6.2 Idéologie authentiste, réalité ou illusion ?

Lorsque l’idée de l’authenticité a été lancée, au début du siècle, les choses étaient, à notre sens, moins compliquées. En effet, les adeptes du retour aux sources, à cette époque, n’étaient pas encore obsédés par cette idée ou, au moins, leur conception n’était-elle pas encore aussi rigoureuse et dogmatique qu’elle l’est aujourd’hui.

Avant 1970, selon Alejandro Planchart, le terme « authenticité » n’occupait pas la place qu’on lui attribue actuellement : « Certes, on revendiquait un peu partout l’ « authenticité » de la formule adoptée, mais il faut bien reconnaître que la plupart de ces affirmations n’avaient jamais été vérifiées et qu’on avait tendance à les considérer, avant 1970, comme simple message publicitaire. Avec l’apparition, au début des années 1970, de revues spécialisées consacrées à la musique ancienne et à sa technique d’exécution, les études progressèrent et les musicologues sérieux examinèrent la question d’une façon critique, notamment, Taruskin (1995), Dreyfus (1983), et Kerman (1985). »7 1

L’idée de départ, paraissait tout à fait légitime, à une période où les pratiques romantiques et post-romantiques inondaient les œuvres anciennes, avec des exagérations parfois de mauvais goût, et qui mettaient en cause la justesse stylistique. Il fallait donc revisiter ce répertoire avec un regard exigeant et plus objectif et ce fut tout le mérite des pionniers du mouvement. Leur recherche a remis en cause une connaissance sommaire de la musique du passé et elle a conduit à modifier toute une tradition d’interprétation des œuvres du XVIIe et du XVIIIesiècle.

L’effet bénéfique de cette réflexion s’est estompé petit à petit, à partir du moment où l’exigence s’est transformée en une sorte de stigmatisation de l’interprétation. L’imposition de règles, et de lois perçues comme les plus justes, et les plus « exactes », est à l’origine d’une séparation quasi radicale entre le répertoire ancien et le reste du répertoire musical. À partir du moment où l’exigence s’est transformé en doctrine, en adoptant des idées qui relèvent plus de l’utopie que d’une véritable recherche propre à l’interprète, la démarche du retour aux sources a perdu sa pertinence pour beaucoup de musiciens et de chercheurs dans le domaine musical. Après des études approfondies sur la question et avec du recul, la notion de l’authenticité peut être interprétée différemment, et impliquer des conclusions très différentes.

En dehors des travaux de certains musiciens-penseurs de la musique ancienne, l’authenticité semble s’éloigner de sa dimension « spirituelle » pour générer des pratiques aussi routinières que lassantes. L’abus de ce terme et sa vulgarisation, à travers des redites et des interprétations manquent parfois de vivacité et de créativité, n’a fait qu’attiser le conflit, faisant couler beaucoup d’encre. Pour beaucoup d’opposants au mouvement, l’emploi des termes « authenticité » ou « interprétation authentique », ne répond plus à un objectif en soi, mais plutôt à des besoins sollicités par la société actuelle et par la demande du public. Pour être plus précis, nous pensons que le retour aux sources correspond à un goût exclusif pour la « chose » historique qui fait partie « d’une certaine attitude conservatrice propre à notre époque, peut-être même la plus conservatrice, qui assumeraitl’histoire et essayerait de la trouver plus dans sa littéralité que dans ses tendances les plus profondes. »7 2

L’autre demande, est d’un ordre commercial. L’authenticité est exploitée comme un objet commercial sollicité par le marché du disque et celui du concert.

Notes
7.

1 PLANCHART, Alejandro, op. cit., p. 1087.

7.

2 BOULEZ, Pierre, Par volonté ou par hasard, Entretiens avec Célestin Deliège, Paris, Seuil, 1975, p.39.