2.1.Le point de vue de l’analyse : les acteurs et les outils techniques

Un grand projet d’infrastructure s’accompagne forcément d’un processus décisionnel complexe et la durée de son élaboration et de sa négociation s’étale normalement sur une période longue. Analyser son histoire signifie retracer l’évolution du cadre des acteurs qui ont participé à cette élaboration en introduisant dans le débat des discours et des objectifs différents. Cela signifie également retracer l’histoire des outils techniques mobilisés afin de conduire ce processus de « construction » du projet et qui, de manière autonome et inattendue ou de manière instrumentale et calculée par les acteurs, ont produit des changements importants dans la représentation du projet. Ainsi, si le but ultime d’une analyse historique d’un projet est de comprendre les causes et les effets des transformations affectant sa représentation publique et les objectifs qui lui sont associés, les deux vecteurs principaux pour repérer et analyser ces transformations sont les acteurs et les outils techniques. A travers ceux-ci il est possible de lire l’évolution des discours qui émergent, s’affirment et se combinent pour donner forme au projet sur la base du pouvoir, de la légitimité et de l’engagement de ces mêmes acteurs et instruments.

Ces deux vecteurs déterminent ensemble les tournants de l’histoire, les moments où une transformation s’est produite concernant la représentation du projet : sa forme, ses fonctions, les objectifs associés au projet sont autant d’éléments qui dépendent des besoins et des problèmes inédits soulevés par un nouvel acteur ou une nouvelle étude. Ces tournants marquent également un changement du projet en ce qui concerne son « degré de concrétisation ». En effet, à partir de son origine, un projet tend à évoluer vers sa concrétisation. Ce parcours de concrétisation se compose d’étapes successives d’intégration d’éléments différents, qui visent, d’une part, à rendre de plus en plus irréversible la définition du projet, marquant ainsi un progrès vers sa réalisation, et d’autre part, à modifier cette définition afin d’en accroître l’adaptation à son environnement, par un processus d’apprentissage. L’existence d’un projet repose alors sur sa capacité à intégrer le changement, sans laquelle il serait voué à l’échec. Dans cette optique, une analyse du projet implique de rechercher les stratégies d’adaptation ou d’apprentissage mises en ouvre dans le cadre de sa définition, de son évaluation et de sa défense. Analyser ces stratégies permet de formuler une évaluation du projet et du processus décisionnel à travers lequel il s’est construit. Cette évaluation de la capacité d’apprentissage et d’internalisation des oppositions et des contre-propositions que le Lyon-Turin suscite, doit reposer sur l’étude historique des modifications de son contenu. Ces modifications sont lisibles à travers l’analyse des discours d’acteurs et des outils qui ont été mobilisés dans leur construction. Sachant que ces outils exercent parfois leur influence de manière autonome par rapport à la volonté des acteurs qui s’en saisissent, notre étude s’attache à reconstruire l’histoire de l’évolution du Lyon-Turin à partir à la fois de l’analyse des discours et des études techniques d’évaluation qui ont façonné la définition du projet.