4.1 J.S. Bach : Les Variations Goldberg, le Concerto italien. Gould, Arrau, Tureck, Tipo, Brendel, Tharaud.

Quelles sont donc les raisons qui nous font choisir ces œuvres, et ces interprètes? Concernant les œuvres, il est certain que les Variations Goldberg et le Concerto italien, constituent deux des œuvres principales, avec le Clavier bien tempéré dans la production de J.S. Bach pour les instruments à clavier. Nous avons évité de nous lancer dans une étude des quarante-huit préludes et fugues, à cause de leur extrême diversité. Chaque prélude et fugue représente une œuvre particulière, une entité indépendante aux plans technique et intellectuel. En revanche, les Variations Goldberg et le Concerto italien offrent, d’un point de vue formel notamment, des éléments qui se prêtent à une étude comparative.

Ces deux œuvres sont, à notre avis, différentes dans le sens où l’une (Les Variations Goldberg) fait appel à l’instrument solo en tant que tel, tandis que l’autre (Le Concerto italien) possède une dimension orchestrale évidente. Sur ce point, les deux œuvres touchent à deux principes essentiels dans l’approche pianistique : le premier consiste à considérer l’instrument comme entier, se suffisant à lui-même. L’autre se projette dans la perspective du concerto : un dialogue est établi entre l’instrument et un ensemble supposé. L’approche pianistique change, sans aucun doute, d’une situation à l’autre, pour ce qui concerne la qualité du toucher, l’amplitude sonore, les dynamiques et la clarté du jeu exigé par l'écriture.

Les points communs sont assurément nombreux : la complexité technique et intellectuelle, l’exigence structurelle qui demande l’endurance, une grande intelligibilité du discours et l’élaboration d’un fil conducteur conduisant d’une variation à une autre ou d’un mouvement à un autre. L’interprétation de ces deux œuvres représente également une véritable prise de risque pour les pianistes, car elle demande une approche technique, analytique, structurelle et polyphonique extrêmement approfondie. La moindre insuffisance sur l’un de ces aspects, peut condamner l’interprétation, lui enlever de sa force et de sa pertinence.

Les deux œuvres font partie du Clavierübung, lequel contient quatre livres : le premier est constitué des six Partitas (BWV 825-830), le deuxième comprend le Concerto italien (BWV 971) et l’Ouverture à la française (BWV 831), le troisième est un livre pour orgue, à l’exception de quatre duos pour autres claviers, le quatrième consiste dans les Variations Goldberg (BWV 988).

Dans sa production monumentale pour clavier, dont le Clavierübung n’estqu’une partie,Bach se montre pédagogue, architecte inégalable, excellent maître des jeux de lignes, du contrepoint, de l’harmonie. Maîtrise, spiritualité, poésie, abstraction sont les maîtres-mots de cet œuvre qui ne cesse jamais de susciter l’interrogation quant à la façon ou aux façons possibles de l’interpréter.

Bach est : « Par excellence, le maître de la liberté : cette liberté qui est pour lui l’inverse du désordre ou de la rébellion, mais la conséquence et la preuve d’un épanouissement complet d’un être et de son œuvre lorsqu’il est sauvé de toutes passions ou de toutes gênes inexpédientes. Sa logique ne cesse de coordonner l’extraordinaire richesse des impulsions subconscientes et se garde de la mater à coups de férule […] C’est là que commence la poésie de Bach, et cette « multiplicité des manières » dont chacune a ses raisons profondes. Telle « idée » déclenche telles conséquences, comme telgerme, telvégétal. »3 9

Notes
3.

9 MARCEL, Luc-André, Bach , Paris, Seuil, 1961, p. 67, coll. Solfèges.