4.2.1 La suite en sol majeur.

La suite en sol majeur fait partie du troisième Livre de pièces pour clavecin, appelé  Nouvelles suites de pièces de clavecin et publié à Paris en 1728. Si Rameau qualifie ces suites de « nouvelles », c’est par ce qu’elles sont les plus audacieuses, les plus novatrices. Il y semble porté par une recherche enthousiaste de la nouveauté : cela semble évident, au vu du caractère orchestral de L’Egyptienne, de la subtilité harmonique de l’avant-dernière pièce du recueil, L'Enharmonique, et de façon générale une technique du clavier très élargie, avec l’usage d’accords brisés, d’arpèges fournis et une écriture propre à parler aux pianistes, dans sa dimension quasi-virtuose. La suite est constituée de plusieurs pièces :

  • Les Tricotets, en sol majeur, c’est un rondeau dans lequel les deux mains tricotent inlassablement des croches énergiques, dans le refrain et dans les deux couplets. Nous y trouvons quelques étrangetés harmoniques qui ne contrarient pas l’atmosphère sereine, et plutôt sobre de la pièce. L’écriture à deux voix est d’une grande précision, rebondissante mais nonchalante.
  • L’indifférente, en sol mineur, est une pièce tendre, très expressive, à deux voix, où les deux mains se répondent tantôt à l’intervalle de tierce, tantôt à trois octaves de distance, en parcourant le clavier du grave à l’aigü. Le tout est léger, ornementé avec une grande douceur.
  • Deux Menuets, de coupe et de longueur similaires. L’un est dans le mode majeur, d’un caractère tendre, rêveur, d’écriture horizontale. L’autre est dans le mode mineur, plus rebondissant, dansant avec beaucoup de rigueur rythmique, d’un caractère affirmé par une descente à l’unisson vers le grave.
  • La Poule, en sol mineur, c’est la pièce la plus descriptive, la plus figurative. Elle est aussi très novatrice : dès les premières mesures nous entendons les picorements, les froissements d’ailes, à travers une écriture très élaborée (arpèges, notes répétées, alternance de lignes ascendantes et descendantes), d’un caractère orchestral usant de différents coloris. Le recherche rythmique et dynamique est associée à une grande liberté de modulation.
  • Les Triolets, en sol majeur. Pièce en deux parties et à deux ou trois voix, comme une conversation sereine à deux mains. Le discours est fluide, continu, avec des inflexions très touchantes, d’une extrême expressivité.
  • Les Sauvages, en sol mineur. Pièce de caractère, empruntée d’une musique écrite pour le Théâtre de la Foire (1725) et retranscrite pour Les Indes Galantes (1735): rythmique, dansante, ferme et très énergiques. Les deux mains s’alternent avec une grande vivacité, pour dessiner chromatismes et dissonances, donnant à ce rondeau son caractère à la fois étrange et rebelle.
  • L’Enharmonique, en sol mineur, c’est une pièce d’une grande subtilité et d’une grande poésie. Dans sa Préface, Rameau précise à propos de cette pièce : « L'harmonie qui cause cet effet n'est pas jetée au hasard ». Rameau y semble chercher de nouvelles voies sonores à travers l’alchimie d’harmonies neuves et étonnantes.
  • L’Égyptienne, en sol mineur. Pour clore cette suite, Rameau écrit une pièce étrange, dansante, fiévreuse. L’écriture est virtuose, les deux mains traversent le clavier pour dessiner arpèges, notes répétées, octaves, triolets. La pièce surprend, par son exubérance harmonique, son rythme disloqué et ses effets de suspension.

Cette suite constitue un témoignage riche et surprenant de la pensée et de l’écriture ramistes. Les principes d’interprétation pour ce genre de musique doivent certainement être placés sur différents plans, afin de construire une stratégie du langage. Au plan technique, il semble essentiel de rechercher la précision de l’attaque, la clarté de l’articulation, et un toucher coloré et subtil. Au plan stylistique, cette musique exige une grande conscience du rapport établi avec la danse, avec le geste chorégraphique et, par ailleurs, du rôle de l’ornement, qui participe à part entière à l’élaboration du discours. Au plan expressif, la démarche de Rameau, qui met en évidence le rapport entre harmonie et passions, demande une recherche subtile d’une expression dépourvue de tout maniérisme ou exagération. Nous nous proposons d’étudier comment deux interprètes ont répondu à ces exigences et quels sont les points communs ou les différences qui peuvent existant entre leurs deux réalisations.