1.1.3.La place des transports dans l’espace alpin

Nous avons déjà précisé, en ouverture, que le choix de nous focaliser sur le secteur des transports de marchandises, afin d’étudier comment un domaine politique spécifique peut avoir un impact sur l’organisation politique d’un espace, repose principalement sur le constat du dynamisme particulier de cette thématique, qui fait depuis quelques années l’objet d’une politique innovante et de la mobilisation intense d’un nombre considérable d’acteurs : les populations locales, le milieu associatif, les acteurs économiques du territoire et leurs représentants (CCI, syndicats professionnels…), ainsi que des niveaux de gouvernements divers (local, régional, national, supranational…). Il nous faut ajouter que d’autres considérations ont guidé ce choix.

Tout d’abord, la place des transports dans cette analyse est en relation avec le fait que la question de la traversée des Alpes s’est toujours caractérisée au cours de l’histoire humaine par un « emboitement » des échelles territoriales selon lesquelles cette traversée a été conçue (Debarbieux, 2002). Ainsi, les problématiques soulevées par la gestion et l’organisation des transports dans cette région ont souvent eu une connotation transnationale, qui a posé à plusieurs reprises les questions de la coopération et de la légitimité d’intervention des différentes échelles territoriales et gouvernementales dans la gouvernance de ce problème.

Enfin, à un niveau plus général, ce choix repose sur l’opportunité de comprendre les interrelations existantes entre thèmes et sphères distinctes, que le domaine des transports est en mesure d’offrir. Nous savons, en effet, que les transports ne se réduisent pas simplement à un enjeu technique, mais qu’ils se situent à la frontière de plusieurs autres domaines. Les décisions concernant les transports font se croiser des considérations environnementales, économiques et de protection des territoires, avec des questions sociales, culturelles et démographiques. Ainsi, par exemple, l’argumentation mobilisée en 1991, lors de la création de la Convention alpine (qui s’occupe de nombreux champs d’intervention politique, et pas seulement de transports) faisait appel à la nécessité « d’harmoniser les politiques des pays signataires en vue de concilier les intérêts économiques en jeu dans le massif alpin avec les exigences de protection d’un patrimoine naturel menacé » (Traité de la Convention alpine, 1991). La négociation d’une politique des transports partagée à l’échelle alpine, que nous pouvons observer depuis quelques années, s’inscrit dans ce contexte. Dès lors, elle est censée apporter une réponse à cette double exigence, mentionnée par le traité de la Convention alpine, qui relève de l’adhésion aux objectifs et aux défis posés par le concept de développement durable. Elle est conçue dans l’optique de trouver un point de compromis entre ces deux objectifs souvent contradictoires – économique et environnemental - qui sont défendus par l’ensemble des acteurs alpins, selon néanmoins des pondérations et un ordre de priorité variables selon les territoires et les acteurs concernés. De ce point de vue, nous pensons que les politiques de transports possèdent des atouts intéressants par rapport aux limites de la coopération transnationale identifiées par la littérature. Le manque d’intégration des différentes politiques sectorielles ainsi que des objectifs politiques poursuivis aux différents niveaux de gouvernement, du supranational au local, représente un problème récurrent de la gouvernance multi-niveaux. Même au sein d’un territoire apparemment homogène comme les Alpes, on retrouve plusieurs niveaux de gouvernance territoriale diversement agencés horizontalement et verticalement, souvent conflictuels, rendant problématique cette coopération (Janin Rivolin, 2006). Néanmoins, et sur la base des différentes considérations exposées ci-dessus, nous pensons qu’en raison de la nature de « carrefour » entre plusieurs sphères (environnement, aménagement du territoire, économie…) et plusieurs échelles qui caractérise les transports, il est possible de retracer dans l’élaboration politique en transports l’émergence d’un espace alpin de la concertation, en mesure de répondre aux défis de la coopération transnationale dans le cadre particulièrement complexe du système de gouvernance territoriale de l’Union européenne. C’est cette thèse que nous allons essayer de démontrer à travers les différentes analyses dont se compose ce travail.