant à la musique ancienne, trouvent tout de suite un écho considérable, et suscitent une véritable mobilisation dans bien des domaines. Ce fut tout d’abord, la formation des collegia américains inspirés du système allemand, comme celui de l’université de Yale, fondé en 1940 par Leo Schrade et Paul Hindemith, et celui de George Hunter, fondé en 1949 à l’université de l’Illinois. Puis, différents ensembles se forment, jouissant d’une grande audience tant en Amérique qu’en Europe, tels le groupe New York Pro Musica, fondé par Noah Greenberg et Shelly Gruskin, et le Waverly Consort ou la Boston Camerata.

Après 1950, nous pouvons donc dire que le retour à la musique ancienne et à la pratique de ses instruments n’est plus uniquement l’affaire d’amateurs ou de passionnés. Il fait désormais l’objet d’une véritable organisation à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe, à laquelle collaborent largement musicologues, musiciens, producteurs de disques et organisateurs de concerts. La « nouvelle pratique » de la musique ancienne commence à prendre toute sa place au sein des nombreuses activités musicales. Nous pouvons également parler d’une nouvelle génération de musiciens, après celle du trio Landowska, Dolmetsch, et Schweitzer. Avec du recule, cette génération, plus professionnelle, plus scientifique et plus confiante, a pu assimiler toutes les expériences précédentes et tenir des propos plus clairs, plus vigoureux aussi. Elle a mis en œuvre des idées propres à conditionner désormais toute interprétation du répertoire ancien.

La période qui s’étend du début du siècle jusqu’à l’année 1950, est celle, à notre sens, des deux premières étapes de l’organisation de la démarche de retour à la musique ancienne. Période de passage, de formation et de structuration préparant le terrain à la remarquable effervescence d’un mouvement mené par une nouvelle génération. C’est dans les pages suivantes que nous parlerons de la troisième étape : celle du développement et de la stabilisation de la pensée baroquiste.