3.2.1.Le changement du cadre des acteurs : la prise de position de la Région Rhône-Alpes sur le dossier Lyon-Turin

Au début des années 1990, la SNCF, premier concepteur du projet, a surtout besoin de faire accepter son idée à l’intérieur de la France. Doter son projet d’un intérêt plus vaste, en l’adaptant au contexte international, peut fournir une base solide pour déclencher la discussion. Cela n’est cependant pas suffisant pour expliquer pourquoi la SNCF a décidé d’opérer une transformation de son projet initial. Cette évolution, d’un tunnel de base à une ligne à grande vitesse, traduit la décision de l’opérateur ferroviaire de combiner deux objectifs différents, qu’il avait initialement prévu de poursuivre séparément. Avec le tunnel de base il s’agissait uniquement de poursuivre une amélioration de l’efficience économique d’un itinéraire spécifique. Avec la grande vitesse c’est un objectif plus vaste qui est visé. En l’inscrivant au Schéma Directeur, le Lyon-Turin devient l’un des nombreux instruments d’une démarche unique, conçue dans le but de défendre son ambition d’obtenir une réorientation des investissements dans les transports en faveur du rail. Dans la première configuration du projet, l’objectif visé du projet était la solution d’un problème d’efficacité interne du mode ferroviaire, sans référence à la compétition du fer contre les autres modes de transport. La transformation du projet inscrit le Lyon-Turin dans une démarche plus vaste, orientée vers le soutien au chemin de fer dans sa compétition avec les autres modes de transport. La défense de cet objectif nécessite des alliances stratégiques et un soutien politique avant tout en France. Cet objectif est défendu par la SNCF avec l’élaboration du Schéma Directeur, qui mise sur la grande vitesse pour les transports de voyageurs de 200 à 800 km, pour soutenir la concurrence du fer avec la route et l’avion et récupérer ainsi pour partie les parts de marché progressivement perdues au cours des dernières décennies.

Si l’on essaye d’interpréter dans l’optique du choix rationnel l’action de la SNCF dans sa défense de l’objectif de supporter la relance des investissements publics dans le secteur ferroviaire, on s’aperçoit que la recherche d’un allié politique pour son programme d’action pose problèmes. En effet, les mesures envisagées, c’est à dire les nombreux projets TGV inscrits au Schéma Directeur, peuvent rentrer en concurrence entre elles dès lors que la question de leur financement sera posée. Par conséquent, l’État ne ressort pas comme un interlocuteur idéal pour le soutien de chaque projet. En effet, même si avec le Schéma Directeur le secteur ferroviaire fait pour la première fois l’objet d’une planification nationale, l’État ne s’engage pas sur la réalisation des ouvrages qui y sont contenus. Au contraire, la SNCF bénéficie seulement une fois d’une participation de l’État à hauteur de 30% pour la construction du TGV Atlantique (Paris-Le Mans-Tours, 1989-1990). Mais, après cette participation, l’État se désengage et la SNCF doit de nouveau financer sur fonds propres ses nouvelles lignes.

Dès lors, la SNCF identifie dans les régions des alliés potentiels pour porter les projets TGV qui concernent directement leurs territoires. La transformation du projet initial en une ligne à grande vitesse (LGV) et la mise en avant de l’objectif de l’accessibilité permettent à la SNCF d’établir un lien important avec la Région Rhône-Alpes. Cette dernière est en effet celle qui, parmi les régions françaises, répond le plus favorablement aux propositions du programme de la SNCF. Dès le début elle démontre une très forte volonté de s’impliquer sur ce projet qui va à la rencontre de ses ambitions internationales et qui trouve le soutien d’un nombre important de politiques rhônalpins, dont Charles Millon, président du conseil régional de Rhône-Alpes, et Louis Besson, maire de Chambéry. L’engagement des hommes politiques locaux est très rapide dans l’histoire du projet : déjà à la fin de 1988 la Région se mobilise pour présenter le projet au réseau d’acteurs avec qui elle entretient des relations. En octobre, lors du colloque « De grands projets pour de grandes villes », réunissant à Lyon les représentants des Régions Catalogne, Piémont et Rhône-Alpes, le projet est présenté pour la première fois aux autres régions, qui affirment leur soutien et leur volonté d’en faire un maillon d’un arc sud méditerranéen de Barcelone à Turin, en passant par Lyon. D’ailleurs, l’engagement de l’acteur institutionnel Région Rhône-Alpes s’accompagne de la prise de position des acteurs économiques du territoire rhônalpin. En s’associant entre eux, ils donnent vie, en 1991, à un comité de promotion appelé « Comité pour la liaison à grande vitesse Lyon-Turin-Milan ». Ce comité, créé à l’initiative de la Région en 1991 et regroupant au début les grandes villes et les organismes socio-économiques de Rhône-Alpes, se transforme rapidement en « Comité de Promotion pour la Transalpine » voyageurs et marchandises. Un an plus tard, le 22 septembre 1992, se met en place le « Comité Régional de Pilotage » coprésidé par le Président de la Région et le Préfet de la Région pour piloter les études du projet Lyon-Turin. Les débats sur le projet ont vu depuis la présence constante et active de ces deux acteurs, la Région et la Transalpine, qui ont apporté leur contribution tant en réalisant du lobbying que, surtout, en participant à la réalisation des études de projet.