1.1.5.Les études de cas : les objets de l’analyse

Tant le projet Lyon-Turin que les dispositifs de la concertation alpine seront analysés dans cette recherche à partir, d’une part, des acteurs impliqués sur ces dossiers et, d’autre part, des outils techniques de mesure (bases de données et enquêtes) et d’analyses des trafics (notamment, les études de prévision dans le cas du Lyon-Turin), mobilisés dans le cadre des processus décisionnels. C’est à travers une lecture critique de ces outils – de la manière dont ils ont été construits, de leur usage et des représentations des phénomènes qu’ils ont restituées et données à voir –, que nous envisageons de comprendre comment une question spécifiquement alpine des transports a émergé et comment elle a évolué au fil du temps. Ce choix n’est pas uniquement un choix d’ordre méthodologique, mais il repose sur une double exigence.

D’une part, les outils techniques que nous avons décidé d’analyser représentent des instruments importants pour effectuer une lecture des choix, des hypothèses et des valeurs sous-jacentes aux discours politiques. En cela, ils s’avèrent particulièrement utiles afin de reconstruire les arbitrages entre des choix et des volontés différents et de comprendre, ainsi, les résultats observables des processus décisionnels. Ils représentent une porte d’entrée sur les processus politiques que nous choisissons d’étudier de manière privilégiée. Dans cette optique, l’analyse des outils de l’expertise technico-économique relève bien d’un choix d’ordre méthodologique. Néanmoins, le fait d’avoir décidé de bâtir notre analyse autour des dispositifs techniques construits et mobilisés dans les processus que nous étudions ne se limite pas à la seule exigence de disposer d’un outil d’observation et de lecture du fonctionnement des processus d’élaboration d’une politique de transport. Ce choix est aussi la conséquence d’un questionnement précis concernant la place et le rôle de l’expertise technique et de ses outils au sein des processus décisionnels. L’idée à la base de cette analyse est, en effet, que les instruments techniques de l’évaluation non seulement reflètent l’évolution des priorités politiques affichées et défendues par les décideurs, mais qu’ils peuvent aussi, en retour, affecter cette évolution. Cette influence des outils techniques sur les processus politiques peut se produire, par exemple, à travers les résultats, parfois inattendus, que ces outils restituent, ou encore à travers les limites qu’ils rencontrent ou mettent en évidence lorsqu’il s’agit de traduire en chiffres et modèles de simulation les orientations dessinées au niveau politique.

Ainsi, d’une part, l’analyse des études de prévision des trafics dans le cadre de l’évaluation du projet Lyon-Turin répond à une question précise, qui est de comprendre l’évolution des objectifs politiques et de l’argumentaire associés à ce projet spécifique. Le but, dans ce cadre, est d’expliquer l’émergence d’une question alpine au sein des politiques de transports de deux pays qui ont toujours adopté un positionnement éloigné (en particulier, la France) ou carrément conflictuel (notamment, l’Italie) par rapport à la négociation d’une politique alpine, étendue donc à l’ensemble de la chaîne des Alpes, de la gestion des transports de marchandises. De la même manière, en ce qui concerne l’étude des dispositifs de la concertation alpine, l’analyse des outils de mesure des flux franchissant les Alpes est conçue dans l’optique de lire, à travers ces outils, le parcours suivi par l’ensemble des pays alpins dans la définition de la problématique des trafics transalpins. Mais d’autre part, cette analyse relève aussi d’un objectif plus global, visant la compréhension du rôle que jouent l’expertise technico-économique et les outils de l’évaluation dans le déroulement des processus décisionnels. Elle s’inscrit dans le cadre des réflexions que suscitent les critiques de plus en plus fréquemment adressées par les acteurs impliqués dans les processus de décision à ces outils. Ces critiques visent non seulement les résultats que l’expertise produit, mais aussi, de manière plus fondamentale les méthodes qui sont employées elles-mêmes. Ainsi, nous proposons de réfléchir, à travers nos deux études de cas, aux conditions qui peuvent permettre à ces outils d’alimenter et d’enrichir les processus décisionnels. Nous cherchons aussi à identifier les risques et les limites de leur usage dans le cadre de l’élaboration d’une politique ou d’un projet. Il s’agit, dans ce cas, d’un objectif plus explicitement prescriptif par rapport aux objectifs que nous nous fixons dans le cadre de l’analyse de l’émergence d’un espace politique alpin.