5.3.2 Scarlatti joué par les pianistes.

Nombreux sont les pianistes qui ont succombé au charme des sonates de Scarlatti. Depuis les débuts du XXe siècle, jusqu’à nos jours, ces sonates occupent une place très importante dans le répertoire pianistique, dans les salles de concert et l’enregistrement. Depuis que Vladimir Horowitz a pris l’initiative (après Meyer) d’enregistrer une vingtaine de ces sonates, l’intérêt pour ces œuvres n’a pas cessé de croître. Au lieu de faire partie des « bis », les sonates de Scarlatti peuvent former maintenant une part essentielle dans un programme de concert. La querelle entre authentistes et modernistes semble complètement oubliée pour l’interprétation de ces sonates : leur caractère est très pianistique et on peut penser que Scarlatti a, probablement, connu le pianoforte, pour écrire des sonates aussi ambitieuses au plan sonore.

Il nous a été très difficile de choisir dans cette floraison de sonates, et aussi entre de brillants interprètes : Marcelle Meyer, Clara Haskil, Emil Gilels, Vladimir Horowitz, Christian Zacharias. Tous nous ont donné des versions référentielles, très variées. Tous sans exception, répondaient à un désir de grande liberté d’expression, de lyrisme et cherchaient à s’approprier au piano ces œuvres incomparables.

Les problèmes techniques auxquels le pianiste est confronté dans l’œuvre de Rameau ou dans certaines œuvres de Bach, sont considérés, dans le cas des sonates de Scarlatti, sous une lumière différente : la clarté à laquelle les pianistes font appel pour dessiner ce que nous appelons la « ligne baroque », est bien évidemment toujours présente : articulation précise, toucher perlé (technique purement digitale) et grande différenciation des plans sonores. Mais l’écriture de ces sonates permet d’exploiter d’autres aspects qu’en général on n’ose pas utiliser dans les pièces de Rameau, par exemple. L’écriture semble donner un « feu vert » à l’emploi des bras, des épaules, pour produire des sonorités amples et puissantes. Elle permet également un emploi plus fréquent de la pédale droite. Elle permet tout simplement d’exploiter les capacités du piano moderne sans que cela soit nuisible à l’esprit de ces pièces. Les interprètes pianistes tentés par ces sonates semblent venir d’horizons très variés et avoir beaucoup moins de scrupules et d’incertitudes quant à l’interprétation de ces œuvres. Le piano, également, semble s’exprimer plus facilement, montrer ses diverses facettes, ses diverses possibilités sonores, au travers d’une écriture qui annonce Albeniz, deux siècles plus tard. Le « Sois heureux » de la préface est un appel à la joie et à la sensualité, termes qui semblent résumer le sens profond de ses sonates.