3.1 Gould, Meyer, Tharaud, différents et semblables à la fois.

3.1.1 Marcelle Meyer (1897-1958.)

Marcelle Meyer fut la pianiste privilégiée du Groupe des six, une contemporaine du mouvement néo-classique. Elle a évidemment été influencée par l'environnement parisien des années trente mais, pourtant, ses interprétations semblent échapper à toute influence bien déterminée. L’appel à l’ordre néo-classique s’appuie sur une technique d’une grande maîtrise mais le souffle, les choix, sont la manifestation d’une étonnante liberté d’esprit. Meyer n’a pas écrit sur la musique, c’est pourquoi nous ne pouvons pas savoir précisément quelle était sa vision des œuvres qu’elle a abordées. Cependant, il nous reste ses interprétations de Bach, Scarlatti, Couperin et Rameau, qui nous laissent deviner ses intentions. Le moins que l’on puisse dire est que ses versions sont devenues aujourd’hui légendaires pour la clarté du phrasé, l’absence de tout maniérisme et l’intelligence du discours.

Entre les deux guerres, avant le schisme entre clavecinistes et pianistes, les interprétations de Marcelle Meyer, qui n’a jamais fréquenté les bibliothèques, étaient prophétiques. Elles mettaient en relief toutes les caractéristiques d’une époque et chacune de ses interprétations devenait une véritable leçon de style, de langage, du goût. À l’époque de Meyer, Wanda Landowska était déjà lancée dans sa recherche historique sur les œuvres et sur les instruments. Mais l’authenticité ne préoccupait pas encore les esprits. Cela ne change pas la donne : Meyer a donné des versions absolument indiscutables des œuvres baroques sauf sur un point : elles sont jouées au piano !

On peut donc se demander ce qu’était l’authenticité pour Marcelle Meyer, qui ne vivait pas à l’époque du conflit  piano-clavecin ? Comment a-t-elle conçu son rapport avec ce répertoire, indépendamment de toute influence extérieure et dogmatique ?

Nous connaissons Meyer comme pionnière de l’interprétation pianistique des œuvres baroques, mais il faut rappeler qu’elle était aussi en parfaite osmose avec son temps en interprétant la musique des compositeurs de son époque : Poulenc, Stravinski, Bartok et beaucoup d’autres. Meyer est authentique dans la mesure où sa modernité n’a fait que rendre plus lucide son rapport avec les chef-d’œuvres anciens. Elle est authentique parce qu’elle a pris l’initiative de rechercher des solutions pianistiques adéquates pour rendre ces œuvres tout à fait jouables au piano sans aucun artifice. Elle est authentique parce qu’elle a traduit ces œuvres selon son propre regard, le regard d’une pianiste fascinée par l’esprit baroque, par la couleur baroque, par le mystère et par l’inépuisable richesse de ce répertoire. Tous ces caractères sont subtilement dessinés dans toutes ses interprétations et font de son instrument moderne un instrument du baroque.